Témoignages

 

Comment une fille chassée par sa famille devient « bouc émissaire »

Dans ma dernière lettre, j'écrivais : « Depuis 2 ans, j’accueille des filles chahutées par la vie. Il s’agit soit de jeunes mamans célibataires, soit de jeunes filles enceintes chassées par leur famille dont l’auteur de la grossesse refuse sa responsabilité. Souvent, elles ne savent pas où aller. Parfois, elles se réfugient chez une tante maternelle ou chez la grand-mère maternelle, ou encore chez une amie. En effet, le plus souvent, elles sont victimes d'un interdit. » J'ajoutais : « Il existe un interdit chez les mossis, un interdit très vivant et « efficace ». Un interdit qui menace de mort les hommes d'une famille qui ne chasserait pas leur fille quand elle est enceinte sans avoir fait de mariage. Cet interdit est encore très respecté. »

Et voilà qu'une de ces filles, après avoir été victime de cet interdit, a été choisi comme bouc émissaire. Pour atténuée sa souffrance, cette jeune maman a voulu mettre par écrit ce qu'elle a vécu. Son message s'adresse à nous tous. Le voici. J'ai changé les prénoms, mais le titre est bien le titre original.

Histoire d'une vie !

« Je m'appelle Thérèse. J'ai trois sœurs qui s'appelle Rose, Nathalie et Albertine. J'ai perdu mes parents quand j'avais 8 ans. Actuellement, j'ai 23 ans.

filles et bebe

Après le décès de papa, nous sommes allés vivre chez son grand frère. A notre arrivée, mon oncle a fait construire une petite maison « entrée – coucher », c'est à dire d'une seule pièce. Sa femme nous insultait tout le temps, que nous sommes des orphelines mal éduquées. Même pour avoir « à bien manger », c'était difficile. Souvent, les gens qui nous connaissaient nous donnaient de l'argent. On l'utilisait pour le savon, la pommade, et pour acheter à manger, quand nous n'étions pas rassasiés. Ses enfants nous insultaient souvent : que nous sommes des mendiants. Nous n'allions plus à l'école, parce que nous n'avions personne pour payer notre scolarité. Moi, j'ai arrêté en 3°, Rose en terminale. Nathalie et Albertine, également en 3°. Aujourd'hui, nous ne savons pas si Rose trouvera quelqu'un pour payer sa scolarité. Moi, j'ai deux enfants, mais leurs pères ne me veulent pas comme épouse. Ils ne demandent même pas des nouvelles des enfants. Je souffre seule avec mes enfants. Souvent, je pense que c'est quelqu'un « qui m'a fait ça » pour que je ne réussisse pas, et pour gâté mon avenir. Je prie Dieu pour ça. A cause de ça le grand frère de mon père m'a chassée de sa cour, et je n'ai pas de tante à côté.

Je vivais chez ma grand-mère maternelle, à Koudougou. Un de ces enfants est mort . Ils se « sont levés » me chasser, disant que c'est parce que je dors chez ma grand-mère qu'il est décédé, alors qu'il ne vivait même pas à Koudougou.

J'ai été chassée par tout le monde, je ne sais plus où aller.

J'ai été obligé de louer un logement « entrée-coucher » à crédit, et je vis là bas avec mes deux enfants. Même pour avoir à manger, c'est un problème. Notre « maison » n'est pas loin de celle de grand-mère. Aussi, souvent ma grand-mère prépare la nourritue, et viens me donner à manger, pour moi et mes enfants.

Je me lève souvent pour me faire du mal, mais une voix me dit d'arrêter.

Je demande à celui qui peut m'aider avec un bon travail de m'aider pour que je puisse m'occuper de mes enfants, ou à celui qui peut m'aider avec de l'argent de m'aider.

Je demande à tous ceux qui prient de prier pour moi pour que toute cette souffrance prenne fin vite.

Si c'est quelqu'un qui a tué mon oncle, et ils ont mis la faute sur moi, que la vérité éclate. » (Fin de citation).

