Wendkouni Joël Lionel Bilgo (Burkina Faso): «Il faut éviter de créer des élections de façade avec un simulacre de démocratie»

 

Combien de temps va durer la transition militaire au Burkina Faso ? C'est l'un des enjeux du sommet de la Cédéao ce dimanche 3 juillet à Accra, au Ghana. Pour le régime militaire au pouvoir au Burkina Faso, cette transition doit durer trois ans. Mais pour la Cédéao, ce n'est pas un calendrier raisonnable. Un compromis est-il possible ? Wendkouni Joël Lionel Bilgo est ministre de l'Éducation et porte-parole du gouvernement burkinabè. De passage à Paris, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier et déclare qu'il n'est pas arc-bouté sur la question du délai.

 

RFI : Wendkouni Joël Lionel Bilgo, bonjour. Qu'est-ce que vous attendez du sommet de la CEDEAO de ce dimanche 3 juillet ?

Wendkouni Joël Lionel Bilgo Le Burkina Faso attend de ce sommet du dimanche que la CEDEAO l’accompagne toujours sur le chemin que le pays a emprunté pour retrouver l'ordre constitutionnel normal, en sécurisant le territoire et en permettant aux Burkinabè d'aller le plus tôt possible aux urnes.

Suite au coup d'État du 24 janvier, vous avez été suspendu des instances de la CEDEAO. Il y a trois mois, vous avez fixé la durée de la transition militaire à trois ans, mais la CEDEAO vous a répondu que c'était trop long et vous a demandé d'établir un calendrier raisonnable. Est-ce que vous entendez ce message ?

Écoutez, le Burkina Faso a souhaité que la CEDEAO se rende compte des réalités du terrain en l’invitant à venir au Burkina Faso et à se déplacer à l'intérieur du pays, pour prendre en compte l'ensemble du contexte national afin d'apprécier au mieux la durée qui a été définie.

La semaine dernière, l'ancien président nigérien Mahamadou Issoufou, qui est le médiateur de la CEDEAO pour votre pays, a déclaré à la sortie d'un entretien au palais présidentiel de Ouagadougou : « Je salue l'esprit d'ouverture et de dialogue du colonel Damiba ». Alors, est-ce qu'on va vers un compromis ?

Vous savez, je pense que le président Issoufou a aussi senti que le président Damiba était un homme qui était prêt au dialogue et ne l’économise pas, et un homme qui veut surtout éviter à son peuple de subir des sanctions drastiques qui impacteront la vie de ses citoyens. Le président Damiba est consciencieux de cela et je pense qu'il lui tient à cœur que les Burkinabè ne connaissent pas une sanction de ce fait.

Et si la CEDEAO vous demande de réduire de moitié cette durée de la transition militaire, c'est-à-dire de passer de trois ans à 18 mois, qu'est-ce que vous répondrez ?

Aucune question n'est taboue pour le gouvernement du Burkina Faso, je peux vous le garantir. Mais il est primordial pour nous de tenir compte des réalités du terrain. Vous savez, je crois qu'il faut éviter justement de créer des élections de façade avec un simulacre de démocratie, qui en réalité ne règlent pas les crises profondes que connaît notre pays. Si on reste focalisés sur la question du délai, ça veut dire qu'on va mettre de côté certaines réalités qui tôt ou tard finiront par nous rattraper.

Mais vous ne fermez pas la porte à un délai plus court que trois ans ?

Le Burkina Faso n'est pas arc-bouté sur la question du délai. Ce que nous voulons, c'est le retour de la paix dans un bon nombre de localités de notre pays.

Vous parlez de la réalité du terrain, le 11 juin, une attaque jihadiste d'une très grande brutalité sur la localité de Seytenga dans le nord-est du pays a causé la mort de 86 civils. C'est le deuxième massacre le plus grave de votre histoire, quelle est votre réaction ?

On a vu ces derniers temps une montée en puissance de l'armée burkinabè qui a opéré une saignée profonde dans les rangs des jihadistes, qui donc aujourd'hui se retrouvent à commettre des actes de représailles parfois incompréhensibles. L'armée burkinabè est en train d'opérer une nouvelle stratégie qui pousse justement les djihadistes dans leurs retranchements. Il est question dans cette nouvelle stratégie de renforcer la présence de nos forces de l'ordre, mais surtout de concentrer leur présence dans des unités beaucoup plus fortes et beaucoup plus étoffées en terme de nombre de militaires pour faire face à certaines attaques.

À la suite du drame de Seytenga, vous avez créé deux « zones d'intérêt militaire » où toute présence humaine est interdite. Est-ce que ça ne revient pas à abandonner le terrain aux jihadistes ?

Non, au contraire, c'est pour éviter de créer des dégâts collatéraux lors du déroulé de la stratégie militaire sur ces zones-là. Vous savez, ces zones, notamment le Sahel et puis l'Est, sont des zones déjà désertées par les populations. Donc demander à ces populations honnêtes et sincères de rejoindre les zones sécurisées afin de permettre à l'armée de faire un travail efficace, sans pour autant se poser la question des dégâts collatéraux, nous semblait vraiment être approprié.

À la suite toujours de ce drame de Seytenga, vous avez décidé de regrouper les VDP, les Volontaires pour la défense de la patrie, dans une unité au niveau national. Est-ce à dire que ces miliciens villageois des VDP ont montré leurs limites ?

Oui, il y a eu des limites par endroits. Et puis aussi vous savez, les VDP dans certaines localités ne sont l'image que d'une ethnie. Parfois, ils peuvent être vus comme des milices ethniques vis-à-vis d'autres ethnies.

Des milices anti-Peul par exemple ?

C'est vous qui le dites. Mais en tout cas, la question ethnique est un véritable problème. Sous l'égide du terrorisme se cache aussi une guerre ethnique par endroits.

Dans votre combat contre les jihadistes, qu'est-ce que vous attendez de la communauté internationale et notamment de la France ?

Je vais vous dire une chose. L’Ukraine compte 43 millions d'habitants, la zone des trois frontières - le Burkina Faso, le Mali et le Niger - 69 millions d'habitants. Depuis sept ans, le G5 Sahel demande un financement d'à peu près deux milliards d'euros. Le G5 Sahel ne l'a jamais obtenu. L’Ukraine, en l’espace de deux mois, c'est un peu plus de 13 milliards d’euros d'aide humanitaires apportés par le G7 et par l'Union européenne. L'occasion nous est donnée ici d'interpeller la communauté internationale sur le drame qui se joue dans le Sahel. Il faut vraiment une intervention beaucoup plus massive pour arriver à juguler cette crise-là.