Élections en Mauritanie : face à Ghazouani, l’opposition se rebiffe

Après le raz-de-marée électoral du parti au pouvoir El Insaf lors du triple scrutin du 13 mai, l’opposition est, pour la première fois depuis 2019, vent debout contre le chef de l’État, et dénonce une fraude massive.

Mis à jour le 26 mai 2023 à 15:03
 
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Le président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani s’acquittant de son devoir électoral, à Nouakchott, le 13 mai 2023. © AMI

 

Pour Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, les scrutins du 13 mai ont certes le goût de la victoire, mais aussi celui de l’inconnu. Même s’il a remporté au premier tour 80 sièges de députés sur 176 déjà attribués, ainsi que l’ensemble des 13 conseils régionaux et 165 communes sur 238, le chef de l’État fait désormais face à une opposition qui s’est totalement reconstituée autour de nouveaux leaders. Surtout, elle conteste avec force les résultats provisoires des élections qu’elle estime entachées de « fraude massive », au point d’exiger leur annulation.

« Toute une génération a été balayée »

« Toute une génération a été balayée, estime un proche du palais. Pendant quatre ans, les opposants historiques ont été reçus par le président et cela a brouillé le message vis-à-vis de leur électorat. » Ces derniers – Ahmed Ould Daddah, Mohamed Ould Maouloud et Messaoud Ould Boulkheir en tête – essuient en effet un dur revers, leurs partis ayant été battus partout. Seule l’Alliance pour la justice et la démocratie-Mouvement pour la rénovation (AJD-MR) d’Ibrahima Moctar Sarr a tiré son épingle du jeu en remportant quatre sièges de député.

 

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De g. à dr., Mohamed Ould Maouloud, Messaoud Ould Boulkheir, Ahmed Ould Daddah et Madi Ould Sidi El Mokhtar, lors du grand meeting de l'opposition, à Nouakchott, le 25 mai 2023. © DR

 

Les Mauritaniens ont préféré se tourner vers des transfuges des partis traditionnels – à l’instar de Kadiata Malick Diallo, qui a quitté l’Union des forces de progrès (UFP) –, regroupés au sein du Front républicain pour l’unité et la démocratie (Frud).

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La percée de cette coalition est l’une des grandes surprises du scrutin : elle a désormais six représentants à l’Assemblée nationale et toutes ses têtes de liste ont été élues. Elle a puisé dans l’électorat traditionnel de Biram Dah Abeid, qui a obtenu cinq députés, mais dont on annonçait qu’il en obtiendrait davantage.

Ce résultat n’est sans doute pas tant une sanction pour l’opposant, arrivé deuxième à la présidentielle de 2019, qu’un avertissement de la part d’électeurs très versatiles qui expriment leur désaccord. Il en va de même pour les islamistes de Tawassoul, qui demeure malgré tout la première force d’opposition avec neuf députés. Le verdict est également sans appel pour Ribat Al Watani, la formation qu’a rejointe en 2021 Mohamed Ould Abdelaziz, qui n’a rien obtenu.

Enfin, l’opposition a perdu son bastion historique, puisque Nouakchott a basculé, pour la première fois, dans le camp du pouvoir grâce à une stratégie élaborée en coulisses par Moctar Ould Diay, l’ex-ministre de l’Économie et des Finances.

Les ratés de la Ceni

Le 25 mai, pour la première fois depuis plusieurs années, l’opposition a organisé un grand meeting dans la commune d’Arafat (ancien fief de Tawassoul désormais acquis à El Insaf). Le lendemain matin, le député Biram Dah Abeid a recouvré la liberté après deux jours passés en garde à vue pour après avoir publiquement incité les Mauritaniens à prendre les armes si les résultats des élections étaient validés. Son organisation anti-esclavagiste, IRA-Mauritanie, a par ailleurs déploré l’arrestation de 19 de ses militants lors d’une manifestation post-électorale.

Tous pointent les problèmes d’organisation rencontrés par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), que celle-ci a elle-même reconnus, l’incitant à enquêter sur les irrégularités présumées ayant entaché le scrutin.

Les ratés de la Ceni ont-ils eu une influence majeure sur les rapports de force ? « D’abord, ces anomalies ne sont pas imputables au gouvernement, car la Ceni est composée de toutes les parties prenantes, nous a confié Sid Ahmed Ould Mohamed, ministre de l’Habitat et porte-parole par intérim du gouvernement. Nous avons par ailleurs une analyse parfaite de la situation depuis le début du processus. Ces partis avaient déjà perdu beaucoup de sympathisants. »

En outre, les règles du jeu, comme le retour du vote à la proportionnelle au premier tour qui a finalement été très défavorable à l’opposition, avaient été définies en amont par celle-ci, en concertation avec le pouvoir.

Ghazouani veut dissiper les tensions

La désignation des membres de l’instance électorale a également été paritaire, hormis pour son président. C’est ce que Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani a rappelé à tous les opposants qu’il a reçus individuellement au Palais les jours qui ont suivi la publication des résultats provisoires. Il leur a également assuré ne pas s’être personnellement impliqué dans la préparation du scrutin.

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Toujours pour dissiper les tensions, le ministère de l’Intérieur, dirigé par Mohamed Ahmed Ould Mohamed Lemine, les a également réunis dans la soirée du 23 mai. « Si la majorité fait face à une crise post-électorale, rien ne laisse encore penser qu’elle se transformera en crise politique, estime l’analyste Moussa Ould Hamed. La présidentielle de 2024 arrive à grand pas et va très vite focaliser toute l’attention. »

Le second tour des législatives aura lieu le 27 mai. Il devrait déboucher sur de légers ajustements, mais pas sur un bouleversement majeur. Les dés sont en effet jetés.