Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

Afrique-Europe: «À qui profite l’exil?», une bande dessinée qui questionne la migration

 

« À qui profite l’exil ? Le business des frontières fermées »… Le titre de ce roman graphique dit tout : au fil des pages, le lecteur part à rebours de l’Europe vers l’Afrique, pour explorer les ressorts de ces voyages qui font tant de mort, coûtent si cher aux migrants, et servent toute une série d’intérêts.

Des corps repêchés au large des côtes italiennes sont autopsiés, puis enterrés sous un numéro de matricule, dans l’espoir un peu vain que les familles les réclameront et permettront de les identifier. Qui sont ces anonymes ? Des jeunes hommes de 25 à 25 ans, qui sont plus de 5 000 à avoir péri en Méditerranée en 2016 – et encore 2 500 en 2022, selon l’Organisation internationale des migrations (OIM).

L’enquête part ensuite au Niger et au Sénégal, pour remuer le couteau dans la plaie béante – et rarement examinée – des très nombreuses responsabilités collectives, qui s’accumulent dans la catastrophe en cours depuis plus de 20 ans. Sont décryptés le système Frontex de contrôle des frontières européennes, la part de l’Aide publique au développement consacrée à ce contrôle, en partie délocalisé par l’Europe dans le Sahel.

Un trait de crayon réaliste et sensible

La journaliste finlandaise Taina Tervonen, qui a grandi au Sénégal et vit en France, a fait équipe avec le dessinateur français Jeff Pourquié pour retracer plusieurs années de reportages, d’abord publiés dans la Revue dessinée et Les Jours. Les deux auteurs ont été associés par Franck Bourgeron et Sylvain Ricard, directeur et fondateur de la Revue dessinée, lorsque Taina Tervonen – qui a aussi publié Les otages, un livre sur le pillage d’objets d’art en Afrique - leur a proposé un sujet sur Frontex en 2014. Un « mariage » heureux. Jeff Pourquié, sensible au sujet de la migration, et dont le coup de crayon saisit parfaitement la physionomie des Africains, avait déjà publié des albums de fiction (Békame, Futuropolis) sur un jeune garçon fan de foot qui essaie de traverser la Manche depuis Calais vers l’Angleterre.

« Jeff a un trait très réaliste et une capacité à s’affranchir du réalisme pour aller vers le symbolisme s’il le faut, explique Taina Tervonen. Dans la partie du reportage en Sicile, il n’a pas dessiné les morts, seulement des sacs mortuaires blancs et les visages des pompiers qui descendent dans la cale d’un navire. Il sait s’imprégner d’univers et d’ambiances qu’ils n’a pas connus directement et dessine comme s’il y était à partir de sa documentation ». D’où le ciel chargé de sable de la saison de l’hivernage au Sénégal, colorié en jaune dans la BD.

La migration, une traite payante et volontaire

L’écrivain sénégalais Abass Dione fustigeait déjà, en 2010, dans les colonnes de Libération, une forme moderne de traite esclavagiste, devenue « payante et volontaire ». Taina Tervonen confirme, même si elle ne reprend pas à son compte cette formulation : « Ces flux migratoires nous profitent directement et participent d’une logique économique en lien direct avec l’époque coloniale, qui prive de la liberté de circulation des pans entiers de populations, les anciens colonisés. »

Les responsabilités paraissent multiples aux yeux de la journaliste, qui souligne que « les Noirs en France servent encore aujourd’hui pour leur force de travail physique, c’est leur apport dans la société occidentale. Un sans-papier est plus facile à exploiter ». Les jeunes Africains sont par ailleurs poussés par un manque de perspectives « terrifiant » qui pose la question des responsabilités africaines. « Nous sommes dans une équation bizarre : les transferts de migrants rapportent 10% de son PIB au Sénégal, et c’est difficile de faire comme s’ils n’existaient pas. Alors que l’Europe manque de main d’œuvre, la liberté de circuler est entravée. Il est vrai qu’un sans-papier, c’est plus facile à exploiter. Par ailleurs, tous les experts tombent d’accord pour dire que contrôler les frontières représente non seulement un effort vain, mais qui tue aussi des gens dans des proportions que l’on ne soupçonne pas vraiment. En ce moment, beaucoup de départs se font depuis la Tunisie vers l’Italie. Sur trois jours en mars dernier, une seule personne de la société civile a dénombré 482 morts. Sur la route des Canaries, des bateaux entiers disparaissent sans qu’on n’en entende jamais parler ».

