Au Burkina Faso, des milices populaires font régner l’ordre dans les campagnes

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Des membres du service de sécurité du groupe koglweogo de Sapouy au Burkina Faso

Suspendus à des fils de fer, deux clefs, une bague et un gri-gri se balancent au gré du vent le long des branches d’un arbre. « Ce sont des fétiches qu’on a récupéré chez des voleurs. Ils s’en servaient pour se protéger et disparaître en se transformant en animal », assure Saïdou Zongo, le président du groupe de koglweogo de Sapouy, une commune du Centre-Ouest du Burkina Faso.

Ce mardi 8 mars, ils sont plus d’une centaine à s’être regroupés, assis en cercle autour du grand chef, près de la mosquée, à une quinzaine de mètres de cet arbre qu’ils appellent « leur siège ». Autour des hommes, une trentaine d’éléments du service de sécurité de l’association, reconnaissable à leur uniforme marron et à leur fusil de chasse de calibre douze, sécurisent la zone.

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Des membres du service de sécurité du groupe koglweogo de Sapouy au Burkina Faso.

Jeunes et vieux, musulmans comme catholiques, ces hommes se sont fédérés en septembre dernier pour donner naissance à un groupe de « koglweogo ». Des milices armées populaires qui, depuis plusieurs mois, se multiplient dans les campagnes burkinabé avec un objectif commun : arrêter, punir et juger les voleurs.

En moré, la langue de l’ethnie burkinabé majoritaire, koglweogo signifie « gardien de la brousse ». Ce type de milice n’est pas récent. Que les citoyens s’organisent pour aider les forces de sécurité à arrêter les voleurs est ancré dans la tradition burkinabé. Mais ces derniers mois, les koglweogo ont fait parler d’eux.

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Présumés coupables

Car sous ces arbres qu’ils appellent « leurs sièges », plusieurs supposés voleurs sont morts, attachés et torturés parfois pendant plusieurs jours, jusqu’à ce qu’ils avouent leur culpabilité. « Regarde, c’est sous cette racine que l’ont fait passer la corde qui sert à attacher les pieds et les mains des bandits. Nous en avons arrêté une vingtaine depuis que nous sommes là », explique en souriant un d’entre eux. Il y a un près d’un mois, un homme, soupçonné d’avoir volé des bœufs, a été torturé à mort sous cet arbre.

Alassane*, fonctionnaire en poste à Sapouy, témoigne : « Quand je suis arrivé, le corps était sous une couverture. Beaucoup de villageois étaient venus assister à la scène. Certains étaient choqués mais ils n’osaient pas réagir, de peur de représailles. »

Quelques jours plus tard, le Procureur du Faso a eu vent de l’affaire et ordonné l’interpellation des responsables. Le 17 février, des koglweogo de plusieurs provinces du Burkina – 300 selon le ministère de l’intérieur, des milliers selon les miliciens et certains habitants – ont afflué à Sapouy pour défendre les leurs.

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« Ils avaient ordonné aux commerçants de fermer leurs boutiques et le marché. C’était la psychose, rapporte Alassane. « Des renforts de CRS sont arrivés de Ouagadougou. Leurs véhicules se sont faits encercler par les koglweogo et les échanges se sont envenimés ». Pour éviter que la situation ne dégénère, les forces de sécurité se replient et ce n’est qu’après plusieurs heures de négociations que les miliciens acceptent de se faire auditionner par la police. Selon le ministère de l’intérieur, sept procès-verbaux ont été transmis au Procureur du Faso.

Un système d’amendes organisé

Ce genre de dérapage n’est pas isolé. La semaine passée, c’était au tour des koglweogo de Leo, dans la province voisine de Sissili. Un religieux a été séquestré pour avoir refusé de payer les frais d’adhésion nécessaires afin d’entrer dans une association koglweogo. Au bout de quelques heures, le religieux sera finalement libéré, après avoir payé une amende de plus de 100 000 FCFA (150 euros).

Des amendes auxquelles doivent également se soumettre les hommes accusés de vol. Une fois à l’écart du groupe, le chef des koglweogo de Sapouy fini par accepter d’en détailler les montants. « Pour un vol d’œuf, nous réclamons 15 500 FCFA (24 euros). Pour une chèvre, un mouton, un porc ou un chien, c’est 155 000 (236 euros) et 305 000 (465 euros) pour un bœuf, un âne ou un chameau ».