Pour bien comprendre ce témoignage, il faut savoir que chez les mossis, dès leur naissance, les filles sont appelées « sana » ce qui veut dire étrangère. Etrangère car elles sont appelées à se marier, et à quitter la famille. Mais c'est bien plus que cela… avec comme conséquence, entre autre, que lorsqu'une fille tombe enceinte hors mariage est la chassée (au sens propre) de la famille. Et, pour être sûr qu'elle soit chassée, les « coutumiers » ont ajouté un interdit, comme mentionné plus haut. De sorte qu'une fille chassée va se réfugier chez une tante maternelle ou chez la grand-mère maternelle. C'est bien ce que Thérèse a fait. Elle pensait être bien protégée. Et voilà qu'un fils de sa grand-mère, loin de Koudougou, est décédé. Ses frères, ne comprenant pas pourquoi leur frère est décédé, vont accuser Thérèse d'être responsable de la mort de son oncle. Elle est chassée à nouveau. Elle ne comprend pas ; elle est proche du désespoir le plus profond. Pouquoi moi ? Qu'ai-je fait ?

Son cas est peu fréquent, mais il est révélateur du mépris dans lequel se trouve ces filles chassées. Sa grand-mère, elle même ne comprend pas, et continue de lui manifester son amour. C'est un soulagement pour Thérèse, mais qui n'efface pas sa douleur.

Le cas de Thérèse est particulier. Sa douleur est extrème. Mais les filles mossies chassées par leur famille sont très nombreuses. Nous souhaitons pouvoir accompagner Thérèse, mais aussi ces filles qui viennent nous voir pour nous faire part de leur détresse. Après l'accouchement, l'accueil de la grand-mère ou de la tante ne suffit plus. Elles doivents subvenir à leurs besoins et aux besoins de leur enfant. Nous souhaitons pouvoir les aider à démarrer un commerce ou à commencer (ou à poursuivre) une formation professionnelle (couture, coiffure, tissage ou autres…). Nous avons besoins de votre appui.

Comme indiqué dans notre lettre précédente : Vous pouvez faire un virement sur notre compte bancaire dont voici le RIB

bebeDans quelques jours, nous allons fêter Noël. Pour de nombreuses mamans célibataires, ne sera pas un jour de joie. Isolées, sans moyens, elles se sentirons exclues. Nous pensons rassembler plus de 50 jeunes mamans célibataires, pour fêter Noël. Nous souhaitons pouvoir organiser une tombola gratuite en faveur de ces mamans, avec des cadeaux allant d'un sac de 25 kg de riz… jusqu'à un kilo de sucre, en passant par quelques kilo de maïs, un pull-over pour enfant…

Cet appel s'adresse principalement aux burkinabè : Vous pouvez nous aider, et donc offrir un peu de joie en ce temps de Noël, via OrangeMoney ou Mobicah. Merci de contacter notre secrétariat.

Pour ceux qui sont en France et qui souhaiteraient faire un don avec reçu fiscal, c'est possible : là encore contacter notre secrétariat.

Cette rubrique paraîtra régulièrement sur nos sites

Koudougou la Belle et www.abcburkina.net

Koudougou, le 19 décembre 2018.
Maurice Oudet
Président du SEDELAN

Merci à Tahirou Diao qui m'a envoyé quelques photos prises avec son smartphone.... peut être pas assez nettes ? Essayer de les agrandir.

 

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Telle mère, tel fils

Voici le texte de la belle homélie de Guy Theunis, supérieur de la Maison Généralice à l’occasion de la fête de l’Immaculée Conception.

En français, il existe un proverbe ‘Tel père, tel fils’. Ne pourrait-on pas le modifier et dire aussi ‘telle mère, tel fils’. Je voudrais aujourd’hui faire une comparaison entre Marie et Jésus. En fait, on sait très peu de choses de Marie, historiquement parlant, mais nous avons des textes dans les évangiles et nous pouvons réfléchir à partir de ceux-ci.

Je voudrais souligner 5 points que, pour ma part, j’y trouve communs à Marie et à Jésus : il s’agit de 5 attitudes fondamentales que je vais développer, qui nous concernent aussi comme apôtres.