Avec un militantisme assumé, Taina Tervonen se pose des questions et cherche les réponses. « Celles-ci se situent toujours à deux niveaux, explique-t-elle : dans les histoires individuelles et dans une analyse plus globale – la base du travail de journaliste, qui doit chercher dans les archives, lire des traités, examiner le droit et toutes sortes de documents ». Partir de l’individuel pour aller vers des phénomènes structurels permet au lecteur de s’identifier aux personnes, pour changer le regard et faciliter la compréhension… « Une fois que le regard est changé, c’est définitif, il n’y a pas de retour en arrière », affirme la journaliste, elle-même croquée par le dessinateur de nombreuses situations au fil de son enquête au long cours. Un personnage de blonde à petites lunettes, dressé contre les injustices, auquel il n’est pas non plus interdit de s’identifier.

 

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Couverture de la bande dessinée «À qui profite l’exil ?», de Taina Tervonen et Jeff Pourquié, éditions Delcourt. © Edition Delcourt

En Guinée, Mamadi Doumbouya accusé de censurer la presse

Sur fond de tensions politiques, alors que les appels à manifester de l’opposition ont repris, les principales organisations de presse accusent la junte de censurer internet et d’avoir saisi les émetteurs de deux radios.

Par Jeune Afrique
Mis à jour le 19 mai 2023 à 12:21
 
 

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Une affiche représentant le colonel Mamadi Doumbouya, à Conakry, le 11 septembre 2021. © JOHN WESSELS / AFP

 

La junte dirigée par Mamadi Doumbouya pratique-t-elle la censure des médias ? C’est en tout cas l’avis des principales organisations de presse guinéennes, représentant télévisions, radios, journaux et sites d’information privés, qui ont pointé du doigt, jeudi 18 mai, la restriction ou le blocage de l’accès à des sites internet d’information et à des réseaux sociaux populaires, dans un contexte politique tendu, marqué par les appels de l’opposition à manifester.

Elles ont aussi dénoncé une descente effectuée mercredi par des gendarmes au siège du groupe de presse Afric Vision, à Conakry, et la saisie des émetteurs de deux radios.

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« Des actions liberticides engagées par l’Autorité de régulation des postes et télécommunications contre les médias guinéens », fustige le communiqué des organisations de presse, lesquelles « condamnent cette censure, qui est un recul de la démocratie » et annoncent leur décision de ne plus participer à la semaine des métiers de l’information et de la communication organisée par le gouvernement.

« Méthodes rétrogrades »

Depuis mercredi, les internautes guinéens se plaignent de la difficulté ou de l’impossibilité d’accès sans VPN à des sites d’information ou à des réseaux sociaux comme Facebook, WhatsApp, Instagram ou TikTok. Les problèmes ont été confirmés par le service de surveillance d’internet NetBlocks. L’influente Association des blogueurs de Guinée, Ablogui, a parlé dans un communiqué distinct de « méthodes rétrogrades qui déshonorent la Guinée ».

À LIRE« Le jour où Mamadi Doumbouya m’a chassé de chez moi », par Cellou Dalein Diallo

Le porte-parole du gouvernement et ministre des Télécommunications, Ousmane Gaoual Diallo, a cependant réfuté toute implication des autorités. Il a parlé devant les journalistes « d’une panne qui se produit partout », a rapporté le site d’information Guinéenews. « Si le gouvernement décide de fermer internet, il le fera et en assumera les conséquences. Cependant, ce n’est pas le cas », a-t-il déclaré. Quant à Afric Vision, les autorités attendent que le groupe produise des éléments corroborant ses dires, a-t-il déclaré. Mais tout média qui troublera la paix sociale « sera fermé sans hésitation », a-t-il prévenu.

