HOMELIE 27 DÉCEMBRE 2019

NOS BIENHEUREUX ALAIN, JEAN, CHARLES ET CHRISTIAN.

Bien chers amis.

Nous célébrons aujourd’hui la mémoire de nos quatre compagnons,Pères Blancs martyrs,Alain, Jean, Charles et Christian assassinés voici 25 ans à Tizi Ouzou en Algérie. C’était, comme on l’appelle, la période des années noires. Et ces années l’étaient pour tous en ces temps tourmentés de guerre civile, musulmans et chrétiens confondus. Même si les victimes se comptaient déjà par centaines en ces temps, leur mort a fortement impressionné la population de cette ville. Alain parcourait la Kabylie au volant de sa vielle 4L poussive pour visiter des personnes isolées. Jean tenait un secrétariat social pour aider des personnes perdues dans les dédales de l’administration. Charles (Charlie comme on l’appelait), tenait une permanence à Notre-Dame d’Afrique d’Alger visitée par de nombreux musulmans et musulmanes. Christian tenait une bibliothèque pour les étudiants et projetait de leur construire des locaux plus adaptés à leurs recherches. Des vies sans histoires, banales si l’on peut dire, simples, partagées avec les gens du pays.

Mais ils avaient refusé de se mettre en sécurité dans leurs pays d’origine malgré parfois la demande de leurs proches. C’était «les Pères» comme on les appelait dans cette localité comme dans beaucoup d’autres. Et bien sûr aucun d’entre eux n’aspirait au martyre! Ilsne demandaient qu’à vivre même dans la tourmente partagée par la population. Pourtant, leur mort a fait comme s’ils émergeaient de l’ombre. Une foule de plusieurs centaines de personnes s’est rassemblée pour leur inhumation afin de rendre un dernier hommage à ces vies données d’avance. Je les connaissais assez bien tous les quatre, surtout Jean et Christian, le plus jeune. Je vous avoue que leur béatification m’a fait sérieusement poser la question: «Mais, c’est quoi donc la sainteté?» Au fond, dans leur vie courante, telle qu’elle pouvait se laisser percevoir, étaient-ils si «extraordinaires»? Non. Chacun menait simplement une vie en fidélité à ses engagements de missionnaire, avec ce que l’on sait des joies et difficultés de la vie communautaire et de la vie de chacun.

Comme beaucoup d’autres l’avaient fait, le faisaient et le font encore. Comme beaucoup d’autres, peut-être pourraient le «mériter» davantage, ou au moins autant! Dans la même période, plusieurs de nos compagnons Pères Blancs ont été assassinés dans le centre de l’Afrique et n’ont pas été déclarés bienheureux! Alors, pourquoi eux? Je ne suis pas le seul à me poser la question et je n’ai pas la prétention de la résoudre. Il est vrai qu’ils sont inséparables des 15 autres victimes chrétiennes du terrorisme de cette période, elles aussi béatifiées le 8 décembre de l’année dernière. Mais cela ne résous pas la question.

Pourquoi eux? Et les victimes innocentes de cette population qui vivait dans la peur et l’angoisse? Dans la vie tout court, comme dans la vie chrétienne, il y a des «figures symboles» qui émergent, que l’on fait sortir de l’ombre, non parce qu’elles sont uniques, mais témoins, représentatifs d’une certaine façondu vivre l’Evangile et de donner sa vie pour Jésus et l’humanité où elles se trouvent plongées. Ce n’était pas des héros, c’est d’un autre ordre. S’ils étaient des héros, ils seraient inimitables. Mais des hommes ordinaires qui se sont contentés de vivre jusqu’au bout la grande Aventure de l’Amour. Ils savaient qu’ils étaient menacés, ils sont restés non par héroïsme, mais par Amour, par Amour pour ce peuple en souffrance, par Amour pour ce Jésus qu’ils avaient décidé de suivre. S’ils sont exposés à nos regards, ce n’est pas pour les honorer, les admirer, s’extasier devant leurs vertus. Cela ne coûte à personne, ne demande aucun effort de le faire. S’ils sont exposés à nos regard, déclarés «Bienheureux», c’est pour rappeler notre propre vocation: vivre l’Evangile à la suite du Christ comme ils l’ont fait dans les circonstances qui étaient les leurs à ce moment-là.

Nous vivons dans des conditions qui ne sont pas celles où ils vivaient, mais la sainteté est à notre portée. Elle n’est pas à conquérir mais à recevoir.Ce n’est pas de faire des choses extraordinaires et éclatantes. La vie de nos frères martyrs nous le dit.C’est de mettre nos pas dans les pas de Jésus, d’essayer d’être là où nous sommes des témoins de cet Amour: dans ma famille ou dans ma communauté, dans ce monde tellement tourmenté en ce moment. Refuser la haine, l’exclusion, vivre dans la solidarité, surtout avec ceux qui sont les plus touchés par la souffrance et la pauvreté, le racisme, la discrimination. Ne jamais se lasser d’aimer. Jamais. Et si nous tombons, nous relever et marcher encore, continuer la route, continuer à aimer, sans jamais abdiquer, sans jamais se laisser prendre au piège de la haine et de l’égoïsme, voire même du découragement.Au fond la sainteté, le bonheur, c’est cela, bien au-delà des fioritures qui en jettent en ce temps de Noël. Humblement, simplement, aujourd’hui et demain encore.

Jusqu’au jour où ce Dieu qui nous aime nous fera signe, sans nous préoccuper si oui ou non nous serons inscrits sur les registres des Bienheureux ou des Saints.

 

Amen.

 

+ Claude Rault Père Blanc
évêque émérite de Ghardaïa.