Le Père Léonce ZinzereLéonce Zinzéré est né le 26 juin 1980 à Ouagadougou. Son père était infirmier. Il est le deuxième de 6 enfants (2 sœurs et 3 frères). Placé entre deux sœurs, il a dû prendre chez elles sa gentillesse et son sourire. Après le secondaire, il fait une année d’université, et, en 2000, il décide d’entrer chez les Missionnaires d’Afrique, au premier cycle de Ouagadougou. En 2003, il part au noviciat à Kasama. Déjà intéressé par le dialogue avec l’Islam, il passe ses deux ans de stage à Tunis (2004-2006). Là, il commence à apprendre l’arabe. En 2006, Léonce est nommé à Jérusalem pour ses études de théo-logie. Il y prononce son serment missionnaire le 6 juin 2009 en présence du Supérieur Général Gérard Chabanon et est ordonné diacre le jour suivant. Le 3 juillet 2010, il devient prêtre à Ouagadougou des mains de Mgr Philippe Ouédraogo. Depuis septembre 2010, Léonce est nommé au Maghreb, en Tunisie, à Tunis, à l’Institut des Belles Lettres Arabes (IBLA).

 

Minaret mosquée de la Zitouna à Tunis

 

Mon expérience
de rencontre et de travail avec les jeunes tunisiens

Pourquoi ce pays musulman ? Mes amis tunisiens ont-ils besoin du Christ et de moi ? Il est vrai que mes amis tunisiens sont heureux et très fiers de l’islam, même si leur pratique de cette religion n’est pas toujours proportionnelle à leur degré de fierté. Jésus Christ, ils le connaissent, dans ce que le Coran dit de lui, comme un grand prophète du Dieu unique. Ils le respectent comme tous les autres prophètes que mentionne le Coran. Mais en même temps, ils savent que le Jésus du Coran est un peu différent de celui de la Bible.

Si une petite minorité a le désir de découvrir le Jésus de la Bible, ce n’est évidemment pas la grande priorité pour la majorité. Je me dis alors que Dieu veut peut-être que je parle ouvertement du Christ à cette minorité et que je m’adresse d’une autre manière aux autres. Quelle serait alors cette autre manière ? Mes amis tunisiens ont-ils vraiment besoin de cela ?

La réponse à mes questions vient de l’Évangile. Le Christ offre à chacun de ses disciples des talents qu’il doit faire fructifier (Mt 25, 14-30). J’en ai donc reçus moi aussi. Par ailleurs, je considère les talents comme des arbres qui peuvent pousser partout, indépendamment des conditions climatiques. Alors, pourquoi ce même Dieu ne voudrait-il pas que je fasse fructifier mes talents partout dans le monde et même chez les Tunisiens ?

 

Acropolium

 

Je garde la ferme conviction que si le Christ veut m’utiliser chez les Tunisiens, cela se réalisera. Ce qui me tient à cœur, c’est d’être en conformité avec la volonté du Christ, c’est d’être prêt à partager les dons que j’ai reçus de Dieu, c’est d’être prêt à faire fructifier mes talents, c’est d’être toujours prêt à entrer en dialogue avec mes amis tunisiens.

Il faut avoir des convictions

Je ne crois pas trop au hasard. J’ai toujours cru que la présence des chrétiens en milieu musulman, et donc la mienne, est voulue par Dieu et que je dois toujours agir en tenant compte de cela. Personnellement, je me po-sitionne comme un instrument entre les mains du Christ, prêt à donner aux autres ce que j’ai reçu de lui. Je suis comme Pierre qui dit au paralytique à l’entrée du temple : « Je n’ai ni argent ni or, mais ce que j’ai, je te le donne. » (Ac 3, 6). En même temps, je cherche à imiter la mission universelle et l’attitude d’ouverture du Christ envers des hommes et des femmes qui ne faisaient pas partie du peuple élu (Mt 8, 5-13; Mt 15, 21-28 Mc 7, 24-30, Jn 4, 1-30).

Concrètement en ce qui concerne mes activités, je continue (ensemble avec mes frères en communauté) le travail de restauration du bâtiment, des livres et du système informatique de l’Institut des Belles Lettres Arabes. Malgré le fait que les bibliothèques soient encore fermées, nous recevons de temps en temps des étudiants que nous aidons autant que possible à trouver les documents qu’ils cherchent. En plus de cela, je suis aumônier de quelques communautés de religieuses, à temps partiel, ainsi que d’un groupe de ‘femmes de couples mixtes’ (femmes étrangères chrétiennes mariées à des Tunisiens.) Ce qui est intéressant à ce niveau est que certains Tunisiens participent aux rencontres que nous organisons mensuellement avec ces femmes.