Manifestation peu suivie

Alors que la junte interdit toute manifestation depuis 2022, l’opposition avait appelé à défiler dans les rues mercredi et jeudi, annulant finalement sa deuxième journée d’action. L’appel de la veille avait été peu suivi d’effet dans les rues de Conakry, placées sous contrôle étroit de l’armée et des forces de sécurité.

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Les Forces vives, collectif de partis et organisations, ont cependant revendiqué d’avoir paralysé l’activité dans différents secteurs de la capitale. Elles accusent le colonel Mamadi Doumbouya et un certain nombre d’officiels de faire preuve de « folie meurtrière » et d’essayer de mener à bien un projet de confiscation du pouvoir, alors que les militaires – sous la pression de pays et d’institutions de la sous-région – ont consenti à laisser la place à des civils élus d’ici à la fin de 2024.

(Avec AFP)

L’influenceuse ghanéenne Mona 4Reall extradée et poursuivie aux États-Unis pour « escroquerie sentimentale »

Présumée impliquée dans des arnaques via les réseaux sociaux, la Ghanéenne aux 3 millions d’abonnés sur Instagram a été inculpée par le tribunal fédéral de Manhattan.

Mis à jour le 17 mai 2023 à 20:06
 
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Par Damien Glez

Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.

 
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© Damien Glez
 
 
 

Les ficelles des escroqueries à la misère amoureuse sont désormais bien connues. Comme l’aveuglement parfois créé, au-delà de toute rationalité, par l’appât du gain, des détrousseurs de bas étage profitent, via les réseaux sociaux, de la solitude sentimentale de personnes souvent âgées et parfois argentées, certaines allant jusqu’à vendre leur maison. La technique est traditionnellement le fait de « brouteurs » aussi informels que talentueux, des escrocs isolés, difficiles à cerner, à localiser et à interpeller.

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L’erreur de la Ghanéenne Mona Faiz Montrage aurait-elle été de participer à un réseau d’arnaques de ce type et de minimiser les effets de sa notoriété ? Célèbre sous ses pseudonymes “Mona 4Reall” ou “Hajia4Reall”, la mondaine, mannequin, musicienne et femme d’affaires a compté plus de trois millions d’abonnés sur Instagram.

À LIRENigeria : fin de cavale d’un escroc présumé, recherché par le FBI

Naturellement traçable et voyageuse argentée, l’influenceuse de 30 ans a été arrêtée, en novembre dernier, au Royaume-Uni, puis extradée aux États-Unis. Auditionnée, lundi 15 mai, par la justice de New York, Mona Faiz Montrage a été inculpée, le jour même, par le tribunal fédéral de Manhattan, pour participation à un réseau d’escroqueries sentimentales via les réseaux sociaux, à l’encontre de victimes aux États-Unis.

2 millions de dollars

Les charges précisément retenues concernent notamment des suspicions de « blanchiment d’argent, fraude électronique et recel de vol » en rapport avec une « entreprise criminelle » basée en Afrique de l’Ouest, pour des faits situés entre 2013 et 2019. Selon l’acte d’inculpation, des Américains et Américaines « vulnérables et âgés vivant seuls », recevaient des messages électroniques leur faisant miroiter des relations amoureuses naissantes. Sans surprise, a posteriori, s’en suivaient les habituelles demandes de transferts d’argent…

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Dans ce réseau, Mona Faiz Montrage aurait perçu, selon les enquêteurs, deux millions de dollars sur ses comptes bancaires. Une victime présumée prétend lui avoir versé 89 000 dollars, alléchée qu’elle était par une promesse de mariage. L’inculpée a décidé de plaider non coupable et son avocat de jouer, pour l’instant, le mutisme…

Née à Tamale, d’une mère ghanéenne et d’un père libanais, l’influenceuse a déménagé, entre temps, aux États-Unis, pour se spécialiser dans la planification d’événements, la production multimédia, la gestion des talents et réaliser des expériences musicales personnelles. Depuis 2020, elle a sorti un EP et quatre singles, toujours en lien avec des artistes ghanéens.

