Côte d’Ivoire : Ally Coulibaly, l’ombre d’Alassane Ouattara

En poste depuis 2021, le conseiller spécial appartient au cercle d’intimes du chef de l’État depuis plus de trente ans. Portrait d’un érudit, tour à tour ambassadeur et ministre, devenu l’un des hommes clés du système Ouattara.

Mis à jour le 6 octobre 2022 à 19:54
 

ally

 

Ally Coulibaly, alors ministre de l’Intégration africaine, au côté du président Alassane Ouattara lors de la cérémonie d’ouverture du sommet de l’UA, au Palais des congrès de Niamey, le 7 juillet 2019. © ISSOUF SANOGO / AFP

Ce 8 juin 2021, dans l’immense hall du ministère des Affaires étrangères, en plein cœur du quartier des affaires d’Abidjan, Ally Coulibaly s’apprête à passer le relais à Kandia Camara. Celle qui fut ministre de l’Éducation pendant dix ans prend du galon. Désormais, il lui incombe la lourde tâche de diriger la diplomatie ivoirienne. Une année durant, ce fut celle d’Ally Coulibaly. « Je vais me retirer dans mon village et m’adonner à ma passion, la littérature », affirme-t-il au détour du discours qu’il prononce devant plusieurs dizaines de collaborateurs.

Dans l’assistance, où règne une ambiance bon enfant, l’annonce de ce départ anticipé de la vie politique fait sourire. Qui peut croire à la retraite d’Ally Coulibaly dans sa résidence de Niéméné, son village natal, situé dans le département du Dabakala (Nord-Est) ? Personne. Enfin, certainement pas tout de suite.

Un mois et demi plus tard, Ally Coulibaly sera nommé, à 70 ans, conseiller spécial auprès du président Ouattara. « Auprès du président et non pas conseiller du président », fait-il remarquer. Une subtilité souhaitée par le chef de l’État pour mieux marquer leur proximité. « Tu es le seul à avoir cette fonction », lui dit-il au moment de sa nomination.

À LIRECôte d’Ivoire : dix choses à savoir sur Patrick Achi, l’un des hommes clés d’Alassane Ouattara

Petit frère

Au départ, l’idée d’un portrait qui lui serait consacré ne l’enthousiasme guère. « Pourquoi voulez-vous parler de moi ? Je suis au service d’Alassane Ouattara et de son action, c’est tout ce qui compte, c’est tout ce qu’il faut dire. » Certes. Mais comment parler de l’action du président ivoirien sans parler d’Ally Coulibaly ? Comment évoquer la trajectoire politique du chef de l’État sans dire un mot de celui qui fait partie de son cercle d’intimes depuis la fin des années 1980 ? « Vous allez le décrire comme un fidèle du président ? Non, il faut trouver un mot plus fort », s’amuse un responsable politique un temps opposant.

À LIRECôte d’Ivoire : football et politique, les liaisons dangereuses

Et en effet, qualifier Ally Coulibaly de « fidèle » paraît un peu réducteur tant la relation qu’ont noué les deux hommes a depuis longtemps débordé du cadre de la politique. En mars 2022, Alassane Ouattara s’est rendu aux obsèques de la mère de son conseiller. « Elle le considérait comme son fils, dit ce dernier, ému. Il leur arrivait de se parler sans que je sois prévenu ».

Dans le privé ou lors de leurs échanges téléphoniques, quasi-quotidiens, Ally Coulibaly appelle immuablement Ouattara « mon grand frère ». Le président lui répond par un affectueux « mon compagnon ». « On peut ne pas être d’accord sur tout, mais [le chef de l’État] sait que ma loyauté lui est acquise à jamais. Ce n’est pas un alignement aveugle, nous discutons, mais nous avançons dans le même sens, depuis toujours », explique-t-il.

Destins scellés

« J’ai très vite cru en l’homme », poursuit-il en évoquant sa rencontre « en deux temps » avec Alassane Ouattara. « Un coup du destin », croit-il. En 1987, il est directeur de l’information de la toute-puissante Radiodiffusion télévision ivoirienne (RTI), où il est entré en 1972 comme rédacteur en chef adjoint, et croise brièvement à Abidjan celui qui occupe les fonctions de directeur Afrique du Fonds monétaire international (FMI).

L’année suivante, leurs destins vont se sceller. Vamoussa Bamba, qui deviendra ministre de l’Éducation de Félix Houphouët-Boigny, les présente à l’occasion des obsèques du gouverneur Abdoulaye Fadiga, dont Ouattara a été un proche collaborateur à la BCEAO. « Je venais de faire la connaissance de l’un des hommes qui donneraient à la suite de mon existence une dimension et des perspectives auxquelles rien ne me prédestinait », écrit Ally Coulibaly dès les premières pages de son livre Alassane Ouattara, ce que je sais de l’homme, préfacé par son ami Ibrahim Sy Savané, actuel ambassadeur de Côte d’Ivoire en Tunisie. Mais c’est trois ans plus tard qu’une nouvelle rencontre entre les deux hommes sera déterminante, pour l’un, comme pour l’autre.

