Au nom de la religion ? (Recension)

François Euvé : Couverture Euvé Au nomAu nom de la religion? Barbarie ou fraternité

Éditions de l’Atelier 2016 – 151 pages – 15€

ISBN 978-2-7082-4516-7

 

François Euvé est un auteur bien connu d’un certain public puisqu’il est le rédacteur en chef de la revue des jésuites « Étvdes » ; revue à laquelle il fait souvent référence dans ce nouveau livre. Il nous livre ici une réflexion très instructive sur notre société moderne où nous devons faire face d’une part à une certaine résurgence du religieux, d’autre part à une certaine violence.

Le thème de « la crise » revient souvent sous sa plume (p.32 & 39). Cela peut se voir dans cette gestion technocratique des biens individuels de chacun des membres de notre société. Il n’y a plus de lien social entre les individus ; on ne voit plus de cohérence dans la société. Alors, l’auteur pose la question : « Le bien commun est-il égal à la moyenne des biens individuels ? » (p.39) Il faut alors reconstruire la société en insistant sur les valeurs que malgré tout, nous avons en commun, quelle que soit notre religion ou notre culture. Aux valeurs religieuses traditionnelles, nous pouvons ajouter les valeurs contemporaines (p.23) qu’il met en relation avec ce qu’il appelle « les principes, non démontrables mais indispensables comme la dignité humaine » (p.46). Il parle aussi des principes civilisationnels de l’Europe moderne : civilité, légalité, publicité (p.47). Il mentionne également des principes substantiels (p.56) ou encore des principes fondamentaux (p.53). Tout ceci pour nous dire que les matériaux sont là, au milieu de nous pour retrouver une « cohérence » dans notre société.

Ces difficultés sociétales ont de multiples causes. L’auteur se fait l’écho de quelques solutions. Ainsi, il se fait l’avocat de la rencontre et pour l’émergence de relations interculturelles et interreligieuses. Il nous invite à nous ouvrir à une certaine forme de transcendance (p.46) car, reprenant Karl Rahner, toutes les religions partagent une certaine forme de transcendance (p.131). Ces rencontres seront possibles si nous acceptons de rentrer dans « un jeu relationnel ouvert » car « toute singularité ne peut s’accomplir qu’au sein d’un engagement relationnel » ; une invitation à « émerger à soi-même sans être noyé dans la relation. » (p.71)

De nos jours, c’est avec l’islam que les relations sont les plus cruciales. Dans ce domaine, l’auteur nous demande de rencontrer les musulmans et non l’islam en tant que tel (p.121) ; le faire sans idées préconçues et en étant vigilant à l’égard d’un savoir préalable théorique. Ces musulmans ont le droit de marquer leur présence de manière significative car, nous dit-il, « l’invisibilité ne favorise pas l’intégration » (p.79) Nous pourrons alors rechercher la vérité de l’autre « tel qu’il se veut » et non selon nos critères (p.122). Car souligne notre auteur, « tout dialogue suppose la mise en question du petit pouvoir que l’on détient, ne serait-ce que l’image qu’on se fait de soi. » (p.125)

C’est dans un tel contexte que l’auteur place la violence (ou ‘barbarie’ selon le titre). Dès l’introduction il pose la communication comme remède à la violence (p.12). Cette violence a trois causes principales : les situations géopolitiques ou sociologiques comme les composantes religieuses (p.16). Il nous invite à penser l’islam comme « une menace potentiellement violente » (p.73). Il faut aussi se faire une raison. On n’arrivera jamais à extirper la violence mais on peut néanmoins la réguler (p.64) par une ou des lois qui « à défaut de l’éradiquer peut au moins la contenir » (p.143)

Enfin, on pourra s’arrêter sur sa présentation très éclairante du fondamentalisme qu’il présente comme un syndrome typiquement moderne et qui est à la portée de tous qu’ils soient musulmans ou chrétiens (p.102)

Ce livre nous offre plein de richesses à exploiter. Dans sa conclusion, l’auteur mentionne une nouvelle fois « l’espérance » (p.150) ; une espérance qu’il avait déjà évoquée en pages 23 et 50. Ce livre n’étant pas un traité de théologie ou de spiritualité, il ne faut pas lui demander ce qui n’est pas de son domaine. Mais à l’heure où l’on recherche de nouveaux idéaux pour mobiliser les individus de nos sociétés, le Christianisme aurait peut-être quelque chose à offrir avec « l’Espérance » et arriver ainsi à une fraternité… Sujet pour un nouveau livre.

Gilles Mathorel