Enlèvement d’Olivier Dubois au Mali : l’armée française mise en cause

Selon une enquête conjointe de plusieurs médias français, des militaires auraient tenté de se servir du journaliste comme appât pour localiser un chef jihadiste malien. L’armée aurait renoncé in extremis, sans toutefois essayer d’empêcher le rapt du reporter.

Par Jeune Afrique
Mis à jour le 17 mai 2023 à 13:12
 

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Le journaliste français Olivier Dubois à son arrivée à l’aéroport international Diori Hamani de Niamey, le 20 mars 2023. © Souleymane AG ANARA / AFP

 

Une enquête menée par plusieurs médias français – Le Monde, Libération, RFI et TV5 Monde – affirme que l’armée aurait tenté d’utiliser le journaliste français Olivier Dubois à son insu pour tenter de localiser un chef jihadiste d’Al-Qaïda, sans empêcher son enlèvement au Mali en 2021.

À LIREDu Mali au Niger, comment Olivier Dubois a été libéré

Selon leurs informations, la force française Barkhane était informée du projet du journaliste de rencontrer dans le nord du Mali Abdallah Ag Albakaye, émir affilié à Al-Qaïda, via un fixeur servant aussi d’indicateur aux armées. Les militaires ont alors envisagé d’utiliser cette prise de rendez-vous pour localiser cet émir, avant de renoncer in extremis en raison des risques encourus.

Défaillances ?

Mais l’armée n’aurait pas déployé les moyens adaptés pour empêcher l’enlèvement d’Olivier Dubois à Gao, où il devait rencontrer Abdallah Ag Albakaye. Kidnappé le 8 avril 2021 dans la cité du nord du Mali par le GSIM, principale alliance jihadiste au Sahel liée à Al-Qaïda, Olivier Dubois, qui collaborait notamment avec Libération, Jeune Afrique, Le Point et vivait au Mali depuis 2015, a été libéré en mars dernier. 

Chargée d’enquêter en interne sur cette affaire, l’inspection générale des armées (IGA) a conclu fin 2021 qu’il n’y avait « pas eu de faute personnelle au sein de la force Barkhane ». Mais l’IGA précise que « la sensibilité du sujet n’a pas fait l’objet d’une prise en compte à un niveau suffisant permettant de conduire (…) une action dissuasive à l’encontre du journaliste ».

« Lettre rouge »

Le ministère français des Affaires étrangères a refusé tout commentaire « en raison de l’instruction judiciaire » en cours. L’état-major n’a quant à lui pas souhaité faire de commentaires.

De source diplomatique, on rappelle qu’une « lettre rouge » avait été envoyée à Olivier Dubois la veille de son rapt pour le dissuader de faire ce voyage. Sans toutefois mentionner, selon Le Monde, le risque particulier d’enlèvement encouru par le journaliste, que les renseignements recueillis par l’armée laissaient pourtant présager.

(Avec AFP)

Ousmane Sonko contre Adji Sarr : de l’effervescence populaire à l’inertie judiciaire

En mars 2021, alors que les partisans d’Ousmane Sonko redoutent son placement en détention provisoire, des émeutes éclatent à travers le Sénégal. Mais pendant plusieurs mois, la justice fera du surplace.

Par  et  - à Dakar
Mis à jour le 15 mai 2023 à 10:30
 
 
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En mars 2021, des émeutes ont éclaté à Dakar après l’arrestation d’Ousmane Sonko. © MONTAGE JA : Cooper Inveen/REUTERS

 

OUSMANE SONKO ET LE PROCÈS DE LA DERNIÈRE CHANCE (2/3) – Au Sénégal, les esprits ont commencé à s’échauffer avant même la levée de l’immunité parlementaire d’Ousmane Sonko. Dès la mi-février, des cadres de Pastef et les leaders de plusieurs mouvements de la société civile ont fait l’objet d’interpellations et de placements en garde à vue, parfois sous contrôle judiciaire, voire sous mandat de dépôt.

