Tchad : Hinda Déby Itno, de reine de N’Djamena à étudiante de Neuilly

Puissante parmi les puissants alors que son mari, Idriss Déby Itno, régnait sur N’Djamena, l’ancienne première dame a peu à peu vu son étoile pâlir. En délicatesse avec certains de ses anciens beaux-fils, elle a entamé une nouvelle vie en France. Révélations.

Mis à jour le 27 décembre 2022 à 09:41

 
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Hinda Déby © ASHRAF SHAZLY/AFP

[Série] Femmes de l’ombre… et de pouvoir (2/5) – À l’ouest de Paris, dans la banlieue chic et bourgeoise de Neuilly-sur-Seine, la discrétion est de mise. Ici, l’élite côtoie l’élite. Le patrimoine moyen d’un contribuable habitant la ville, selon une étude de 2022, atteint près de 3 millions d’euros et, sur 1 000 ménages, près de 150 sont soumis à l’impôt sur la fortune. Alors forcément, dans les écoles de la ville, les meilleurs professeurs forment les plus jeunes à prendre la succession de leurs parents. Critique, le sociologue Pierre Bourdieu appelait le phénomène « reproduction sociale ». Mais, à Neuilly-sur-Seine, dans l’ex-fief de Nicolas Sarkozy, c’est simplement un système bien huilé.

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Sur les bancs des classes du « système », de nouveaux élèves ont fait leur apparition au début de l’année scolaire 2022-2023. Ils ne sont ni fils de banquiers, ni héritiers de grandes familles bourgeoises. Leur père, Idriss Déby Itno, a été maréchal du Tchad et président du pays pendant plus de trente ans. Leur mère, Hinda Déby Itno, les a inscrits à Neuilly-sur-Seine car c’est désormais ici qu’elle réside, loin des remous de N’Djamena, où elle a jadis été l’une des plus puissantes alliées de son époux. Depuis juillet 2022, l’ancienne première dame – qui a obtenu la nationalité française en 2017 – y vit un exil discret.

Le temps du deuil…

Retour à N’Djamena, le 23 avril 2021. Emmanuel Macron a fait le déplacement dans la capitale tchadienne pour assister aux obsèques d’Idriss Déby Itno, tué quelques jours plus tôt dans des combats face aux rebelles du Front pour l’alternance et le changement au Tchad (Fact). Jean-Yves Le Drian, son ministre des Affaires étrangères, est debout derrière lui, à moins de deux mètres de la personnalité du jour, Mahamat Idriss Déby Itno, qui a pris la tête du Conseil militaire de transition (CMT). Mais beaucoup de Tchadiens n’ont en réalité d’yeux que pour un autre membre de la famille, en voile, robe longue et lunettes noires : Hinda Déby Itno.

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Visiblement très affectée, elle est entourée de ses plus jeunes enfants. À la tribune, elle rend hommage au défunt, avec qui elle avait convolé en justes noces en 2005 et qu’elle accompagnait encore quelques jours plus tôt dans les meetings de campagne. Sans doute se remémore-t-elle quelques-uns des moments marquants des seize années d’exercice du pouvoir commun. Sans doute aussi tente-t-elle de discerner les contours de sa nouvelle vie. Veuve, ancienne première dame, elle sait déjà, ce 23 avril, que son monde et celui de sa famille ne seront plus jamais les mêmes.

Pendant près d’un an, elle ne fait plus d’apparition publique. Dans le secret de la résidence qui jouxte le palais présidentiel, et qu’elle occupait déjà avec Idriss Déby Itno, elle observe le deuil, épaulée par sa mère, Mariam Abderahim Acyl. Elle continue de s’intéresser aux activités de sa fondation Grand cœur, dirigée sur le terrain par la secrétaire générale Habiba Sahoulba. Quelques distributions de matériel dans les domaines de l’éducation et de la santé sont encore organisées mais l’activité décline. L’ambiance est morose. Et pour cause : l’arrivée au pouvoir de Mahamat Idriss Déby Itno est loin de lui avoir été favorable.