Ces amendes permettent de « payer les plombs pour les fusils et le carburant des motos. » Mais au regard du montant élevé des amendes, certains observateurs craignent que leurs activités deviennent une profession. « Certains villageois ont abandonné leur travail et vivent de leurs activités au sein des koglweogo. C’est très dangereux », soutient Saïdou Kaboré, président du Mouvement burkinabé des droits de l’homme et des peuples (MBDHP) dans la province du Kouritenga.

Une semaine de tortures

Assis à côté de lui, Paul Zoungrana est venu témoigner des sévices qu’il a subis. Sur le dos de l’agriculteur, les plaies causées par les fouets ont cicatrisé mais les lacérations restent visibles, plus de trois mois après les faits. En décembre dernier, Paul Zoungrana est accusé d’avoir volé deux bœufs par un éleveur de la région. Le quarantenaire passe alors six jours à la gendarmerie de Koupela avant d’être relâché, faute de preuves suffisantes.

Mécontent de la décision, l’accusateur s’en remet à un groupe de koglweogo. Le 5 décembre 2015 sonne le début d’une semaine de tortures pour le paysan. « Je dormais sur ma natte lorsque six hommes armés sont entrés chez moi et m’ont enlevé pour m’emmener à leur siège, dans la brousse. J’ai passé trois jours debout, pieds et mains attachés à un arbre, sans eau, raconte l’agriculteur dont le bas de pantalon laisse entrevoir des chevilles gonflées, conséquences des cordes qui lui ont lacéré les pieds.

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Paul Zoungrana torturé par un groupe de koglweogo au Burkina Faso

Malgré les coups de fouet, « matin et soir », Paul Zoungrana n’avoue pas le vol qui lui est reproché. Il est alors transféré au siège d’une autre association de koglweogo. Quatre jours supplémentaires où un coup de sifflet annonce le début et la fin des séances de torture. « Tant que les deux hommes qui me frappaient n’entendaient pas le coup de sifflet, ils n’arrêtaient pas de me fouetter. Autour de moi, il y avait beaucoup de gens qui me regardaient. Certains se moquaient et disaient aux koglweogo qu’il fallait me tuer », poursuit le paysan, les yeux rougis par la colère. Mes agresseurs m’ont montré deux tombes en me disant que si je ne disais pas la vérité, j’allais finir comme eux. J’ai cru que j’allais mourir. »

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Finalement, le chef des koglweogo ordonnera à ses hommes de le relâcher. Poursuivi en justice, son accusateur aurait écopé d’une peine de deux ans de prison ferme, selon le paysan. Quant au sort réservé aux responsables des tortures, on ne sait rien, les autorités de la province se refusant tout commentaire.

Légaliser et encadrer

Dénoncé par le MBDHP dans un communiqué, la bavure a fait du bruit et contraint les autorités à réagir. « Nous sommes dans un Etat démocratique qui chérit un certain nombre de valeurs, parmi lesquelles la dignité de la personne et la vie. Cela doit être respecté », a déclaré Simon Compaoré, le ministre de l’Intérieur, lors d’une conférence de presse, le 7 mars dernier.

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Le ministre de l'intérieur burkinabé Simon Compaoré lors d' une conférence de presse lundi 7 mars à Ouagadougou.

Pour autant, le ministre de l’intérieur n’a pas condamné ces groupes, bien au contraire : « Ces groupes d’autodéfense doivent s’exercer en toute légalité et commencer par se faire reconnaître […] On ne peut pas penser un seul instant qu’il est possible pour l’Etat central d’installer des brigades de gendarmerie dans chaque village. Nos moyens humains et matériels sont limités. »

Afin de mettre fin aux dérives, Simon Compaoré entend légaliser les koglweogo et les encadrer. « Il faut leur faire savoir comment ils peuvent être utiles à la police, la gendarmerie et la population en agissant légalement », poursuit-il. Mais la coopération entre les koglweogo et l’Etat s’annonce laborieuse. « Notre souhait, c’est de collaborer. Nous avons le même objectif, à savoir la fin du grand banditisme », assure Amadou Diala, responsable de l’association koglweogo de Poure. Mais ce n’est pas possible ! Dans le passé nous coopérions. Nous attrapions les voleurs pour les remettre aux forces de l’ordre mais certains étaient relâchés quelques jours plus tard et les vols recommençaient ».