À LIRE[Série] Au Sénégal, Ousmane Sonko et le procès de la dernière chance 

Le 3 mars 2021, les choses s’enveniment. Convoqué par le doyen des juges du tribunal de Dakar, Ousmane Sonko quitte au ralenti son domicile de la cité Keur Gorgui. Une procession de sympathisants s’est formée autour de son véhicule et celui-ci avance au pas vers l’entrée du quartier du Plateau, où se trouve le Palais de justice.

« Pas d’abdication »

La veille, plusieurs proches et personnalités de la société civile se sont succédé auprès de l’opposant pour le dissuader de boycotter la convocation de la justice : son marabout, Serigne Abdou Mbacké, l’ancien directeur régional d’Amnesty International, Alioune Tine, mais aussi ses avocats. Malgré sa défiance envers la justice, Ousmane Sonko finit par se ranger à leurs arguments. « Nous irons répondre et écouter le juge. Mais ce n’est pas une abdication et nous n’accepterons aucune injustice », prévient-il.

Ce mercredi 3 mars, le cortège d’Ousmane Sonko avance trop lentement au goût du magistrat instructeur, qui l’attend dans son cabinet. Les forces de l’ordre sont donc envoyées à sa rencontre pour accélérer la cadence. Interpelé sur le trajet, le président de Pastef est emmené manu militari. Il demeurera pendant cinq jours dans la « cave » du palais de justice, avant d’être enfin entendu, le 8 mars dans la matinée.

À LIREArrestation de Sonko : la colère tourne à l’émeute

Dehors, la crainte de voir l’opposant placé sous mandat de dépôt s’est aussitôt répandue, telle une traînée de poudre. Et les réactions de ses partisans deviennent très vite incontrôlables. Dakar sombre dans des scènes d’émeutes que la capitale n’avait plus connues depuis la période pré-électorale du début de 2012, en réaction à la troisième candidature d’Abdoulaye Wade.

Une capitale champ de bataille

 

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VAffrontements entre partisans d'Ousmane Sonbko et forces de l'ordre, à Dakar, le 3 mars 2021. © Zohra Bensemra/REUTERS

Détruisant de nombreux biens et commerces (en particulier français), allant jusqu’à incendier le domicile de l’avocat El Hadj Diouf, devenu le conseil d’Adji Sarr, ou à s’en prendre aux locaux du quotidien d’État, Le Soleil, et du Groupe Futurs Médias, jugé trop proche du pouvoir, des milliers de Sénégalais en colère ont investi la rue et font face à des forces de l’ordre décidées à ramener le calme coûte que coûte. Des nervis à la solde du pouvoir épaulent gendarmes et policiers, tandis que les grenades assourdissantes ou lacrymogènes volent dans les artères quasi désertes d’une capitale devenue champ de bataille.

Vendredi 5 mars dans la soirée, le ministre de l’Intérieur, Antoine Félix Abdoulaye Diome, intervient en direct sur les chaînes de télévision. Il accuse Ousmane Sonko d’être le principal responsable de ces débordements après avoir « lancé des appels à la violence » et à « l’insurrection ». « Des conspirations et des actes de terrorisme qui relèvent du grand banditisme sont organisés », estime-t-il, tout en lançant un appel « au calme, à la sérénité et à l’apaisement ». La veille, les chaînes de télévision Walf TV et Sen TV, qui diffusent en boucle les images des violences, ont été suspendues provisoirement par le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA).

À LIRESénégal : « Cette jeunesse qui se soulève, c’est celle qui a porté Macky Sall au pouvoir en 2012 »

La situation dégénère au point que le secrétaire général de l’ONU en personne, António Guterres, se dit « très préoccupé » et appelle « à éviter une escalade ». Des organisations de la société civile comme Amnesty International ou Reporters sans frontières expriment, elles aussi, leur inquiétude.