Je participe aussi à la vie de l’Église locale en célébrant l’Eucharistie dans certaines paroisses de Tunis ou de Hammamet ainsi qu’en prenant part à certaines de leurs activités.

Il faut ajouter aussi les multiples rencontres avec des amis Tunisiens dans le cadre du dialogue et de la rencontre. Là, les différents partages sur le pays, sur la religion et sur différents sujets sont souvent très profonds, très enrichissants et très instructifs. Avec cette confiance réciproque, chacun cherche vraiment à mieux découvrir et à mieux connaître la religion et l’expérience spirituelle de l’autre. Un de mes amis appelle cette attitude la “Sympathie savante’’.

J’ai connu la plupart de ces amis entre 2004 et 2006 quand j’étais en stage à Tunis. Nous avons gardé le contact jusqu’à mon retour en 2010, preuve que notre amitié était bien scellée.
J’ai découvert très vite, avec l’aide de mes confrères en communauté, que je ne pouvais entrer en contact avec les réalités de ce pays qu’à partir d’un milieu bien déterminé. S’il faut avoir des relations, il faut tout d’abord un support de relations.

Tolérance, patience et dévouement

Pour certaines personnes que je rencontre ou avec qui j’ai eu à travailler, l’Afrique est musulmane. Je dois être alors forcément musulman puisque je suis Africain ! Devant de telles affirmations, il me faut toujours beaucoup de patience pour expliquer qu’il y a beaucoup de chrétiens en Afrique.

J’ai aussi remarqué que pour la grande majorité des Tunisiens, même s’ils sont très fiers de leur religion, la présence des chrétiens ne pose aucun problème. Je considère cela comme une sorte d’acceptation (inconsciente ou consciente ? Cela est difficile à dire).

Enfin, j’ai plusieurs amis qui m’ont posé d’une manière ou d’une autre cette question : pourquoi ne parles-tu jamais de Jésus-Christ ? J’ai toujours répondu que j’essayais de vivre et de mettre en pratique ce que Jésus-Christ m’a enseigné et que cela me suffisait. « Je vous parle de Jésus-Christ par mes actes, par ma vie et par ma présence au milieu de vous ! » Je leur rappelle aussi que c’est ce que les autres chrétiens présents en Tunisie essaient de vivre. Pour moi, personnellement, c’est un grand défi à relever par-ce qu’il faut être fidèle et conforme à ce qu’on dit. Il faut vraiment vivre les valeurs de l’Évangile !

Je sais que le fait de parler ainsi est un tout petit peu gênant pour plusieurs amis et connaissances et les fait réfléchir. Un d’entre eux me disait un jour que j’étais ‘‘trop gentil’’ et ‘‘trop droit’’ pour avoir le christianisme comme religion, et donc être privé d’entrer au paradis. Il est revenu ensuite pour me dire : « Tu es un amoureux, un sympathisant de l’islam ». Il pensait la même chose pour les autres chrétiens qui vivent en Tunisie. Je crois bien qu’il y avait là un début de changement, un certain désir de se défaire de ces idées toutes faites sur les chrétiens et sur le christianisme.

Pour d’autres, le Coran parle quand même en bien des chrétiens. Ils aiment citer à cet effet le verset 85 de la sourate 5 : « […] Tu trouveras que les gens les plus proches de ceux qui croient, par l’amitié, sont ceux qui disent : ‘‘Nous sommes chrétiens’’. C’est que parmi ceux-ci se trouvent des prêtres et des moines et que ces gens ne s’enflent point d’orgueil. »

Au cours de mon séjour en Tunisie, j’ai découvert que j’avais absolument besoin d’adopter plusieurs attitudes très importantes afin de pouvoir dialoguer positivement avec les jeunes Tunisiens : ouverture, attention, patience (quand il s’agit d’expliquer certaines choses et aussi quand il s’agit d’écouter attentivement), humilité, disponibilité.

Léonce Zinzere
M. Afr.

Merci à la revue "Voix d'Afrique", d'où cet article est tiré.