El-Ghassim Wane: concernant les Ivoiriens arrêtés à Bamako, «Il faut un règlement dans les délais les plus brefs»

 

Le Mauritanien El-Ghassim Wane dirige la Minusma, la mission des Nations unies au Mali. Sa parole est rare dans les médias, il a accordé cet entretien à RFI dans un contexte de tensions avec les autorités maliennes. L’arrestation à Bamako de 49 militaires ivoiriens, présentés par les autorités maliennes de transition comme des mercenaires alors qu’ils venaient dans un cadre onusien, mais avec une situation administrative qui demeure floue, suscite de très vives tensions entre Bamako et Abidjan – des tentatives de médiation sont d’ailleurs en cours – mais aussi entre Bamako et la Minusma, qui a été contrainte de revoir les règles d’autorisation de ses rotations aériennes. Elles ont enfin repris lundi après avoir été suspendues pendant plus d’un mois par Bamako. Le cas de ces 49 militaires ivoiriens, la reprise des vols onusiens, mais aussi les menaces qui pourraient peser sur l’avenir de la Minusma au Mali : El-Ghassim Wane, chef de la Minusma, répond aux questions de RFI.

Les autorités maliennes de transition avaient suspendu les rotations des personnels militaires de la Minusma il y a un mois. Entre-temps, les modalités d’autorisation de ces rotations ont été rediscutées avec le gouvernement malien et les relèves ont finalement pu reprendre lundi. Actuellement, combien d’homme sont en attente de départ ou d’arrivée ? 

Effectivement, il y a eu une suspension des relèves de nos contingents et nous avons eu une réunion avec les autorités maliennes, le 1er de ce mois, au cours de laquelle nous avons convenu des modalités de reprise des relèves de nos contingents. Ces relèves ont commencé, elles vont se poursuivre pendant une période de quatre semaines et vont concerner 3 500 personnels entrant et partant, donc 7 000 au total. C’est une opération extrêmement complexe qui implique évidemment les autorités maliennes et la Minusma ici, mais également notre siège à New-York et les pays contributeurs de troupes, une opération qui demande une coordination extrêmement étroite. Jusqu’ici tout se passe bien, il n’y a pas de raison pour que les choses ne continuent pas sur la même voie, et que les 7 000 personnels qui sont affectés par cette opération puissent être déployés et redéployés pour certains dans leur pays d’origine, dans les délais prévus. 

Pendant cette pause forcée, est-ce que le travail de la Minusma a été affecté ? 

Non, le travail évidemment a continué, mais il est évident qu’un retard dans les relèves a forcément un impact sur le moral des troupes, a forcément un impact sur l’efficacité opérationnelle. Cela dit, le travail s’est poursuivi et je voudrais saisir cette occasion pour féliciter nos personnels en uniforme pour l’engagement dont ils ont fait montre tout au long de leur déploiement ici au Mali. 

Le nouveau protocole pour ces rotations, est-ce qu’il est plus contraignant, pénalisant pour la Minusma ? 

Non, je pense qu’il s’agissait plutôt de clarifier les modalités pour que ces relèves aient lieu de manière beaucoup plus harmonieuse. Essentiellement, il s’agit pour tous les pays qui doivent procéder à des relèves de le faire à travers la Minusma, et il s’agit pour nous d’avoir comme point d’entrée principal le ministère des Affaires étrangères, à charge pour celui-ci d’assurer la coordination entre les différentes structures maliennes concernées. Les informations que nous fournissons sont des informations tout à fait classiques, que nous fournissions déjà, mais que nous allons maintenant présenter de manière beaucoup plus globale à travers une structure unique, et je me félicite de la bonne disposition des autorités maliennes qui nous a permis de parvenir à un accord et d’assurer la reprise des relèves. 

La force française Barkhane vient d’achever son retrait après avoir été poussée vers la sortie par les autorités maliennes de transition. Ces derniers mois, c'est la Minusma qui a vu ses activités entravées, des protocoles ont été modifiés, votre porte-parole a été expulsé, vos enquêteurs droits de l’homme n’ont plus accès à certaines zones : ne craignez-vous pas que Bamako cherche à présent à mettre la Minusma dehors, à son tour ? 

Comme vous le savez, le mandat de la mission a été renouvelé à la fin du mois de juin, et les autorités maliennes ont clairement indiqué qu’elles souhaitaient que la Minsuma reste. Nous travaillons, je pense, dans un esprit de coopération avec les autorités maliennes, mais, évidemment, s’agissant d’une mission avec des effectifs si élevés et opérant dans les conditions sécuritaires que vous connaissez, il est évident que des difficultés peuvent se poser. Mais l’important est que quand des difficultés se posent, nous travaillons ensemble avec les autorités maliennes pour trouver des solutions. 