À lui seul, le bilan de ces journées d’émeutes témoigne de leur intensité. À travers le pays, quatorze personnes y perdront la vie. La plupart d’entre elles sont âgées d’une vingtaine d’années. Certaines familles confieront avoir été dissuadées par un émissaire du pouvoir de se tourner vers la justice. Celui-ci leur aurait demandé de ne pas porter plainte et leur aurait parfois offert de financer les obsèques de leur proche, ou encore la rénovation du domicile familial. La famille du jeune Cheikh Wade, tué par balles le 8 mars lors d’une manifestation, finira toutefois par porter plainte. Mais aujourd’hui, l’instruction est au point mort.

Contrôle judiciaire

Lundi 8 mars 2021, le climat s’apaise enfin. Après cinq jours au secret, Ousmane Sonko est présenté au doyen des juges d’instruction, Samba Sall, pour une première comparution. Inculpé de viols sous la menace d’une arme – Adji Sarr affirme en effet qu’il portait sur lui deux pistolets lorsqu’il venait au salon –, il ressort libre, bien que soumis à diverses obligations. Placé sous contrôle judiciaire, il devra pointer une fois par mois au tribunal et ne pourra quitter le pays qu’avec l’accord du juge d’instruction, qui conserve son passeport. Il lui est par ailleurs interdit de s’exprimer publiquement sur l’affaire.

À LIRESénégal : Macky Sall face à Ousmane Sonko, deux styles aux antipodes pour un duel

Avec le soutien de la communauté mouride, le pouvoir parvient à faire annuler in extremis une manifestation de l’opposition prévue le 13 mars 2021. Une semaine plus tard, le visage fermé, la tête revêtue d’un voile noir, Adji Sarr s’exprime publiquement, pour la première fois, face à la caméra de plusieurs médias. « Ousmane Sonko a gagné », estime la jeune femme, qui revient en détail sur les faits dont elle l’accuse. « S’il dit qu’il n’a jamais eu de rapport avec moi, s’il met sa main sur le Coran, je suis prête à retirer ma plainte et à en assumer les conséquences.  Mais il faut que la vérité éclate. »

Une fois le spectre de la détention provisoire écarté et la température redescendue à travers le pays, on aurait pu s’attendre à ce que cette instruction sensible soit traitée avec une certaine célérité. C’est pourtant tout le contraire qui se produira.

De rares témoins

Malgré le nombre réduit de protagonistes susceptibles d’apporter un éclairage quant aux faits, qui se seraient déroulés dans l’enceinte de l’institut Sweet Beauté entre les mois de novembre 2020 et de février 2021 – une demi-douzaine de témoins directs et presque autant de témoins de contexte –, l’instruction fait du surplace.

Au début du mois d’octobre 2021, les avocats d’Ousmane Sonko adressent une salve de requêtes au juge d’instruction en charge de l’affaire. Ils demandent la copie du dossier, dont ils ne disposent toujours pas, l’audition de leur client sur le fond et la levée de son contrôle judiciaire. « Depuis sa première comparution, Ousmane Sonko n’a plus été convoqué par le juge, s’indigne alors El Malick Ndiaye, de Pastef. Or nous ne voulons pas attendre la tenue des élections [locales] pour qu’il soit entendu sur le fond du dossier. Nous espérons qu’il bénéficiera d’un non-lieu avant cette échéance. »

À LIRESénégal : pourquoi l’affaire Ousmane Sonko n’avance pas

La partie adverse déplore, elle aussi, les lenteurs de la procédure et ses répercussions problématiques sur la victime présumée. « Adji Sarr n’ose même plus se rendre au marché et elle reçoit des menaces émanant de militants pro-Sonko, indique à JA l’avocat El Hadj Diouf. Moi-même, j’ai eu ma maison brûlée, en mars, durant les émeutes. Personne n’est plus pressé qu’Adji Sarr de voir cette affaire déboucher sur un procès. »

Au cœur de ces lenteurs, d’après nos différents interlocuteurs, la situation chaotique entraînée par le décès, en avril 2021, du doyen des juges d’instruction du tribunal régional hors-classe de Dakar, Samba Sall. Celui-ci avait hérité du dossier après que le juge désigné pour instruire l’affaire, Mamadou Seck, a préféré se déporter en raison des origines casamançaises de son épouse – la Casamance est le bastion électoral d’Ousmane Sonko, qui y a grandi.