« À la une »

Au début des années 1990, Ally Coulibaly, qui a gravi tous les échelons de la RTI, en est devenu le directeur général. Mais l’ancien reporter radio est aussi devant les caméras. Il lance une émission politique qui marquera toute une génération d’Ivoiriens : « À la une », deux heures de débats entre des personnalités politiques et des journalistes.

Le 1er octobre 1992, le Premier ministre s’installe autour de la table. « Je me souviens parfaitement de la date, il s’agissait du premier véritable grand oral de Ouattara », se souvient l’un des amis et anciens confrères d’Ally Coulibaly.

Ce jour-là, deux mots font l’effet d’une bombe : « On verra », lâche Alassane Ouattara lorsqu’il est interrogé sur ses éventuelles prétentions à la magistrature suprême. Chacun y voit la volonté du Premier ministre de succéder à Félix Houphouët-Boigny, alors malade, et un affront à l’égard d’Henri Konan Bédié, président de l’Assemblée nationale. « Ally est devenu la cible de tous ceux qui n’ont pas apprécié qu’il donne une telle visibilité à Ouattara. Et ils étaient nombreux. Le destin d’Ally, de mon point de vue, a basculé à ce moment-là », poursuit l’ancien confrère.

Un mois plus tard, un autre « À la une » fera des remous. Coulibaly, formé à l’école supérieure de journalisme de Dakar et à l’Institut français de presse (IFP) de Paris, invite Laurent Gbagbo sur son plateau. Le multipartisme vient de s’imposer, avec la reconnaissance officielle du Front populaire ivoirien (FPI) en 1990, et l’homme de presse entend faire découvrir le pluralisme aux Ivoiriens. « Je tenais à l’équilibre », insiste-t-il. Les autorités, beaucoup moins. Félix Houphouët-Boigny finit par le convoquer. « Je crois avoir convaincu [le président] de faire confiance aux journalistes et de la nécessité que s’expriment toutes les opinions ».

Par la suite, il recevra d’autres opposants, comme Francis Wodié, du Parti ivoirien des travailleurs (PIT), ou Bamba Moriféré, du Parti socialiste ivoirien (PSI). Après la prestation de Gbagbo à la RTI, un journal pro-FPI titrera un « Bravo Coulibaly » très embarrassant pour le présentateur alors soucieux de ne pas apparaitre comme partisan.

Mentors

Le journalisme, Ally Coulibaly en rêvait depuis longtemps. Enfant, il écoutait avec assiduité Radio Côte d’Ivoire et se passionnait pour les programmes sportifs, notamment les matchs de football commentés par Guy Maunoury. Il participait également au journal de l’école, La nouvelle étoile, lors de ses années de lycée dans un établissement catholique – lui est musulman pratiquant – et montait sur les planches pour déclamer les Fourberies de Scapin, de Molière. « C’était un très bon élève, très travailleur. Il avait de grandes facilités, ce qui pouvait en agacer certains », se souvient le professeur Yacouba Konaté, son ami d’enfance.

Au cours de sa formation supérieure, ce fils d’un artisan et d’une commerçante descendante d’une grande lignée de marabouts s’entoure de mentors comme le patron de presse français Hervé Bourges (décédé en 2020), membre du conseil d’administration de l’école de journalisme de Dakar, le journaliste André Fontaine, du Monde (décédé en 2013), ou encore l’écrivain Bernard Schaeffer.

Au Sénégal, le jeune Ally se découvre une passion pour la géopolitique et les relations internationales. Son professeur est alors Ibrahima Fall, qui deviendra le ministre des Affaires étrangères du président Abdou Diouf. « Tout était passionnant quand Ibrahima Fall racontait le monde. Cette passion ne m’a jamais quittée », se souvient Coulibaly.

Après la mort de Houphouët-Boigny, en 1993, Ally Coulibaly sera poussé vers la sortie de la RTI. « Quand j’ai appris qu’Henri Konan Bédié se rendait à la RTI pour se proclamer président, j’ai refusé de l’accueillir. Je ne concevais pas qu’on prenne le pouvoir à la télé. Je l’ai payé cher », se souvient-il. De fait, les années suivantes seront celles de la traversée du désert.

« Dans la ligne de mire du pouvoir »

1994. Le Rassemblement des républicains (RDR) prend vie. Ally Coulibaly participe activement à cette naissance. Son profil s’impose pour prendre le porte-parolat et gérer la communication du parti. Dans le premier cercle du président, où se croisent des technocrates et des politiques pur jus, Coulibaly a compris une chose essentielle : en politique, la communication est une arme redoutable. Il a longtemps été la plume d’Alassane Ouattara, l’homme derrière les formules qui font mouche, contribuant à façonner l’image d’homme d’État de son aîné.

