Sénégal : dix choses à savoir sur Mimi Touré, fidèle de Macky Sall devenue rebelle

L’ex-Première ministre vient de claquer la porte de la majorité présidentielle, allant jusqu’à proposer une loi ciblant la famille du chef de l’État. Coup de projecteur sur le parcours de cette frondeuse qui fut la tête de liste aux dernières législatives.

Mis à jour le 20 octobre 2022 à 11:04

 

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Aminata Touré, ancienne Première ministre du Sénégal. © Montage JA : Sylvain Cherkaoui pour JA.

DIX CHOSES À SAVOIR SUR – Parmi les alliés de Macky Sall, elle était sans doute la plus capée. Mais depuis les législatives du 31 juillet, le divorce semble consommé entre Aminata « Mimi » Touré et le chef de l’État. Pour entériner ce clash politique, la députée, tête de liste de la coalition présidentielle lors de ces dernières élections, a déposé une proposition de loi « limitant l’exercice de fonctions et responsabilités dans les institutions de la République en rapport avec l’existence de liens familiaux avec le président de la République ».

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Une déclaration de guerre qui ne dit pas son nom mais qui vise, sans s’en cacher outre mesure, l’entourage proche de Macky Sall – en particulier sa famille. Quelles sont les racines de « Mimi », la fidèle devenue rebelle, qui ne fait plus mystère de ses ambitions en vue de la présidentielle de 2024 ?

1. Népotisme

L’initiative est symbolique mais conforme à l’approche tonitruante de l’intéressée. Ce 10 octobre, Aminata Touré a déposé une proposition de loi « limitant l’exercice de fonctions et responsabilités dans les institutions de la République en rapport avec l’existence de liens familiaux avec le président de la République ».

Et d’énumérer ensuite les fonctions taboues (« Premier ministre, président d’institution, chef d’état-major des armées, directeur ou directeur général d’un établissement public ou d’une société où l’État dispose d’une part majoritaire des actions, ambassadeur, consul »…) et les relations familiales susceptibles de poser problème : ascendants, descendants, frères et sœurs, descendants des frères et sœurs du président de la République et/ou de son conjoint. Venant d’une députée non inscrite, la proposition a peu de chances d’aboutir… Mais elle est censée marquer les esprits.

2. Conflit d’intérêts

Cette question, Aminata Touré la connaît bien. Lorsqu’elle est nommée à la Justice, en 2012, au lendemain de l’élection de Macky Sall, son ex-mari, Oumar Sarr, père de l’une de ses filles, est un adversaire politique résolu du nouveau chef de l’État. Ministre quasi inamovible d’Abdoulaye Wade durant ses deux mandats, nommé secrétaire général adjoint du Parti démocratique sénégalais (PDS) quand le patriarche passe la main – sans vraiment lâcher les rênes du parti –, en 2012, il se retrouve un temps dans le viseur de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI).

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Il ne sera jamais véritablement inquiété, mais comment Mimi Touré l’a-t-elle vécu à l’époque ? « Il n’y a jamais eu de ‘scène’ entre nous à ce propos. Les extrémistes des deux camps parlaient souvent d’un pacte secret de non-agression », résume-t-elle. Depuis 2019, Oumar Sarr est ministre des Mines et de la Géologie.

3. Sportive

Elle fut championne scolaire et universitaire du 200 mètres au Sénégal, puis invitée comme « jeune athlète prometteur » aux Jeux olympiques de Moscou en 1980, à l’âge de 18 ans. Elle fut aussi judoka et footballeuse, en l’occurrence défenseure latérale dans l’équipe des Gazelles de Dakar. « Défenseure, une compétence utile ces temps-ci », ironise-t-elle. Elle est aussi une amie de jeunesse de l’actuelle secrétaire générale de la Fifa, Fatma Samoura.

4. Anti-apartheid

Mimi Touré voue une grande admiration à Nelson Mandela : « J’ai grandi dans une période d’intensité politique internationale : la lutte contre l’apartheid, tout comme le massacre qui a suivi les émeutes de Soweto, en juin 1976, m’ont marquée. J’avais alors 14 ans. » Ce combat sera l’élément déclencheur de son engagement politique, au lycée puis à l’université, en France.

