Vaccin contre le paludisme: trois infectiologues commentent l’annonce de l’OMS

Le vaccin Mosquirix est le premier vaccin au monde contre le paludisme. Validé par l'organisation mondiale de la santé, il fournit aux jeunes enfants une protection partielle contre la maladie

Le vaccin Mosquirix est le premier vaccin au monde contre le paludisme. Validé par l'organisation mondiale de la santé, il fournit aux jeunes enfants une protection partielle contre la maladie
 AFP - BRIAN ONGORO

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande pour la première fois le déploiement d’un vaccin contre le paludisme des enfants en Afrique subsaharienne et dans les zones à risque. À l’occasion des 26e Actualités du Pharo de Marseille, rendez-vous scientifique des spécialistes de la médecine tropicale, trois infectiologues commentent cette annonce du directeur général de l’OMS. Ils sont interrogés par Caroline Paré, de l’émission « Priorité Santé ».

RFI : Professeur Jean-François Faucher, vous êtes chef du service des maladies infectieuses et tropicales, au CHU de Limoges. Ce mercredi 6 octobre, Thedros Ghebreysus, le directeur général de l’OMS, a recommandé le déploiement massif chez les enfants du premier vaccin contre le paludisme : le vaccin RTS-S, développé par le laboratoire britannique GlaxoSmithKline. Pourquoi le faire maintenant ?

Pr Jean François Faucher : Je n’ai pas de réponse scientifique à cette question. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a une étude pilote de grande envergure qui se déploie dans certaines régions d’Afrique (au Ghana, au Kenya et au Malawi) pour évaluer l’efficacité de ce vaccin. Pour l’instant, cela reste une annonce : une intervention de santé publique qui est recommandée et n’est pas rentrée dans son application à large échelle.

Professeur Christophe Rapp, vous êtes infectiologue à l’hôpital américain de Paris et président de la société française de médecine des voyages. D’après ces premiers résultats, quelle protection ce vaccin pourrait-il apporter aux populations vaccinées ?

Pr Christophe Rapp : C’est un outil supplémentaire dans la stratégie globale de lutte contre le paludisme. Il peut apporter, chez les enfants en bas âge une réduction des formes graves et des décès. Il va diminuer par exemple l’importance de l’anémie et cela va jouer sur la létalité du paludisme et l’on sait que ce sont les enfants qui paient le plus lourd tribut dans cette maladie. C’est un vaccin intéressant, dont l’efficacité dans les premières études se situe aux alentours de 40%. Donc ce n’est pas du tout un chèque en blanc contre le paludisme. C’est une mesure supplémentaire qui pourrait diminuer la létalité chez les enfants

Professeur Olivier Bouchaud, vous êtes responsable du service des maladies infectieuses et tropicales au CHU Avicenne, de Bobigny. Il s’agit de la toute première recommandation de vaccination pour le paludisme. Car trouver un vaccin contre une maladie parasitaire, c’est très compliqué...

Pr Olivier Bouchaud : En matière de paludisme, cela fait 50 ans que l’on travaille sur un vaccin et 50 ans que l’on butait pour trouver quelque chose d’efficace. Ce vaccin, il est loin d’être parfait : 40% d’efficacité, c’est ce qui est observé sur deux ou trois ans de suivi. Sur des suivis à sept ans, l’efficacité est ramenée en dessous de 10%. Il faut se souvenir qu’historiquement, le schéma vaccinal était à trois injections. On s’est rendu compte que c’était insuffisant et il a fallu rajouter une quatrième injection. D’un point de vue logistique, c’est un vaccin qui sera très compliqué à mettre en place. C’est non seulement compliqué, mais aussi coûteux. Nous sommes dans ce rapport entre le bénéfice et le coût pour les populations et notamment les enfants. Et là, manifestement, l’OMS a fait le choix de privilégier le bénéfice. Parce que, dans une réflexion purement de santé publique, dans la balance bénéfice-coût, on n’est pas du tout sûr que ce vaccin-là ne soit le « champion ».

Le message important, c’est donc de ne pas baisser la garde et de maintenir les mesures de protection actuelles (traitement préventif pour les zones de paludisme saisonnier, répulsifs, moustiquaires imprégnées, insecticides)...

Pr Christophe Rapp : Toutes les mesures sont synergiques : la moustiquaire imprégnée, le dépistage, le traitement précoce, la chimioprophylaxie intermittente. Ce sont les outils de base. Le vaccin est une arme supplémentaire qu’il va falloir maintenant mettre en place et décliner sur le terrain.

Pr Jean François Faucher : Bien sûr. Un des grands messages à garder à l’esprit, c’est l’adhésion aux mesures de prévention du paludisme, mais aussi de la prévention de ses complications. Cela signifie consulter précocement, en cas de fièvre, pour avoir un test rapidement et un traitement dérivé de l’artémisinine, recommandé par les programmes nationaux de lutte contre le paludisme. Lorsque l’on reçoit à l’hôpital, des enfants dans un état catastrophique quand on interroge sur ce qui s’est passé avant, on se rend compte qu’il y a eu des occasions manquées de traiter précocement, avant que le paludisme ne s’aggrave.

Pr Olivier Bouchaud : En matière de lutte contre le paludisme, il y a aussi l’élimination des eaux stagnantes, qui peuvent contribuer à la prolifération des moustiques. C’est un outil complémentaire qui échappe en partie aux familles et aux ménages, parce que ce sont davantage des outils d’intervention collective, encore que l’on puisse faire de la démoustication à l’intérieur des habitations. Il s’agit d’un ensemble d’armes complémentaires pour arriver à l’élimination du paludisme. C’est toujours un objectif, car même si le tableau général s’est amélioré au cours des dernières décennies, le paludisme reste un problème majeur de santé publique en Afrique.