Père Jean Paul GuibilaAu Mexique la semaine sainte est dédiée à la mission.

En effet des prêtres, religieux, religieuses et laïcs s’offrent pour un ministère dans des régions isolées.

Pour moi ce fut la toute première et elle fut empreinte de découvertes, de questionnements et de prises de conscience.

 

1. Les écailles qui tombent de mes yeux ou la perte de mes préjugés

Selon la presse internationale, le Mexique serait considéré comme une nation à forte dominance chrétienne, et de surcroit catholique. Je ne m’imaginais pas avant ce camp missionnaire un seul instant qu’il y ait des endroits au Mexique où le prêtre ne va qu’une fois par an (même une fois tous les deux ans) et où des personnes ignoraient royalement les prières de base issues du catéchisme. Et pourtant ce fut mon constat dans cette région de Nayarit où j’ai passé une semaine. Devant ce constat je me rendis compte que l’évangélisation n’est jamais terminée dans un milieu ; il faut sans cesse la réinventer, la porter et l’approfondir. Aussi me suis-je évertué à leur donner de prier selon les mouvements de leur cœur, aussi à travers le rosaire et l’enseignement des prières de base (notre Père, je vous salue Marie, acte de charité…)

2. La richesse humaineJ.P.Guibila et une famille

Les trois communautés que j’ai visitées sont des communautés rurales où vivent des indigènes (Huichols) aux moyens de subsistance très limités. J’ai été marqué par leur générosité et leur ouverture d’esprit. Certes ils n’avaient ni or ni argent à nous offrir mais le peu qu’ils avaient ils nous l’ont partagé avec joie (1 Jn 3,17).

Comme quoi le bonheur n’est pas dans l’avoir mais dans l’être. En effet Jean Vanier raconte  à dans son livre Ne crains pas : « Un indien me dit une fois ‘vous en occident vous avez tout l’argent, la richesse, la puissance mais vous avez perdu l’essentiel, le sens de la vie. »

Je disais ci-dessus que ces trois communautés étaient peuplées essentiellement, sinon exclusivement des indigènes mexicains qui ont su contre vents et marées conserver leur dialecte face au colonialisme espagnol. Mais cela ne leur vaut pas toujours considération et respect de la part des autres Mexicains métissés qui forment le plus gros lot de la population. Ils sont vus comme inférieurs par ces derniers. Cela se ressent lorsqu’on leur pose des questions sur leur culture ; ils n’en parlent vraiment pas avec fierté, comme s’ils avaient honte de leur « trésor » culturel. En d’autres termes, ils se sentent regardés avec condescendance. Je me rappelle Estéban victime d’un accident qui m’a invité le premier soir à manger chez lui. Il éclata presqu’en sanglots quand il me disait que les autres mexicains les méprisaient. Puis de se ressaisir pour poursuivre « cependant nous sommes tous des êtres humains.  Et l’Amour de Dieu est un amour universel qui ne méprise aucune de ses créatures». Estéban avait tout saisi en réalité. Ainsi je venais de prendre conscience que quand nous allons vers des peuples d’une autre culture, nous ne devons pas y aller pour faire du bien encore moins donner des leçons, mais pour écouter, pour toucher, pour admirer, pour les regarder attentivement et respectueusement grandir dans toute la beauté de leur être, pour les voir s’épanouir dans leur langue, pour découvrir la richesse et la diversité de l’humanité qui ne fait pourtant qu’un. Un jardin où il n y aurait que des lis ou des roses serait triste.

3. Attitude missionnaire

En écoutant le récit de l’évangélisation et de la colonisation de ce milieu j’ai vite fait des liens avec l’histoire d’Afrique où ma congrégation a évangélisé une grande partie. Sans jeter tout le repas aux chiens, force est de reconnaitre qu’une des faiblesses de l’évangélisation a été la tabula rasa faite sur les us et coutumes locales. Ainsi un mode de vie étranger a été imposé aux personnes au nom de l’Evangile. En agissant ainsi, les missionnaires condamnaient leur culture, leurs parents, leurs grands parents. En effet nous pouvons écraser une culture et provoquer de profonds ressentiments dans les cœurs de ceux qui ont été écrasés. Je comprends à présent que parfois le christianisme soit ironiquement perçu comme la religion des blancs par opposition à la religion traditionnelle africaine. Parfois nous avions baptisé les bébés comme s’ils sortaient d’une machine sans lien avec leur milieu de vie, en inscrivant des numéros. Les résultats sont que :

Nous avons meurtri des J.P. Guibila et un groupe de chrétiensmilliers de personnes non pas en leur apportant la foi en Jésus (sensée les libérer et les rendre plus humains), mais en leur imposant tout un mode de vie, une culture qui soit les blessait profondément ou faisait d’eux des hybrides. Par exemple,  comble du ridicule, allez au fond fin d’un village en Afrique et vous verrez que même la femme qui a déjà eu 5 voire 10 enfants avec son homme exigera une robe blanche plus ou moins ridicule pour le jour où ils iront régulariser leur mariage à l’Eglise. Pourquoi cela ? Eh bien tout simplement du « copier coller » occidental sans en connaitre le sens.

A ce propos la pensée de Jean Marc Ela qui voit en l’homme noir une ambigüité dans sa foi chrétienne n’a pas tort lorsqu’il dit que les africains sont chrétiens le dimanche, musulmans le vendredi et animistes les autres jours de la semaine.

Au sens plus personnel, comme missionnaire je me sens interpellé à une attitude « d’humilité et de respect dans ma volonté de servir pour que les autres pensent tout seuls, s’organisent comme ils l’entendent, deviennent des communautés et des Hommes débout, libres et responsables car Dieu est un Père qu’aucune civilisation n’a le droit d’accaparer. » cf. prière mariale numéro trois des Pères Blancs.

Je vois à mon humble avis que tout projet missionnaire d’où qu’il vienne et de qui qu’il soit qui ne prenne en compte les aspirations profondes des personnes concernées est tout sauf émanant de Dieu car désincarné.

Regarder, écouter, toucher tels sont pour moi trois verbes clefs de cette attitude missionnaire. Oui l’Esprit nous conduit de l’arrêt au regard, puis à l’écoute et enfin au toucher (accueil de l’autre, partage avec l’autre), quand il nous fait sortir de notre nombrilisme culturel, de notre style de vie, de l’importance que nous donnons à une certaine forme d’éducation etc.

Je voudrais terminer par une des prières mariales de notre Société qui sied à ce que je vis : « Vierge empressée de la Visitation, priez pour nous. Faites comprendre aux messagers de votre Fils qu’il les a précédés dans le cœur de toute personne humaine, qu’il est à l’œuvre en chacune depuis toujours, à l’ombre des mosquées, de la hutte des ancêtres, dans les savanes et les forêts comme au cœur des déserts. Obtenez aux apôtres que nous voulons être de découvrir Jésus-Christ en essayant de le donner. »

Guadalajara ce 14 Avril 2012,

Père Guibila M.Afr