La première est l’écoute de la parole de Dieu et la méditation de cette parole. Par deux fois, Luc écrit que ‘Marie retenait toutes ces paroles et les méditait dans son cœur’ (2,19.51). L’écoute de Dieu est fondamentale pour les Juifs. On le sait, car l’un des textes principaux de la Bible est ‘Shema Israël’ (Ecoute Israël – Dt 6,4) que Jésus cite d’ailleurs en réponse à la question d’un scribe (Mc 12,29). Une des caractéristiques des Anawim, dont faisaient sans doute partie Joseph et Marie, est cette écoute attentive de la Parole de Dieu. L’évangéliste Marc, dans son premier chapitre, nous donne une journée type de Jésus. Il écrit : ‘Au matin, à la nuit noire, Jésus se leva, sortit et s’en alla dans un lieu désert ; là, il priait’ (1,35). L’écoute d’Abba, son Père, est partie intégrante de sa vie : c’est le début de sa journée. La tradition chrétienne retient la même attitude fondamentale. La règle de St Benoît ne commence-t-elle pas de la même façon : Ecoute, mon fils, ces préceptes de ton maître et tends l’oreille de ton cœur ? Si l’on appelle Marie l’Immaculée, c’est pour souligner que le plus important en elle est l’action de Dieu, Dieu qui prend l’initiative dans sa vie, qui lui parle. Et Marie écoute et médite en son cœur…

La seconde attitude que les textes soulignent est l’ouverture de Marie et de Jésus à accueillir leurs vocations propres, leurs missions personnelles. N’est-ce pas ce que souligne le récit de l’annonciation que nous venons d’entendre ? Comme l’exprime la réponse de Marie : ‘Je suis la servante du Seigneur. Que tout se passe pour moi comme tu l’as dit !’ (1,38). Il en est de même pour Jésus à l’agonie : ‘Père, si tu veux écarter de moi cette coupe… Pourtant, que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui se réalise’ (22,42). Marie et Jésus ont bénéficié, au départ, d’une expérience spirituelle profonde. Nous avons entendu le récit de celle de Marie. Pour Jésus, ce sera au baptême par Jean. Les textes évangéliques soulignent par la suite la manière dont ils ont vécu leur vocation et accompli leur mission d’une façon radicale : Marie en accepte dès le début toutes les conséquences, comme Jésus à la fin de sa vie. Deuxième attitude : l’acceptation profonde de leur vocation, de leur mission personnelle.

La troisième attitude qui me frappe est la réflexion conséquente à cette expérience spirituelle particulière. Dans le récit de l’Annonciation, Marie a reçu un signe : ‘Voici qu’Elisabeth, ta parente, est, elle aussi, enceinte d’un fils dans sa vieillesse et elle en est à son sixième mois, elle qu’on appelait la stérile, car rien n’est impossible à Dieu’ (1,36-37). Dans le récit de Luc, après que l’ange l’a quittée, il note : ‘En ce temps-là, Marie partit en hâte pour se rendre dans le haut pays, dans une ville de Juda’ (1,39). Marie reçoit un signe et se presse à aller rendre service à Elisabeth. Dans le récit du baptême de Jésus, après avoir entendu la voix ‘Tu es mon Fils bien-aimé ; il m’a plu de te choisir’ (Mc 1,11), Marc écrit : ‘Aussitôt, l’Esprit pousse Jésus au désert’ Il y passe 40 jours. Jésus accueille cette relation privilégiée à Dieu, Abba (papa). Et il prend le temps pour en vivre, seul, au désert, mais aussi pour y être tenté, vaincre les tentations, faire les choix fondamentaux, forger son avenir. Ainsi Marie et Jésus, tous les deux, tout au long de leur existence d’adultes, ont approfondi leur vocation propre, leur mission particulière.