Des campagnes abandonnées par l’Etat

Les koglweogo de Sapouy comme le MBDHP assurent avoir interpellé à plusieurs reprises le gouvernement au sujet du climat délétère régnant dans les campagnes et des problèmes de corruption du système sécuritaire et judiciaire entraînant parfois la relâche de bandits contre de l’argent. « Les autorités n’ont pas réagi et maintenant elles se plaignent. Au lieu de vouloir nous encadrer, elles feraient mieux de venir s’excuser auprès des populations de n’avoir pas agi avant », poursuit Amadou Diala.

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Amadou Diala, président du groupe koglweogo de Poure, au Burkina Faso.

Le manque de réactivité des forces de sécurité burkinabé continue d’attiser la rancœur des koglweogo de Sapouy. Un sentiment d’abandon auquel il faut ajouter celui d’injustice. « Lorsqu’un koglweogo assassine un voleur, le monde entier en parle et le gouvernement envoie des renforts. Alors que lorsqu’un bandit tue un civil, tout le monde s’en fout », s’exclame Amadou Diala, en se levant pour se positionner au centre d’un large cercle formé par la foule. Autour de l’homme au visage dur, la centaine de membres entassés sous la paillote de l’association applaudit.

« La conclusion que nous en tirons, c’est qu’aux yeux des défenseurs des droits de l’homme, le voleur est devenu intègre et le civil celui qu’il faut combattre », poursuit le cinquantenaire, en regardant l’homme assis sur le banc en face de lui, Adolphe Nama, responsable du MBDHP à Sapouy.

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Réunion des koglweogo de Sapouy sous la paillote (Burkina Faso)

Quelques heures plus tard, à l’écart des miliciens, Adolphe Nama revient sur cette incompréhension : « Les koglweogo ne comprennent pas que nous dénoncions les dérives constatées au sein de leurs organisations car ils pensent que les défenseurs des droits de l’homme sont du côté des voleurs. Mais nous ne pouvons pas leur en vouloir de s’être organisés pour assurer leur sécurité. C’est parce que le gouvernement et les forces de l’ordre ont abandonné les campagnes que les koglweogo sont nés. Ce qu’il faut leur faire comprendre, c’est que la torture n’est pas une pratique qui a sa place dans un Etat de droit. »

L’explication de texte ne sera pas simple car chez les koglweogo, la pratique de la torture relève d’un certain mysticisme qu’ils ne semblent pas prêts à abandonner. « Nous fouettons les voleurs avec des branches de tamarinier enflammées car cela évite que le fouet se casse et surtout, cela permet de détruire les fétiches qui ont poussé le bandit à voler », précise calmement Saïdou Zongo.

Une gestion électoraliste ?

Une pratique condamnée par Simon Compaoré. Pour tenter d’apaiser les cœurs, le ministre de l’Intérieur a annoncé qu’il partirait prochainement à la rencontre de plusieurs groupes de koglweogo. Une réaction jugée faible comparée à l’ampleur du phénomène par Chrysogone Zougmoré, président du MBDHP : « En tant que responsable politique, il aurait dû proposer des solutions à long terme permettant d’assurer la protection des citoyens dans les campagnes et faire des propositions afin de réorganiser tout le système de sécurité. »

Chrysogone Zougmoré comme plusieurs autres Burkinabé évoquent une gestion électoraliste du dossier koglweogo. Le 22 mai prochain auront lieu les élections municipales, le premier scrutin local depuis l’arrivée à la présidence de Roch Marc Christian Kaboré, candidat du Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP). « Simon Compaoré ferme les yeux car il ne veut pas créer de mécontentement avant les élections. Ces milices sont devenues très populaires dans les campagnes car grâce à elles, la sécurité est revenue, analyse Abdoul Karim Saydou, politologue spécialiste des questions de sécurité à l’université de Ouagadougou. Mais laisser les populations s’organiser de la sorte est très dangereux à long terme. Ces milices pourraient être instrumentalisées par des opposants politiques et déclencher une déstabilisation. »


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