Parallèlement, l’ancien journaliste se fait élire député dans la circonscription de Boniérédougou, dans sa région d’origine. Avec Amadou Gon Coulibaly, le Premier ministre (décédé en 2020), il est parmi les premiers élus RDR à intégrer l’hémicycle. « Nous ne combattions pas uniquement pour prendre le pouvoir, mais pour la justice, l’égalité et l’acceptation de tous », explique Ally Coulibaly.

« En tant que porte-parole, il était dans la ligne de mire du parti au pouvoir », que dirigeait Henri Konan Bédié, se souvient le ministre Gilbert Koné Kafana, président du directoire du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). En 2000, Koné Kafana et lui sont interpellés lors d’une manifestation contre l’invalidation par la Cour suprême de la candidature d’Alassane Ouattara aux législatives et incarcérés dans la même cellule pendant plusieurs mois. « J’avais utilisé un mégaphone dans le Stade Félix-Houphouët-Boigny, où nous manifestions, voilà ce qu’on me reprochait », précise Ally Coulibaly. Malgré l’enfermement, il ne cesse d’être en contact avec Ouattara, réfugié en France.  « Il ne court pas derrière les honneurs, il a une seule ambition : le combat commun autour du président », assure Gilbert Koné Kafana.

Sur tous les plateaux télé

En 2011, en pleine crise post-électorale, Alassane Ouattara, avec qui Ally Coulibaly a partagé l’exil aux débuts des années 2000, le choisit comme ambassadeur de Côte d’Ivoire en France. Il se rêvait plutôt ministre dit-on à l’époque, ce qu’il réfute : « J’avais été son conseiller diplomatique, il m’a dit que je devais occuper ce poste dans ce contexte politique très sensible. »

À Paris, l’ambiance est délétère. Il est accueilli par un personnel pro-Gbagbo pour le moins méfiant. Les locaux du 102 avenue Raymond Poincaré, dans le 16e arrondissement, sont dans un piètre état. La facture de fuel n’a pas été réglée, plongeant l’endroit dans un froid polaire en cette fin d’hiver 2011. Des portes sont fracturées, des coffres-forts éventrés, l’ancien ambassadeur nommé par Gbagbo, Pierre Kipré, n’a pas rendu les clés. Ally Coulibaly ne s’en formalise pas et fait ce qu’il sait faire de mieux : communiquer. Il reçoit la presse et écume les plateaux télévisés pour porter le message de son patron, retranché à l’Hôtel du Golf depuis la présidentielle. Certains journalistes français lui trouvent alors une ressemblance physique avec son « grand frère », de neuf ans son aîné.

En 2012, Ally Coulibaly est rappelé à Abidjan pour prendre la tête du ministère de l’Intégration africaine et des Ivoiriens de l’extérieur, où il remplace d’Adama Bictogo, l’actuel président de l’Assemblée nationale, alors soupçonné d’être impliqué dans le scandale des déchets toxiques du Probo Koala. Ce portefeuille est un ministère des Affaires étrangères bis. « Une de mes premières missions a été d’essayer de convaincre Dioncounda Traoré, le président de la transition malienne, de revenir occuper son poste à Bamako alors qu’il était soigné à Paris après avoir été molesté par des militaires. » Pendant les sept années passées à ce poste, il étoffe un peu plus son carnet d’adresses, nouant des relations solides au-delà des frontières africaines.

La compagnie des livres

Lecteur compulsif et auteur à ses heures perdues, il préfère la compagnie des intellectuels et des écrivains à celle des politiques. « C’est un artiste, il lui arrive d’être dans la lune », s’amuse une source. L’érudit sait en jouer, avec un certain succès. « Vous ne trouverez pas beaucoup de monde pour dire du mal d’Ally Coulibaly », affirme un proche du président. « Je suis atypique, je le sais », sourit celui dont la bibliothèque compte 3 000 ouvrages et qui connait son libraire parisien par son prénom – ce dernier lui met des piles de livres de côté, qu’il récupère lors de ses séjours dans la capitale.

Quand il apprécie un livre, il se démène pour récupérer les coordonnées de son auteur, par tous les moyens. Il a ainsi contacté Jean-Pierre Langellier, après avoir dévoré sa biographie de Léopold Sédar Senghor. « Je savais qu’il aurait un prix , je le lui ai dit, il n’y croyait pas. Il a bien eu le Goncourt de la biographie en 2022 ». Les deux hommes finissent par se rencontrer à Paris et partager un dîner « passionnant ».

« J’ai toujours aimé les livres, ils occupent une place de choix dans ma vie », affirme Ally Coulibaly, qui en offre par dizaines à ses amis, sans occasion particulière. Il en conseille aussi au président. « J’attire son attention sur des ouvrages intéressants, c’est un grand lecteur. Dernièrement, il m’a confié avoir beaucoup aimé La tragédie du pouvoir, un livre d’Édouard Balladur sur Georges Pompidou ».

Si un jour il écrivait ses Mémoires, pourrait-il choisir pareil titre ? Après avoir été ambassadeur, ministre et conseiller auprès du président, Ally Coulibaly continue de s’interroger : « Suis-je vraiment un homme politique ? Je me pose la question. »