Mais l’Allemagne a déjà suspendu la semaine dernière l’essentiel de ses activités militaires au sein de la Minusma, d’autres pourraient suivre ? Vous le redoutez ? 

D’abord, les pays contributeurs de troupes et de personnels de police restent engagés, je pense que c’est un élément extrêmement important. Il y a eu cette difficulté que nous avons connue en ce qui concerne la relève du contingent allemand, mais je peux vous assurer que ces difficultés sont en train d’être surmontées, et qu’elles relevaient beaucoup plus en fait d’une adaptation nécessaire aux nouvelles règles qui ont été convenues avec les autorités maliennes, que d’autre chose, et donc nous travaillons dans un bon esprit aussi bien avec les Allemands qu’avec les Maliens pour assurer le bon fonctionnement de la force. 

Le départ de la Minusma est de plus en plus demandé par des organisations de la société civile, par des relais d’opinion, un peu comme ce fut le cas pour Barkhane… 

Dans un pays de 20 millions d’habitants, toutes les opinions ne sont pas uniformes, forcément, il y a des critiques, mais je peux vous assurer d’une chose : je me rends très fréquemment à l’intérieur du Mali, j’interagis fréquemment avec les autorités maliennes, tous mes interlocuteurs sont en faveur du maintien de la Minusma. Cela dit, nous restons évidemment à l’écoute, y compris de ceux qui critiquent notre action. 

Vos relations avec le président de transition, le Colonel Assimi Goita, comment les qualifieriez-vous ? Vous échangez, vous vous voyez régulièrement ? 

Je dirais que nous avons de bonnes relations avec les autorités maliennes, nous avons accès à elles quand nous le souhaitons, y compris évidemment le Président de la transition, mais nous travaillons aussi beaucoup avec les membres du gouvernement qui s’occupent de dossiers spécifiques et qui sont nos interlocuteurs premiers, et je voudrais les remercier pour leur disponibilité. 

Sur le dossier des 49 militaires ivoiriens arrêtés le 10 juillet à Bamako et inculpés pour « atteinte à la sécurité de l’État » : les Nations unies ont d’abord confirmé qu’ils étaient arrivés au Mali en soutien à la Minusma, avec le statut NSE, avant de faire machine arrière pour, semble-t-il, des dysfonctionnements administratifs. Est-ce que vous pouvez nous éclairer sur le statut réel de ces 49 militaires et sur leur arrivée au Mali ? 

Il y a des efforts soutenus qui sont déployés au niveau de la région, qui sont soutenus également par nombre d’acteurs internationaux qui visent à régler cette question, et le souhait de tous est que ce règlement puisse être trouvé dans les délais les plus brefs possible, et je crois que c’est à cela que tout le monde œuvre. 

Ça, c'est sur les médiations en cours, pour éviter l’escalade entre Bamako et Abidjan, mais sur le statut de ces militaires, comment comprendre la volteface des Nations unies ? 

Notre rôle ici est de contribuer du mieux que nous pouvons à la recherche d’une solution, et c’est le souhait des pays concernés, de tous ceux qui sont impliqués dans cette affaire, le souhait de trouver une solution, et c’est à cela que tout le monde doit œuvrer. 

Selon plusieurs sources, Bamako demanderait des excuses d’Abidjan, ou encore l’extradition de certaines personnalités politiques actuellement en Côte d’Ivoire, et visées par des mandats d’arrêt émis par la justice malienne ? 

Je répète : le souhait de tous est de voir les efforts en cours aboutir. 

Après près de dix mois de blocage, le gouvernement malien de transition et les groupes armés du Nord signataires de l’Accord de paix de 2015 ont repris leur travail commun au début du mois : l’application de l’Accord de paix est-elle enfin relancée ? 

Je crois. C’était une très bonne réunion, il y a eu un accord sur les quotas d’intégration des ex-combattants des mouvements signataires au sein des structures de l’État malien, y compris les forces de défense et de sécurité, un accord sur les réformes institutionnelles qui ne sont pas liées à la révision de la Constitution, et un engagement du gouvernement à assurer la prise en charge des réformes institutionnelles qui requièrent une révision constitutionnelle dans le cadre de l’élaboration de la nouvelle Constitution. Il y a également eu un accord sur la mise en place d’une commission ad hoc chargée de la gestion au cas par cas de la situation des cadres des mouvements signataires. Maintenant, il faudra assurer le maintien de cette dynamique, c’est à cela que nous travaillons tous, et une réunion de Comité de suivi de l’accord est prévue vers la fin de ce mois, précisément pour aider à préserver cette dynamique et encourager les parties à consolider les résultats auxquels elles sont parvenues.