Maurice OudetUn thème majeur : la souveraineté alimentaire
Le 11e Forum social mondial s’est tenu à Dakar, Sénégal, du 6 au 11 février 2011. Dès la marche du 6 février, il apparaissait clairement que la souveraineté alimentaire, avec ses différentes composantes, serait un des thèmes majeurs du Forum. La première banderole, portée par des participants issus de plusieurs continents, donnait le ton : “Non à la marchandise agriculture – Promouvoir un système monétaire et financier démocratique, transparent et responsable.”

Cette banderole était suivie de près par celle de la Via Campesina proclamant : “La souveraineté alimentaire, c’est la solution à la crise alimentaire.” Tout au long du cortège, on pouvait entendre des slogans comme “Touche pas à ma terre !”, “La terre, c’est la vie !” ou encore “La terre, c’est ma vie !”, bientôt suivis par un groupe de participants derrière une banderole sur laquelle on pouvait lire : “Accaparement des terres en Afrique : Dangers et Défis”.

Les jours suivants, en visitant les différents stands, j’étais impressionné par la forte participation des associations et organisations paysannes de l’Afrique de l’Ouest. Les Sénégalais et les Sénégalaises se sont fortement mobilisés, comme ces femmes rurales venues pour la défense, la promotion et le partage de semences paysannes… libres de tout droit ! Elles étaient fières d’exposer quelques-unes de leurs différentes variétés de semences de riz.

La protection de l’environnement n’était pas absente de ce forum avec, notamment, un stand de l’Oceanium de Dakar (un Centre de plongée sous-marine et une association de protection de l’environnement) animé par Haïdar El Ali : un acteur majeur du Sénégal sur cette question. C’est aussi un thème très présent dans les préoccupations et les engagements des paysans. Avec la menace des agro-carburants, il est urgent de trouver des financements alternatifs au “commerce du carbone”. Ce genre de commerce va donner des ailes aux multinationales pour continuer à polluer en accaparant les terres africaines. Il nous faut trouver une réponse à cette question : “Comment aider un paysan pauvre, qui n’a ni charrette ni âne, à restaurer la fécondité de ses terres, en construisant des cordons pierreux et en fabriquant de la fumure organique ?”

Le travail en réseau a prouvé son efficacité. Il n’est pas étonnant que plusieurs réseaux étaient présents à ce forum comme FIAN (Foodfirst Information and Action Network/ Réseau d’Information et d’Action pour le droit à se nourrir) et le RAPDA (Réseau Africain pour le Droit à l’Alimentation) dont le slogan affiché était “La faim n’est pas une fatalité”. De tels réseaux (sans oublier le SEDELAN avec sa lettre hebdomadaire envoyée à près de 3 800 correspondants !) ne peuvent sortir que renforcés de ce forum.

Mobilisation des enfants et des jeunes
Si le thème de la souveraineté alimentaire était très présent à Dakar, il ne doit pas nous faire oublier d’autres sujets, moins fréquents, mais tout aussi pertinents. C’est la première fois, entre autre, que je vois une telle mobilisation des enfants et des jeunes, et de ceux qui défendent leurs droits. Notons la présence du CAINT (Cadre d’Appui à l’Initiative Nationale en faveur des Talibés), avec leur slogan : “Non à la mendicité des enfants, oui aux daaras (écoles coraniques) modernes.Stop : ne donnons plus aux enfants dans la rue.” Ce thème intéresse tout spécialement le Sénégal, mais aussi d’autres pays comme le Mali, le Burkina Faso, le Niger. Un talibé (ou garibou) est, au sens étymologique du terme, un disciple ou un élève apprenant le Coran. Ces élèves fréquentent des daaras où des maîtres, également appelés marabouts, leur enseignent le Coran. Cet enseignement renferme de lointaines valeurs culturelles (humilité, apprentissage des difficultés de la vie, ascétisme). Mais comment expliquer qu’un talibé soit reconnu par ses vêtements en lambeaux, son allure un peu sale et sa gamelle tendue à tout passant ? Ces talibés sont des garçons majoritairement âgés de 13 à 15 ans. Ils sont confiés par leurs parents, généralement d’origine très pauvre, à des marabouts.

En échange de l’enseignement reçu, les talibés doivent s’acquitter de travaux domestiques, subvenir aux besoins de leur maître et de sa famille, ainsi qu’à leur propre subsistance alimentaire. Ils sont donc contraints de mendier pour cela, mais souvent les marabouts leur imposent de ramener une somme d’argent déterminée au risque d’être sévèrement battus.

De nombreux enfants, de nombreux jeunes ont participé à la marche d’ouverture du Forum. Ils portaient des pancartes pour réclamer leurs droits : “Le droit à une formation pour apprendre un métier”, “Le droit à être respecté”, “Le droit à être écouté”. Sur leurs T-shirts, il était écrit : “Tous ensemble pour le bien-être des enfants.” D’autres portaient une banderole avec cette inscription : “Jeunes, cessons d’être des sujets, soyons des citoyens.” Une jeune femme arborait fièrement sa pancarte : “Investir dans l’éducation des filles et des femmes pour changer le monde !”. Elle portait un T-shirt où l’on pouvait lire : “Un autre monde est possible, construisons-le avec les femmes !”

Un autre monde est possible, construisons-le avec les femmes !”
C’est bien un fait marquant de ce forum. Les femmes y étaient nombreuses et actives. Elles n’acceptent plus que le monde se construise sans elles. Elles refusent la guerre et se proposent de participer activement aux règlements des conflits. Elles refusent toute violence faite aux femmes. Dans ce combat, elles ont reçu l’appui de La Via Campesina qui, dans sa “Déclaration de Dakar”, s’exprime ainsi : “Dans toutes les sociétés, à des degrés divers, les femmes et les petites filles sont victimes de discriminations économiques et de violences physiques, sexuelles et psychologiques dans la sphère publique comme dans la sphère privée. Violences domestiques, traite d’êtres humains, harcèlement sexuel, mutilations génitales, aliments interdits aux femmes, mariages forcés ou précoces, crimes “d’honneur”, fémicides (meurtre d’une femme parce qu’elle est une femme) et viols comme armes de guerre, viennent s’ajouter à cet effroyable tableau. Par ailleurs, à l’échelle mondiale, 70% des personnes vivant dans l’extrême pauvreté sont des femmes.

Les femmes paysannes se trouvent dans une situation de forte exclusion et d’oppression sociale et économique. C’est pour cela que La Via Campesina a décidé, en tant que mouvement paysan, de se mobiliser contre cette injustice. “Nous ne pouvons pas rester silencieux ! En détournant le regard et en gardant le silence, nous nous rendons coresponsables de cette violence. En nous mobilisant contre elle, nous contribuons à son éradication et à la construction d’une société basée sur l’égalité et la justice.”

Le thème des APE (Accords de Partenariat Économique) était moins présent qu’à Nairobi. Est-ce parce que beaucoup pensent que finalement l’Afrique de l’Ouest ne signera pas un tel accord, l’Europe se montrant beaucoup trop exigeante, voire arrogante ? Cependant, le FORAM (Forum pour un autre Mali) n’a pas oublié de se positionner sur cette question encore d’actualité. Ses choix sont sans appels : “Protéger ses frontières et exiger l’ouverture des économies africaines est un crime !”, ou encore “L’Afrique n’est pas pauvre, mais appauvrie par l’Europe et ses bons élèves !”

                      Maurice Oudet

Voir aussi le rapport du Père Robert Ubemu (lire la suite)