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« En raison du combat de Mandela, bien sûr, mais aussi pour la capacité qu’il a eue à transcender des souffrances injustement infligées et à pardonner à ses bourreaux. Je l’admire encore pour n’avoir pas succombé à la tentation de s’accrocher au pouvoir. »

5. Extrême-gauche

Ancrée à la gauche de la gauche, elle milite dès son adolescence à la Ligue communiste des travailleurs (LCT), qui allait devenir le Mouvement pour le socialisme et l’unité (MSU). Arrivée en France pour ses études en 1981, quatre mois après l’élection de François Mitterrand, elle assiste à « l’espérance d’un grand bouleversement, à la confrontation de ce nouveau régime à la réalité du pouvoir et aussi à son adaptation aux réalités économiques et sociales ».

Revenue au Sénégal, elle sera, en 1993, la directrice de campagne de Landing Savané, dont elle rejoindra, l’année suivante, le parti, And-Jëf/Mouvement révolutionnaire pour la démocratie nouvelle (AJ/MRDN).

6. Troisième mandat

Elle ne veut pas en entendre parler, au Sénégal ni ailleurs sur le continent. Selon elle, ici réside la pomme de discorde qui l’a incitée à larguer les amarres avec Macky Sall.

Tous deux sont de la même génération – il est né en 1961, elle, en 1962 –, et cela a contribué à forger leur complicité. « Il portait un espoir en matière de modernité, de renouveau, d’audace… Il prétendait faire les choses autrement », explique-t-elle. À l’en croire, le chef de l’État lui aurait plusieurs fois assuré qu’il ne briguerait pas un troisième mandat. « Les dispositions adoptées en 2001 sont d’ailleurs claires sur ce point, il suffit de relire l’article 27 de la Constitution, ajoute-t-elle. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs. »

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« Il ne s’agit pas seulement de la démocratie sénégalaise : sur le continent, depuis que ce type de limitation est inscrite dans les Constitutions, 21 chefs d’État, dans 14 pays, ont quitté leur fonction du fait des dispositions sur la limitation des mandats », déclarait-elle à Jeune Afrique en décembre 2020.

7. Face à Wade

Elle n’aura ménagé ni le père, ni le fils. « Abdoulaye Wade avait fini par désespérer tous les intellectuels du pays », résume-t-elle, en évoquant la fin du second mandat du prédécesseur de Macky Sall. C’est lorsqu’elle devient ministre de la Justice que des poursuites sont lancées contre le fils de l’ex-président, Karim. Lequel finira par être condamné, en mars 2015, à six ans de prison ferme et 138 milliards de F CFA d’amende pour enrichissement illicite. Incarcéré à la prison de Rebeuss, à Dakar, il y passera trois ans et deux mois.

8. Enrichissement illicite

Réhabilitée en 2012, lorsque Mimi Touré vient d’être nommée à la Justice, après trois décennies de mise en sommeil, la CREI, dont les décisions ont été contestées à l’international à plusieurs reprises, n’a-t-elle pas montré ses limites ? « Nous avons travaillé avec les outils que nous avons trouvés à l’époque : la CREI, le code pénal, etc. La reddition des comptes était – et reste – une exigence des populations. Il y a eu par la suite un projet de reformer la CREI, avec l’idée d’aller vers des parquets financiers au sein des tribunaux de grande instance. C’eût été une bonne chose pour systématiser la lutte contre le pillage des deniers publics. »

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9. En rythme

Elle se définit volontiers comme une mélomane et explique s’être fait plaisir, durant la dernière campagne électorale, en se trémoussant aux sons des musiques du ngoyane de son Saloum natal. « Quand on dit que la musique adoucit les mœurs, c’est tellement vrai ! », lâche-t-elle, regrettant que l’Afrique soit assise « sur un patrimoine immatériel qu’on laisse mourir ». « La musique, dit-elle encore, est un secteur économique à mieux organiser et qu’il faut appuyer pour que les talents vivent véritablement de leur art. »

10. Intransigeante

Depuis qu’un projet d’amnistie susceptible de profiter à des personnalités politiques rendues inéligibles par une condamnation pénale a été évoqué en Conseil des ministres, elle a fait connaître sa désapprobation : « Si [une telle loi] vient à l’Assemblée nationale, je ne la voterai pas ! » Malgré le bilan mitigé de la CREI, Mimi Touré n’en démord pas : Karim Wade a été condamné et elle se refuse à tourner la page.