Mahamadou Issoufou

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François Soudan est directeur de la rédaction de Jeune Afrique.

Le président nigérien Mahamadou Issoufou a décidé de quitter le pouvoir en avril 2021, adoubant pour lui succéder son ministre de l'Intérieur Mohamed Bazoum. Une sagesse assez rare sur le continent pour être saluée.

On peut dire ce que l’on veut de l’entretien que le président Mahamadou Issoufou a accordé à JA au début d’août, sauf qu’il a laissé ses lecteurs indifférents. Agacement de la part de certains de ses pairs, qui ne supportent guère de se voir administrer indirectement les leçons de bonne gouvernance démocratique dont « Zaki » (« le lion », en haoussa) est coutumier. Applaudissements chez tous ceux qui se satisfont de voir un chef d’État tenir sa promesse cardinale de respecter le nombre de mandats que lui octroie la Constitution, avec en prime une rare touche d’honnêteté : aurais-je voulu m’éterniser au pouvoir, ajoutait-il, que les Nigériens m’en auraient empêché.

Quels que soient les reproches formulés par l’opposition à l’encontre de cet ingénieur des mines de 67 ans, entré en politique il y a quatre décennies, trois fois battu et deux fois élu à l’élection présidentielle, l’image que l’Histoire retiendra de lui après son départ programmé pour avril 2021 sera celle d’un homme lucide, conscient de l’usure du pouvoir et suffisamment sensé pour ne pas se croire indispensable. À condition bien sûr que rien ne vienne gâcher le scénario des dix-huit mois à venir.

Déchirement intime

Pour que les choses soient à la fois claires et irréversibles, Mahamadou Issoufou s’est livré à un exercice quasi inédit en Afrique : il a, depuis six mois, adoubé son dauphin officiel en la personne de son ministre de l’Intérieur, Mohamed Bazoum. L’avenir dira ce qui, dans le timing de cette annonce, relevait de la stratégie calculée et de la nécessité de faire barrage à la candidature autoproclamée du ministre des Finances Hassoumi Massaoudou, limogé depuis.

Une chose est sûre : les trois hommes étaient liés depuis la fin des années 1980, et cet épisode a été vécu comme un déchirement intime. Mais le choix de Bazoum est une audace qui, elle aussi, est à porter au crédit d’Issoufou : quelles que soient ses indéniables qualités d’homme d’État, l’actuel président du parti au pouvoir est issu d’une communauté arabe très minoritaire au Niger, dont les racines plongent au cœur de l’espace tchado-­libyen. Sa sélection est donc une forme de pari assumé sur la maturité de l’électorat et sa capacité à transcender les cloisonnements ethniques. Celui de la modernité, en quelque sorte.

Bazoum peut s’appuyer sur le bilan économique globalement positif du président sortant et sur la visibilité des grands chantiers infrastructurels

En l’absence probable du principal candidat de l’opposition, l’ancien Premier ministre Hama Amadou – dont l’exil et la condamnation font un peu tache sur le boubou immaculé de l’expérience démocratique nigérienne – , et face à des adversaires avançant en ordre dispersé, Mohamed Bazoum a pour l’instant un boulevard devant lui. D’autant qu’il s’appuie sur le bilan économique globalement positif du président sortant (en dépit du lourd fardeau des dépenses sécuritaires) et sur la visibilité des « grands chantiers » infrastructurels.

Le Niamey de 2019 n’a à cet égard plus aucun rapport avec celui que l’auteur de ces lignes découvrit il y a un quart de siècle, à l’occasion de l’interview nocturne et passablement surréaliste d’un général au destin tragique, Ibrahim Baré Maïnassara. La capitale a totalement changé de visage, et le Niger, on peut l’espérer, définitivement exorcisé ses démons putschistes. Reste qu’ici comme ailleurs, aucune élection n’est gagnée d’avance.