Une quatrième attitude commune à Marie et à Jésus est leur attention aux besoins des autres. Nous le voyons pour Marie : après le récit d’aujourd’hui, selon l’évangile de Luc, elle reste 3 mois chez Elisabeth pour l’aider. On le voit aussi, dans le quatrième évangile, dans le récit des noces de Cana : ‘Comme le vin manquait, la mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont plus de vin » (Jean 2,3). De même pour Jésus. Plusieurs fois dans les évangiles, on nous dit que Jésus observait, qu’il regardait ce qui se passait, qu’il va à la rencontre de personnes qui souffrent, qu’il les soigne, qu’il les guérit, même le jour du sabbat, ne tenant pas compte des lois et des coutumes. Pour lui, la personne humaine est plus importante que la loi, que la coutume. Une parole de Jésus souligne l’importance de l’œil, de notre façon de regarder, d’être attentif aux besoins des autres : ‘La lampe du corps, c’est l’œil. Si donc ton œil est sain, ton corps tout entier sera dans la lumière’ (Matthieu 6,22). Observer pour comprendre ce qui se passe, ce que chaque personne éprouve, vit réellement, et répondre aux besoins des autres, attitude commune à Marie et Jésus.

La dernière attitude que je veux souligner – sans doute y en a-t-il d’autres – c’est la confiance qu’ils font, à Dieu, et aux autres… Pour Marie, on le voit dans le récit d’aujourd’hui, comme dans celui des noces de Cana : ‘la mère de Jésus dit aux servants : « Quoi qu’il vous dise, faites-le »’ (Jean 2,5). Jésus dit aussi, selon le même quatrième évangile : ‘Père, je te rends grâce de ce que tu m’exauces… Je sais bien que tu m’exauces toujours…’ (Jean 11,41-42). L’on pourrait citer bien d’autres passages.

Sœurs et Frères, j’ai choisi aujourd’hui de souligner ces cinq attitudes. Car Marie et Jésus sont des modèles pour nous. Nous sommes donc invités, en cette fête de nos deux Société-Congrégation, en cette année jubilaire de 150 ans, à réfléchir à ces 5 attitudes dans notre propre existence :

Quelle est la profondeur de notre écoute de la Parole de Dieu ? La gardons-nous dans notre cœur ? Prenons-nous le temps de la méditer ? Nous y référons-nous dans nos prises de décisions ? Comment accueillons-nous notre vocation propre, notre mission personnelle ? Non seulement au point de départ, mais au jour le jour ? Comment y répondons-nous ? Revenons-nous sur nos expériences spirituelles particulières ? Les relisons-nous ? Comment en approfondissons-nous le sens et l’importance ? Quelle est notre façon de voir les autres ? Comment les regardons-nous ? Comprenons-nous ce qu’ils vivent profondément ? Laissons-nous être touchés par leurs besoins ? Quelle est notre confiance en Dieu, dans les autres ? Comment la vivons-nous ? Comment l’exprimons-nous ?

Voilà quelques questions auxquelles nous sommes invités à répondre. Prenons le temps de le faire.

Guy Theunis, M.Afr.
Fête de l’Immaculée Conception
8 décembre 2018

Victor-Luke Odhiambo SJ — Une vie vécue où peu osent aller

Un hommage au prêtre jésuite Victor-Luke Odhiambo qui a été tué alors qu’il servait dans un collège de formation d’enseignants au Soudan du Sud. Francis Anyanzu SJ, prêtre jésuite d’origine ougandaise qui vit et étudie actuellement en Afrique du Sud, évoque sa vie de service dans un endroit isolé et très pauvre.

La traduction de l’anglais est faite rapidement avec l’aide du logiciel deepl.com En cas de doute, veuillez vous référer au poste original en anglais.

Victor-Luke Odhiambo SJ, un prêtre jésuite d’origine kenyane âgé de 62 ans, se trouvait dans la salle de séjour de la communauté jésuite Daniel Comboni à Cueibet, un endroit isolé du Soudan du Sud, lorsque des inconnus ont attaqué la maison dans la nuit de mercredi à jeudi, au petit matin du 15 novembre 2018.

Il vivait dans la maison avec trois compagnons jésuites, ainsi qu’un quatrième jésuite en visite, qui s’étaient tous retirés plus tôt dans leur chambre. Puis, aux petites heures du matin, ils ont entendu le bruit – et les coups de feu.