… du déclin

Le nouveau maître de N’Djamena fait pourtant plutôt partie de ses protecteurs. Le patron du CMT a même conservé comme aide de camp Khoudar Mahamat Acyl, un frère de l’ex-première dame qui officiait déjà auprès du président défunt. Deux autres frères, Abderahim Mahamat “Abbo” Acyl et Ahmat Khazali Acyl, ont eux aussi gardé leurs postes, respectivement à la Société des hydrocarbures du Tchad (SHT) et à la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS). Mais, inexorablement, le vent du désert va tourner. En décembre 2021, des ennuis judiciaires viennent frapper la famille.

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Dans le cadre d’une enquête sur la mort du colonel Nousradine Khamis Hassaballah, assassiné le 8 décembre à N’Djamena, les soupçons vont en effet rapidement s’orienter vers Khoudar Mahamat Acyl et Ahmat Khazali Acyl. Sont-ils les commanditaires du meurtre, dont le mobile serait un différend foncier ? Ils sont arrêtés puis incarcérés dans les locaux des renseignements généraux pendant de longs mois. Ils ne retrouveront la liberté qu’en mars 2022, l’affaire étant finalement classée sans suite. Mais les deux frères, qui ont vécu l’épisode comme une humiliation, ont perdu toute influence à N’Djamena.

AUJOURD’HUI, LES TROIS FRÈRES D’HINDA SONT TENUS À L’ÉCART

Aujourd’hui, l’ancien aide de camp d’Idriss Déby Itno n’exerce plus et vit discrètement au Tchad, en attendant des jours meilleurs. Quant à l’ex-patron de la CNPS, il a pris le chemin de l’exil et réside aux États-Unis. Abderahim Mahamat « Abbo » Acyl a lui aussi dit adieu à ses fonctions convoitées à la SHT. Remplacé dès le 28 mai 2021 sur décret de Mahamat Idriss Déby Itno, il a décidé de lancer un parti politique, le Mouvement pour la justice et l’équité, au sein duquel il entend dénoncer les « trente ans de gabegie » du régime d’Idriss Déby Itno. « Aujourd’hui, les trois frères sont tenus à l’écart », résume un proche de leur famille à N’Djamena.

… et de l’exil

Hinda Déby Itno était-elle la cible de ce mouvement de fonds dans le marigot tchadien ? Depuis son mariage, l’ancienne première dame avait pris soin de placer ses proches aux postes-clés, avec l’assentiment d’Idriss Déby Itno. Du pétrole aux douanes en passant par l’armée, les Acyl avaient tissé leur toile, en s’appuyant sur l’influence de leur sœur, installée au plus près du pouvoir. Au point de faire des envieux jusque dans l’ »autre » famille du président, les Itno ? « À la minute où le maréchal est décédé, le sort des frères d’Hinda était joué. Il y a eu une énorme pression pour écarter les Acyl », ajoute notre source.

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Parmi les fils du défunt président, Zakaria – l’aîné – et Seïd Idriss Déby (ancien directeur de la SHT) semblent avoir été les premiers à prendre en main l’opération. En revanche, Mahamat Idriss Déby Itno a longtemps tenté de calmer le jeu. « Hinda ne s’est jamais entendue avec les aînés. Mais ses rapports étaient un peu meilleurs avec Kaka [surnom du chef de l’État] », confie un proche de la présidence. Mais l’affrontement, en coulisses, était inévitable. « Le déclencheur a été l’héritage du maréchal. À sa mort, il a fallu faire un inventaire, et certains des fils étaient persuadés qu’Hinda avait dissimulé une partie des biens », confie notre source familiale.

Les investigations des détracteurs de l’ex-première dame ne donneront rien. Selon les indiscrétions recueillies par Jeune Afrique, l’héritage répertorié a finalement été réparti entre Hinda et chacun des enfants de l’ex-chef d’État, des plus âgés aux plus jeunes. Puis, vers le milieu de 2022, l’exil a fini par s’imposer. L’ex-épouse a-t-elle voulu mettre un terme à son deuil ? Souhaitait-elle échapper aux tensions ? « Ce n’était pas une vie », glisse un proche. À Neuilly-sur-Seine, riche parmi les riches, Hinda Déby Itno a décidé d’entamer une nouvelle vie : selon une source française, elle s’est inscrite pour reprendre des études dans une grande école parisienne.