« Charles de Foucauld, Touareg parmi les autres »

 
tribune
  • Michel BourginHistorien de formation, Saint-Cyrien, auteur de « L’Âme touarègue décrite par Charles de Foucauld » (Edita)

Alors que Charles de Foucauld est canonisé dimanche 15 mai à Rome, Michel Bourgin, auteur de L’Âme touarègue décrite par Charles de Foucauld, raconte dans ce texte comment le nouveau saint s’est adapté au mode de vie touarègue.

  • La Croix 
« Charles de Foucauld, Touareg parmi les autres »
 
Foucauld commença ses études ethno-linguistiques en 1906, et acheva leur mise au propre en novembre 1916, une semaine avant sa mort violente.THIERRY GACHON/L'ALSACE/MAXPPP

Lorsqu’il s’installa à Tamanrasset, en 1905, dans cette région grandiose, Charles de Foucauld sut trouver les populations les plus éloignées de Dieu et les plus déshéritées au profit desquelles il avait le devoir de se dévouer. L’islam des Touaregs et leurs mœurs le poussèrent à mettre en œuvre une méthode originale, celle de l’évangélisation différée. L’évangélisation pourrait commencer après une période, d’une durée indéterminée, de mise en confiance et de connaissance réciproque faisant tomber les obstacles séparant les futures ouailles de leurs nouveaux prêtres.

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En 1908, il précisa sa pensée sur son rôle de missionnaire au docteur Deautheville, premier médecin militaire à être affecté dans l’Ahaggar, qui a laissé un témoignage sur l’action et les motivations de Charles de Foucauld : « Il me donna de nombreux et excellents conseils sur la façon de procéder avec les Touaregs et des aperçus forts précieux sur leur caractère et leur psychologie… Un jour… je posai au Père la question suivante : « Croyez-vous que les Touaregs vont se convertir et que vous obtiendrez des résultats vous payant de vos sacrifices ?
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Mon cher docteur, dit-il, je suis ici non pas pour convertir d’un seul coup les Touaregs, mais pour essayer de les comprendre et de les améliorer. J’apprends leur langue, je les étudie pour qu’après moi d’autres prêtres continuent mon travail. J’appartiens à l’Église et elle a le temps, elle dure, alors que moi je passe et ne compte pas. Et puis, je désire que les Touaregs aient place au Paradis. Je suis certain que le bon Dieu accueillera au ciel ceux qui furent bons et honnêtes, sans qu’il soit (leur) besoin d’être catholique romain… les Touaregs sont musulmans : je suis persuadé que Dieu nous recevra tous, si nous le méritons, et je cherche à améliorer les Touaregs pour qu’ils méritent le Paradis. »

Adapté au mode de vie touareg

Charles de Foucauld s’adapta aisément au mode de vie touareg car, depuis sa conversion, il avait toujours vécu en solitaire, humblement, pauvrement, pratiquant une ascèse quasi permanente. Pour parler et penser comme les Touaregs de façon à devenir pour eux l’ami sûr à qui on va demander conseil et aide, il étudia d’une manière approfondie leur langue, leur écriture, leur poésie et leur comportement. Au bout d’une année, les Touaregs le jugèrent plus compétent qu’eux-mêmes dans la pratique de leur langue.

Foucauld commença ses études ethno-linguistiques en 1906, et acheva leur mise au propre en novembre 1916, une semaine avant sa mort violente. À part un lexique imprimé en 1909, les onze autres volumes composant ses travaux furent édités entre 1918 et 1952 et ils font encore référence. La performance de Foucauld, dans la réalisation de ses études, ne doit pas occulter l’usage qu’il en fit. Elles lui permirent de conquérir les cœurs par les conversations quotidiennes qu’il entretenait avec ses nombreux visiteurs, faisant preuve d’une disponibilité constante et d’une réelle bienveillance.

Pas de prosélytisme

Rapidement, la majorité des Touaregs de l’Ahaggar acceptèrent le marabout blanc ; les plus hostiles émigrèrent quatre cents kilomètres à l’est dans les montagnes de l’Ajjer, parmi les Touaregs du même nom. Charles ne fit pas de prosélytisme, car la soumission des tribus à la France était conditionnée au respect de leur religion. Il voulait être touareg parmi les autres, cependant il se savait considéré comme un incroyant, et un Français de surcroît. Cela ne l’empêchait pas, porté par son désir de fraternité, sa bonté et sa charité, d’aimer ses chers Touaregs qui lui réservaient un accueil chaleureux à chacun de ses retours de voyage.

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Il a confié à plusieurs reprises compter quatre véritables amis dans son voisinage, et parmi eux il y avait le jeune Ouksem qu’il aimait comme son fils. Il l’emmena en France pour lui montrer une famille française, la sienne bien entendu, de façon qu’il fasse partager ses impressions à son entourage. L’idée était bonne, mais le résultat fut sans lendemain car leur structure familiale avait pour les Touaregs une importance aussi grande que celle de leur religion.

Profond désir de liberté

Charles comprit qu’il n’aurait pas de successeur, pour continuer son œuvre. Il eut l’idée, en 1909, de créer « l’Union des frères et des sœurs du Sacré Cœur de Jésus » une association dont les membres religieux ou laïcs prépareraient, chacun de leur côté, la conversion des infidèles en gagnant leur confiance, leur affection, leur amitié et leur estime, en leur faisant connaître par leurs actes la morale chrétienne. Il fit trois voyages en France pour la mettre sur pied, elle aurait dû être finalisée en 1915, ce que la guerre empêcha. En 1913, Charles avait recruté 49 membres dont lui-même.

En 1916, lorsque la révolte se mit à gronder dans l’Aïr, les monts Ajjer et la boucle du Niger, Charles n’ignorait rien du profond désir de liberté agitant l’âme touarègue, et savait que ses jours pouvaient être menacés mais il gardait confiance en ses amis de l’Ahaggar. Il avait raison, car la troupe venue le prendre en otage par surprise était composée d’une trentaine d’Ajjers et comptait seulement quatre ou cinq Ahaggars. C’est au cours de cet enlèvement que son gardien, un jeune Ajjer de 17 ans pris de panique, le tua sans raison apparente.

À Tamanrasset plane encore le souvenir de Charles de Foucauld, l’ami des Touaregs qui a assuré la pérennité de leur culture. Aujourd’hui, dans cette grande ville, vivent, Touaregs parmi les Touaregs, deux petits frères et une petite sœur continuant dans l’humilité et la pauvreté son œuvre de fraternité entre les peuples.