Les bruits de coups de feu sont monnaie courante ici et les menaces sur la vie des gens sont une horreur bien trop courante que les jésuites en mission au Soudan du Sud et tous ceux qui y vivent sont bien forcés de supporter. Le 15 novembre, cependant, les coups de feu étaient tirés dans le salon de la communauté jésuite. Vers 2h00 du matin, deux coups de feu étaient tirés et Victor-Luke était abattu dans la salle communautaire.

Le prêtre a été assassiné pour un mobile connu seulement de ses assassins. Tout ce que ses compagnons ont vu quand ils sont entrés dans le salon était un corps désormais sans vie. Il était trop tard pour alerter qui que ce soit de l’intrusion et de la fusillade.

Son cheminement à la suite du Seigneur, dès qu’il avait entendu son appel, a commencé en 1978 alors qu’il entrait au noviciat jésuite en Zambie. Il fut l’un des pionniers parmi les scolastiques jésuites du Collège Hekima et le premier jésuite du Kenya à être ordonné diacre à l’ école de théologie jésuite au Kenya où beaucoup de jésuites d’Afrique et de plus loin viennent pour leur formation en théologie.

Il a été le fer de lance d’un certain nombre d’initiatives éducatives des Jésuites d’Afrique de l’Est et l’un des « Pères fondateurs » du collège jésuite de Dar es Salaam, en Tanzanie. Depuis 2008, il était directeur de l’école secondaire « Loyola House » à Wau, au Sud-Soudan. Loyola House avait été transformée en école après avoir servi de caserne militaire pendant la guerre. Il a également enseigné l’anglais au centre informatique et écologique St Pierre Claver à Rumbek et était devenu le premier directeur de l’école normale « Mazzolari » à Cueibet – où il devait rencontrer sa mort. Il est le premier jésuite à mourir en service au Soudan du Sud. Sa mort est extrêmement douloureuse pour tous ceux qui l’aimaient.

RIP Fr Victor-Luke Odhiambo SJ, 1956–2018
RIP Père Victor-Luke Odhiambo SJ, 1956–2018

J’ai rencontré Victor pour la première fois à la Curie jésuite (Maison Provinciale) à Nairobi. Il avait une personnalité très douce et sans prétention – une personne avec qui on vivait simplement et agréablement. Son désir de se contenter du strict minimum nécessaire pour vivre, même lorsqu’il venait à Nairobi, était une façon de témoigner de la frugalité de la vie au Soudan du Sud où des milliers de personnes n’ont pas les commodités de base pour vivre.

Un homme de sagesse qui pesait soigneusement ses opinions avant d’intervenir dans les dossiers. Un jésuite avec une profondeur intellectuelle. Il était très bien informé, aussi bien dans le domaine des sciences qu’en théologie et en littérature. Son engagement envers le peuple du Soudan du Sud est incontestable. Même lorsque les conflits étaient à leur apogée, Victor restait toujours avec les gens, n’abandonnant jamais les « moutons » qui lui étaient confiés. Un disciple dévoué à la vision et à la pratique de Jésus d’être avec « les plus petits d’entre nous ».

Le P. Arturo Sosa, supérieur général des Jésuites écrivant à la province d’Afrique de l’Est, où Victor-Luke a servi, salue le grand héritage qu’il nous laisse.

C’était un homme très courageux, intelligent, attentionné, administrateur créatif et surtout un croyant en la valeur de l’éducation. Il n’avait pas peur de s’aventurer dans l’inconnu, même dans les endroits les plus dangereux, une fois convaincu que c’était la mission du Seigneur. Son exemple de dévouement désintéressé en tant que directeur demeure un défi pour beaucoup de nos jeunes frères dans la Compagnie de Jésus. Il est une lumière qui s’est éteinte, après avoir éclairé d’autres lumières. Comme un grain de blé qui meurt pour porter beaucoup de fruit. Et c’est notre consolation.

