les Écoles coraniques

Rencontre avec Monsieur Hamadoun Tolo, coordinateur de l’ONG Mali-Enjeu
le 14 janvier 2006 à Bamako.


Quelle est la différence entre une école coranique et une medersa ?

Une medersa est plus structurée, un peu comme une école publique avec un programme de matières profanes et l’enseignement du Coran ; les élèves sont la plupart du temps hébergés chez les parents. Ces écoles sont affiliées au Ministère de l’Education de base.

Une école coranique n’enseigne que le Coran, et est tout à fait dépendante de son maître (marabout). Un enfant qui est confié au maître, celui-ci a droit de vie et de mort sur l’enfant.

A Bamako, nous avons fait une étude sur les E.C. (Ecoles Coraniques) en 1998 et en avons recensé 134 dans les 6 communes de la ville.

L’introduction des E.C. remonte à la pénétration de l’islam : elles se sont fortement développées avec l’augmentation de la population de Bamako, venant de partout au Mali. La conversion à l’islam implique nécessairement l’apprentissage d’un certain nombre de versets, de sourates, et d’actes religieux.

L’ouverture de ces écoles est à l’initiative propre des maîtres. A Bamako, 60% des maîtres sont Peuhl, Soninké et Sonrai. Ils sont aussi chefs de famille nombreuse. Les élèves coraniques sont généralement accueillis dans des familles.

L’enseignement coranique était un devoir de piété qui n’occasionnait pas systématiquement une rémunération. Aujourd’hui, à Bamako, 63,43% des maîtres sont rémunérés par la « scolarité » des élèves, par des dons en nature et par la solidarité.

Parlez-nous des élèves. Nous voyons beaucoup de mendiants dans les rues de nos villes, surtout des talibés (garibouts) : qu’en pensez-vous ?

Les conditions de vie de ces enfants sont difficiles.
D’après l’enquête, 26,32% des élèves des écoles coraniques se nourrissent quotidiennement des produits de la mendicité et 28,06 % occasionnellement.

La mendicité est liée à la tradition, et permise dans le Coran. Ils mendient pour pouvoir manger à leur faim : « Il faut de l‘argent pour payer les cotisations, les habits, les chaussures, du matériel didactique, se soigner et manger. »

Ils mendient après les cours entre 10h et 12h, le soir entre 17h et 18h, la nuit entre 21h et 22h.
Au-delà de 14 ans, il n’y a plus de mendiants, ils ont honte. Les grands vivent de ce qu’apportent les petits.
Les filles ne mendient jamais ; elles sont considérées comme membres de la famille et mangent avec la famille.

Que fait Mali-Enjeu pour les enfants ?

Il y a la sensibilisation de l’opinion publique sur le fait que ces enfants sont comme tous les enfants du monde : ils ont droit comme les autres enfants du monde à l’affection, au manger et au boire quotidien, à l’instruction, au logement, à la sécurité.

Mali-Enjeu intervient dans différents secteurs par des actes concrets :

Santé : nous disons de se faire consulter en cas de maladie ; nous mettons un cahier de consultations dans les écoles ; nous sensibilisons les autorités pour vacciner les enfants.
Nous trouvons des endroits pour se laver, laver le linge, puiser l’eau pour boire : c’est important, cela donne la santé.

Alphabétisation : dans la cour de l’école coranique, sous le hangar, on essaye d’introduire un peu de culture générale : lecture, écriture, calcul ; l’écriture est en arabe ou en français, les enfants choisissent ; le programme est discuté avec les enfants et le maître : on ne travaille jamais sans le maître, car il a la responsabilité de l’enfant par rapport aux parents, il a droit de vie et de mort sur l’enfant.

Il y a aussi les activités génératrices de revenus : trouver des A.G.R. est important, c’est mieux que la mendicité, par exemple :

- L’eau : procurer un pousse-pousse et des bidons pour chercher l’eau.
- Tailleurs ambulants : la machine à coudre est pour eux, donnée à crédit + règlement.
- Vente de bonbons, de cigarettes, c’est eux qui choisissent.
- Travailler le champ du maître, mettre du matériel agricole à leur disposition.
- Faire apprendre des métiers chez des artisans expérimentés et bénévoles.
- Mettre les élèves en contact avec le milieu.

Ces enfants ont besoin d’un avenir. Comment le leur donner ? En leur donnant la capacité de faire autre chose que de mendier.

Quoi que nous fassions, le maître doit rester au cœur des activités : il faut toujours partir de son école, jamais de la rue, sinon il va saboter l’action. On ne réussit rien sans le maître.

Nous avons aussi un centre d’écoute à Ségou.

C’est un centre d’accueil, d’écoute, d’orientation, pas d’hébergement. Les enfants y trouvent de l’eau courante pour se laver, laver le linge, pour boire : il faut beaucoup d’eau, un puits. Il y a aussi une aire de jeux ; on organise des rencontres, des discussions de sensibilisation ; nous mettons les jeunes dans des ateliers de formation où ils gardent le contact avec leur maîtres.


Père Yves Pauwels, Mafr