L’instruction piétine

Depuis plusieurs mois, l’intérim du juge Samba Sall, qui n’a pas été officiellement remplacé, est donc assuré par Abdoulaye Thioune. Mais celui-ci, à en croire les deux parties, garde le pied sur le frein. « Cela nous pénalise de ne pas avoir un juge titulaire sur ce dossier, s’emporte Me Diouf. Jusque-là, Adji Sarr a été entendue sur le fond, mais pas Ousmane Sonko. Et aucune confrontation entre eux n’a encore pu avoir lieu. »

« Nous ne craignons pas le procès, mais nous demandons à la justice d’apporter des réponses rapides à nos revendications, affirme quant à lui Me Bamba Cissé pour le compte de l’opposant. S’ils prétendent disposer d’un dossier d’accusation solide, qu’ils accélèrent et aillent jusqu’au jugement ! »

Dans le même temps, toujours soumis à un contrôle judiciaire qui le contraint à pointer chaque mois au tribunal, Ousmane Sonko est entravé dans son activité politique, empêché de quitter momentanément le Sénégal sans la permission du juge. L’affaire continue néanmoins de marquer les esprits à mesure que sont disséminés dans les médias des révélations plus ou moins fiables sur les à-côtés de l’affaire, et en particulier sur de mystérieux enregistrements clandestins – difficilement authentifiables – où certains protagonistes directs ou indirects tenteraient de faire pencher la balance en faveur de la défense ou de l’accusation.

À LIREAu Sénégal, la valse des magistrats dans les affaires Sonko

D’un bout à l’autre du pays, autour du thé à la menthe ou du thiéboudiène, dans les maquis ou les taxis, chacun s’improvise magistrat et livre prématurément son verdict sur le fond du dossier, clément ou accablant envers Ousmane Sonko. Le clivage qui divise l’opinion autour du cas Adji Sarr n’est pas sans rappeler le diptyque du dessinateur français Caran d’Ache, à la fin du XIXe siècle, à propos de la tristement célèbre affaire Dreyfus. Dans le premier dessin, une famille attablée devise paisiblement, tout en s’apprêtant à dîner. En légende : « Surtout, ne parlons pas de l’affaire Dreyfus ! » Dans le second, la dizaine de convives, en furie, s’invectivent et s’écharpent autour d’une table dévastée. En légende : « Ils en ont parlé. »

MA VIE, SI ON PEUT APPELER ÇA UNE VIE, SE LIMITE À ALLER ET VENIR ENTRE MA CHAMBRE ET MON SALON

En janvier puis fin février 2022, Jeune Afrique parvient enfin à rencontrer Adji Sarr au terme de patientes tractations avec un membre de son entourage. La jeune femme revient alors longuement sur la victoire récente d’Ousmane Sonko aux élections locales. Le 23 janvier, l’opposant a en effet remporté la mairie de Ziguinchor, en Casamance, démontrant ainsi que les graves soupçons qui pèsent sur lui n’ont en rien entamé sa cote de popularité. « J’ai pleuré toute la nuit en apprenant qu’il avait gagné », confie la jeune femme, inquiète à l’idée qu’il puisse prendre ses quartiers au palais présidentiel en 2024.

Telle une moniale ayant opté pour la vie contemplative, Adji Sarr vit cloîtrée dans un appartement dakarois, d’où elle ne sort quasiment jamais. « Ma vie, si on peut appeler ça une vie, se limite à cet appartement, à aller et venir entre ma chambre et mon salon, indique-t-elle à JA. Je ne peux pas sortir, je ne peux pas me mettre à la fenêtre de peur qu’on me voie. » En permanence, trois policiers de la Brigade d’intervention polyvalente (BIP) veillent sur elle, filtrant l’accès à son repaire provisoire.