L’école normale de Mazollari à Cueibet, la mission jésuite où Victor a été tué, est la plus récente oeuvre de collaboration apostolique entre la province jésuite d’Afrique orientale et le diocèse de Rumbek.  Le collège était une initiative de feu Mgr Mazollari, évêque du diocèse de Rumbek, dont le but était de répondre au manque d’enseignants dans le Sud-Soudan. Pendant la longue période de guerre civile, l’infrastructure éducative du pays s’est effondrée et a atteint un niveau des plus déplorables. Le processus de reconstruction du pays a nécessité le recrutement d’enseignants pour l’éducation de base dans les pays voisins et ailleurs.

Cueibet est situé dans les parties les plus reculées de la ville de Rumbek, la capitale de l’Etat du Lac du Sud Soudan, dans la zone du clan Dinka Gok qui est l’un des clans de la communauté Dinka de l’Etat du Lac. L’endroit a toujours été un foyer de tensions ethniques entre les Gok et les clans Dinka voisins. Nous, les Jésuites, travaillons ici depuis environ deux ans, où nous restons pleinement engagés dans la mission de réconciliation en fournissant une éducation dans les zones de fracture où peu osent aller.

Victor-Luke Odhiambo SJ croyait fermement en l’avenir du plus récent pays d’Afrique. Au cours des dix dernières années, il s’est donné entièrement à cette fin. Selon lui, éduquer les gens peut apporter un changement important et permettre aux gens d’avoir un avenir. Lors des réunions jésuites, il a souvent parlé de l’importance de l’éducation si l’on veut que la paix et le développement se réalisent un jour dans le Soudan du Sud.

Nous déplorons une grande perte pour les Jésuites, pour sa famille et ses amis. Mais jusqu’au jour de sa mort brutale, il a semé des graines d’espoir et de courage pour tous ceux qui veulent voir un Soudan du Sud stable. Le provincial des Jésuites d’Afrique de l’Est, Joseph Oduor Afulo SJ, qui prêchait à ses funérailles, a prononcé les paroles suivantes avant de déposer son corps au tombeau.

“Comme une graine, il est mort pour que de bonnes bases éducatives et une foi profondément enracinée puissent trouver des racines solides à Cueibet, dans l’état de Gok et au Soudan du Sud. Il a été répandu comme l’eau de la libation pour donner vie à l’éducation de base et à la connaissance intime du Christ dans ce pays.”

Une mort comme la sienne prouve que le ministère dans les zones de fracture n’est pas quelque chose dont on peut rêver de loin, mais une réalité dans laquelle et pour laquelle des gens comme Victor choisissent de vivre. Ce n’est pas en vain qu’il a donné son dernier souffle pour cela.

L’article original a été posté sur le site Spotlight Africa

Entretien avec Paul Desfarges

Ce poste reprend un article de Jeune Afrique de décembre 2018



Entretien avec Paul Desfarges

« Cette béatification est l’occasion de préparer la venue du pape »

Moines de Tibhirine, relations avec les autorités, dialogue interreligieux, prosélytisme évangélique: le prélat livre sa vision du rôle de l’Église catholique dans le pays.

(Propos recueillis par Farid Alilat)

Dix-neuf religieux catholiques, moines, Pères blancs et bonnes sœurs, assassinés dans les années 1990 lors de la décennie noire, seront élevés au rang de bienheureux le 8 décembre à la basilique de Santa Cruz, à Oran. La mémoire de 114 imams victimes du terrorisme sera également honorée. Jean-Paul Vesco, évêque d’Oran, John Mac William, évêque de Laghouat-Ghardai, Jean-Marie Jehl, administrateur de Constantine et de Hippone, et Paul Desfarges, archevêque d’Alger, seront présents. Ce dernier explique pour JA le sens de l‘événement et revient sur la place de l’Église en Algérie.

Jeune Afrique : Comment a été prise la décision de la béatification de ces 19 religieux?

Mgr Paul Desfarges : C’est l‘aboutissement d’une longue enquête qui a rassemblé tous les témoignages concernant la vie et les écrits de ces hommes et femmes de foi. Au terme d’un travail qui a duré, le pape François a signé un décret autorisant leur béatification. Il est juste que ces 19 personnes soient montrées comme des exemples de vie selon l’Évangile, des modèles de don de soi à Dieu et à l’humanité, et de foi profonde.

