Le Père Charles SartiÀ partir de janvier 1983, la paroisse, comme tout le diocèse, fut sensibilisée à la préparation du futur Synode qui devait avoir pour thème : La Réconciliation avec Dieu et entre les hommes. Ce fut l'occasion, au cours de toutes les réunions et durant les retraites pascales ( 34 en tout dans la paroisse ) d'inventorier tous les rites de réconciliation dans les coutumes Samo et Mossi, puis de les confronter à la lumière de l'Évangile et de la vie de l'Église. À Toma même, une « commission de réconciliation » a été mise sur pieds : elle aura du travail.

À la Mi-Carême de cette année, une jeune femme vient me voir toute en larmes et m'avoue que sa belle-mère ne veut pas lui pardonner. Je tombe des nues : elle et sa belle-mère viennent communier ensemble – l'une à côté de l'autre, ou l'une derrière l'autre - chaque dimanche et deux ou trois fois dans la semaine. À mes yeux, c'étaient des modèles et j'étais plein d'admiration. À les voir, mon estime pour les belles-mères était remontée d'un cran. Elle explique et raconte en détail : Son mari, Dominique, est instituteur. Quand il était dans l'enseignement privé catholique, tout était au beau fixe. Mais lorsqu'en 1969, l'Église a remis à l'État tout l'enseignement primaire, son Dominique n'a pas tardé à prendre une 2ème femme. Elle, la première, est alors partie en Côte d'lvoire chez l'un des frères de Dominique : à la fois pour manifester son désaccord et en même temps pour montrer qu'elle voulait rester fidèle à son époux. En effet, elle restait au sein de la famille, sous la protection de son beau-frère, déjà marié.

Un an après, elle rejoignait le foyer conjugal situé dans la cour de la grande famille. Comme dans toutes les familles polygames, les femmes font la cuisine, à tour de rôle pour toute la courée. Quand c'est son tour elle porte le premier plat à sa belle-mère qui accepte le plat, mais n'y touche pas : elle le laisse pour les autres membres de la famille : car elle n'arrive pas à encaisser que sa bru ait voulu faire la leçon à son fils aîné.

Pourtant, cette bru fait tout ce qu'elle peut pour se concilier les bonnes grâces de sa belle-mère : quand celle-ci prépare le dolo, elle va puiser pour elle. Quand elle-même va en brousse ramasser du bois, elle fait deux fagots, dont un pour a belle-mère. Voilà presque deux ans que cela dure : elle est découragée. Après avoir invoqué intérieurement le Saint-Esprit, je finis par lui dire : « Retournez à la maison, continuez à honorer votre belle-mère, je vois voir le catéchiste et ensemble nous allons réfléchir à ce qu'on peut faire ».

Le lendemain, le catéchiste et moi décidons d'aller voir la vieille femme. Elle nous accueille avec joie. Je finis par lui dire : « Na-goulé ( = grand-mère), toujours je vous vois venir à la Messe et communier avec votre bru. Ensemble, vous tendez la main, pour recevoir le Christ Jésus et arrivées à la maison quand votre bru vous apporte un plat de nourriture, vous retirez votre main ! Vraiment, je ne comprends pas ». Et le catéchiste prend la relève en rappelant Matthieu 5.23-24. « Quand tu présentes ton offrande à l'autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande, devant l'autel : va d'abord te réconcilier....»

Je pense que cette brave vieille n'avait pas réalisé ce qu'il y avait de contradictoire dans sa façon de faire... Finalement, nous lui proposons cela : le soir de Pâques, c'est sa bru, si malheureuse, mais non coupable, qui préparera le repas de fête auquel nous participerons, et elle, la « na-goule » c'est elle qui, la première, mettra la main au plat puis ce sera au tour de sa bru. Nous festoierons tous ensemble. Elle est tout à fait d'accord.

Le soir de Pâques, avec la fatigue accumulée pendant tout le Carême, la Vigile pascale et les nombreux baptêmes d'adultes, les visites aux familles le jour de Pâques, je me dis que je vais aller me coucher de bonne heure pour récupérer un peu. Or voilà quelqu'un qui tape des mains au portail : « Mon Père, tout est prêt : la na-goulé vous attend » Seigneur ! même si j'étais mourant, je ne peux pas me dérober. J'emboîte le pas du catéchiste.

La cour est pleine, la vieille ne veut pas célébrer cette réconciliation en cachette, elle a même invité le chef de quartier - un musulman.

Nous lui demandons de bénir elle-même le repas et la soirée : elle improvise une prière qui dure quelque peu, puis sa bru rayonnante lui apporte un beau plat de to ; la vieille tend la main prend une boulette et avant même de la tremper dans la sauce fait signe à sa bru de faire comme elle : nous applaudissons tous. Après le repas, avant de commencer la danse, le chef de quartier a tenu à louer notre na-goulé et il a ajouté : « si ce n'est pas chez les chrétiens, je n'ai jamais vu chose pareille ».
Cette nuit là, je ne suis pas allé me coucher de bonne heure,
mais je ne sentais plus la fatigue : mon coeur exultait d’action de grâces.

                                                                 Charles Sarti