À LIRESénégal – Adji Sarr : « Comment Ousmane Sonko a détruit ma vie »

Un an après le dépôt de sa plainte, la jeune femme décide toutefois de changer de stratégie de communication. Après s’être exprimée dans certains médias sénégalais au début de l’affaire, Adji Sarr vise désormais la presse internationale. Épaulée par un membre de son entourage, c’est elle-même qui fournit aux trois médias qui parviennent alors à la rencontrer – Jeune Afrique, RFI et Le Monde – des portraits d’elle récemment réalisés par un photographe professionnel. Oublié le voile noir qui couvrait ses cheveux un an plus tôt, accentuant la tonalité austère de son visage. Désormais, c’est une Adji Sarr maquillée et rayonnante, arborant fièrement une coupe à la fois féminine et moderne, qui pose, telle une mannequin, devant l’objectif.

Feu croisé médiatique

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Ousmane Sonko, le 3 mars 2021 à Dakar. © Seyllou/AFP

Interrogé par Jeune Afrique sur ce shooting photo inattendu, qui expose sans fard le nouveau visage de sa cliente – laquelle assure pourtant vivre traquée et craindre pour sa vie –, Me El Hadj Diouf botte en touche : « Je ne suis pas son conseiller en communication. »  Quant à Adji Sarr, qui gère manifestement ses sorties médiatiques en électron libre, elle martèle ce leitmotiv : « Je vis enfermée depuis plus d’un an. Cette situation ne peut pas durer. Si Ousmane Sonko est réellement victime d’un complot, comme il le dit, il n’a qu’à mobiliser l’ensemble de ses militants pour qu’ils réclament la tenue du procès. »

Face à ce feu croisé médiatique, Ousmane Sonko et ses proches décident rapidement de ne plus répondre aux sollicitations de la presse internationale et de déplacer le débat sur le terrain du complot et de l’intimidation. « Cette interview est une pilule qui ne passe toujours pas », confiera à JA un membre du premier cercle de l’opposant plus d’un an après sa sortie.

À LIRESénégal : comment Jeune Afrique a interviewé Adji Sarr

Peu après le premier anniversaire de l’inculpation d’Ousmane Sonko, la justice dakaroise semble enfin sortir d’une longue léthargie. Le 22 mars 2022, la propriétaire du salon de massage où les viols supposés auraient eu lieu, Ndèye Khady Ndiaye (elle-même inculpée pour « incitation à la débauche, publication d’images contraires aux bonnes mœurs et complicité de viol » et placée sous contrôle judiciaire) est convoquée par le juge d’instruction, ce qui laisse à penser que les rares témoins concernés par l’affaire vont enfin pouvoir livrer leur version des faits, préalable nécessaire aux auditions tant attendues d’Ousmane Sonko et d’Adji Sarr.

Le 14 avril, cette dernière est confrontée à Ndèye Khady Ndiaye. Puis l’affaire retourne dans un angle mort. Il faudra en effet attendre le 3 novembre 2022 pour qu’Ousmane Sonko soit enfin auditionné à son tour sur le fond du dossier par le juge Oumar Maham Diallo, qui en a hérité. « Nous sommes entrés sereins et sommes ressortis réconfortés », indique à JA l’un de ses avocats, Joseph Étienne Dione, au sortir de cette audition de trois heures, évoquant un dossier « squelettique, d’une vacuité déconcertante ».

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Le maire de Ziguinchor s’abstient toutefois d’apporter son entier concours à la justice. Il refuse ainsi de se prêter au test ADN proposé par le juge. « Il a dit que jamais il ne donnerait une goutte de son sang pour des tests à des comploteurs », précise Me Dione. Ousmane Sonko refuse par ailleurs de répondre aux questions du procureur général, représenté par son premier substitut.

Le président de Pastef n’en démord pas. Dans ce dossier, selon lui, la justice serait aux ordres du pouvoir et n’aurait qu’un objectif : instrumentaliser une accusation de viols imaginaire afin d’écarter définitivement la menace politique qu’il représente.


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