Quelle est la symbolique de cette cérémonie et de cette décision du pape?

Pour notre Église, elles sont une attestation de la fraternité par-delà ce qui peut apparaître comme des barrières. On peut témoigner, chrétiens et musulmans, chercheurs de sens et personnes de bonne volonté, qu‘on peut vivre ensemble parce qu‘au fond il y a une fraternité humaine qui nous unit. Nous sommes dans un climat de pardon, de paix et de réconciliation.

Qui sont sont d’ailleurs 19 religieux élevés au rang?

Il y a les 7 moines du monastère de Tibhirine, enlevés et tués au printemps 1996. Il y a également 4 pères blancs assassinés en janvier 1995 dans leur presbytère de Tizi-Ouzou, en Kabylie. Nous avons aussi frère Henri Vergès et sœur Paul-Hélène Saint-Raymond, suppliciés en mai 1994 dans leur bibliothèque, dans le quartier populaire de la Casbah, à Alger. Il y a Esther Paniagua Alonso et Caridad Álvarez Martin, 2 religieuses espagnoles tuées en octobre 1994 dans le même quartier. Seront aussi béatifiées 3 sœurs missionnaires assassinées à Alger en septembre et en novembre 1995. Et enfin, Mgr Pierre Claverie, évêque d’Oran, assassiné en août 1996 dans l’explosion d’une bombe déposée devant son évêché, qui a tué également son chauffeur. En ce qui concerne les 7 moines trappistes de Tibhirlne, l‘enquête n‘a pas encore fait toute la lumière sur les circonstances du rapt qui a conduit à leur assassinat. Le dossier continue de susciter tensions et malaises entre Alger et Paris. Cette béatification va-t-elle apaiser ces tensions? Ce n’est pas du tout le souci de notre Église. Nous avons toujours pensé qu’ils étaient morts parce qu’ils avaient, de fait, pris le risque, se sachant menacés, de rester au monastère de Médéa et parmi la population algérienne. Leur relation avec les voisins et partenaires était plus importante que la protection de leur vie. C’est ce qui fait qu’ils sont des témoins et des martyrs. Du reste, ce n’est pas nous, en tant qu’Église, qui avons demandé une enquête sur leur mort. Nous sommes proches des gens de Médéa, et pour eux il est évident qu’ils ont été enlevés et tués par un groupe islamique armé. Je n’ai aucune autre information. Et encore une fois, ce n’est pas le sens que nous voulons donner à cette béatification. Ils avaient déjà donné leur vie lorsqu‘on la leur a prise.

Savez-vous qui représentera les autorités algériennes lors de la cérémonie?

Depuis le début de ce processus, nous avons été très bien accompagnés par les autorités algériennes, en particulier le ministre des Affaires religieuses, qui a tout entrepris pour que tout se passe dans les meilleures conditions. Il sera présent à cette cérémonie, ainsi que des imams. Nous voulons célébrer cette béatification non pas entre chrétiens mais avec nos amis et nos voisins musulmans qui, eux aussi, ont souffert et perdu les leurs pendant cette décennie noire. Nous voulons aussi honorer la mémoire des 114 imams. hommes de foi et de fidélité à leur conscience, qui ont perdu la vie parce qu’ils n‘ont pas voulu signer des fatwas et cautionner les violences des groupes armés. Sans oublier les journalistes, les intellectuels et les artistes qui ont péri durant ces années-là.

C’est donc un moment de communion entre chrétiens et musulmans…

Nous sentons que c’est un moment de communion, de paix et de rassemblement, qui ne sera pas tourné vers le passé mais sur le présent du vivre-ensemble. Les 19 martyrs ont pris le risque de mourir plutôt que de quitter celles et ceux avec lesquels ils vivaient et qui étaient le sens de leur vie.

Pourquoi le pape François, qui se rendra au Maroc en mars 2019, n‘assistera-t-il pas à cette cérémonie de béatification?

Je crois qu’il y a eu des retards, et le pape ne vient pas systématiquement aux béatifications. Celle-ci est proche d’une année électorale [présidentielle algérienne de 2019]. Les autorités nous ont fait comprendre qu’il valait mieux attendre un peu. Ce n’est que partie remise. une éventuelle visite du pape en Algérie est donc en discussion avec les autorités? Les Algériens sont disponibles et favorables à la venue du Saint-Père. Nous en avons eu l’assurance, mais les conditions ne sont pas encore réunies pour une visite. Je pense que cette béatification est une occasion de préparer une venue du pape après les prochaines élections. Quelle est aujourd’hui la place de l’Église catholique d’Algérie alors qu‘on assiste depuis quelques années à l‘émergence d‘un protestantisme évangélique? Nous suivons notre vocation d’Église universelle. Nous sommes une Église internationale avec une communauté d‘expatriés, de diplomates, d’étudiants qui viennent de l‘Afrique subsaharienne, de migrants originaires de cette partie de l’Afrique, ainsi que d’Algériens de confession chrétienne. Notre vocation est d‘aimer et de servir comme le disait saint Augustin. Nous nous situons dans la longue tradition de saint Augustin.

Le prosélytisme des Églises évangéliques vous inquiète-il ? Ou cela fait-il partie de la pratique de la vie religieuse?

Notre Église catholique ne fait pas de prosélytisme. Nous croyons au témoignage dans l’amour et la fraternité, et tout croyant sincère témoigne de sa foi. Nous n’allons chercher personne car c’est Dieu qui convertit. On ne se convertit qu’à Dieu. Nos frères évangéliques ont une autre pratique de la religion. Nous avons des liens fraternels avec certains, mais chacun sa vocation.

Sentez-vous un regain religieux en Algérie?

Oui. On sent que ce peuple est fier de sa foi musulmane. Nous constatons aussi que, dans la société, il y a des questions qui se posent. Il y a des gens qui cherchent un islam ouvert et tolérant, un espace de liberté plus grand.

Comment le dialogue interreligieux a-t-il évolué en Algérie ces dernières années?

On peut se parler avec beaucoup plus de vérité et se reconnaître dans ce qui nous rapproche. Malgré les différences, l‘essentiel réside dans la communion spirituelle. Nos 19 martyrs sont pour nous un chemin vers cette rencontre spirituelle. On peut se retrouver entre chrétiens et musulmans dans des moments de partage, de prière et de méditation sans entrer dans des discussions théologiques. Les spirituels de chaque religion peuvent se rencontrer au niveau profond de la foi.

En tant qu’Archevêque d’Alger, quelles relations entretenez-vous avec le ministre algérien des Affaires religieuses?

D’excellentes relations à titre personnel. Mes frères évêques aussi ont de très bonnes relations avec le ministre Mohamed Aîssa Il est attentif à la vie de notre Église et, chaque fois que nous soulevons une question, il fait preuve d’écoute.

Justement, l’un des problèmes soulevés est celui du refus des autorités d’accorder des visas à certains religieux. A-t-il été réglé?

Il n‘est pas réglé. C‘est l’une de nos difficultés. On ne comprend pas toujours ces refus. Le problème des visas ne concerne pas uniquement les religieux et les religieuses, d‘ailleurs. Et ce n’est pas non plus un refus absolu. Certains visas sont accordés. d‘autres très longs à obtenir. et quelques-uns refusés. Nous sommes encore dans le dialogue avec le ministre des Affaires religieuses. mais cette question ne dépend pas totalement de lui.

Sous-catégories

Les informations sur nos maisons de formation datent de quelques années, et nous avons demandé aux responsables de ces maisons de nous donner des nouvelles plus récentes.
La première réponse reçue vient de Samagan, le noviciat près de Bobo-Dioulasso (lire la suite)

 

La deuxième réponse nous a été donnée par la "Maison Lavigerie", notre maison de formation à la périphérie de Ouagadougou, où les candidats ont leurs trois premières années de formation (lire la suite)