Quand des jihadistes sahéliens sont dans le viseur de la justice américaine

Fawaz Ould Ahmed et Mimi Ould Baba sont accusés d’avoir perpétré des attentats au Mali, au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire entre 2015 et 2017. Le premier a été discrètement extradé par Bamako vers les États-Unis, début décembre. Le second pourrait suivre dans les semaines à venir.

Par  - à Abidjan
Mis à jour le 4 février 2023 à 17:37
 

 

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Le Mauritanien Fawaz Ould Ahmed, alias Ibrahim 10, au Mali, en 2016. © AFP

 

Le 9 décembre 2022, un avion en provenance du Mali atterrit à l’aéroport John-F.-Kennedy, à New York. À son bord, un personnage dont le nom a fait frémir l’Afrique de l’Ouest pendant près d’une décennie : Fawaz Ould Ahmed, alias Ibrahim 10. Ce Mauritanien, âgé de 44 ans, était un membre influent du groupe jihadiste Al-Mourabitoun et l’homme de confiance de son fondateur, le célèbre jihadiste algérien Mokhtar Belmokhtar. Il avait été arrêté par les services de renseignement maliens le 21 avril 2016, à Bamako, lors d’une vague d’interpellations liées à l’enquête sur l’attentat de Grand-Bassam, un mois plus tôt.

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Fils de commerçant mauritanien marié à une Ivoirienne, Ibrahim 10 a été l’un des planificateurs des nombreux attentats meurtriers qui ont endeuillé le Mali, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire entre 2015 et 2017. L’un de ses premiers faits d’armes remonte au 7 mars 2015. Ce jour-là, peu après minuit, il se rend au restaurant La Terrasse, à Bamako après y avoir fait des repérages. Armé d’une Kalachnikov et d’un pistolet, il tire sur les clients et vise des Occidentaux. Cinq personnes sont tuées dans cette attaque. Il expliquera plus tard avoir déclenché ces représailles suite aux caricatures du Prophète publiées dans le journal français Charlie Hebdo.

Six chefs d’accusation

Dans les mois qui suivent, Fawaz Ould Ahmed participe à plusieurs autres attentats : le 7 août 2015 contre l’hôtel Byblos, à Sévaré, dans le centre du Mali, au cours duquel 13 personnes – dont cinq employés des Nations unies – ont été tuées ; puis le 20 novembre 2015, contre l’hôtel Radisson Blu, à Bamako, dans lequel 20 autres individus perdent la vie. Parmi les victimes du Radisson Blu, une Américaine, Anita Ashok Datar. C’est son assassinat qui a valu à Ibrahim 10 d’être extradé vers les États-Unis, où une procédure judiciaire a été ouverte contre lui.

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Dès le lendemain de son arrivée sur le sol américain, le 10 décembre, Fawaz Ould Ahmed a comparu devant le tribunal fédéral de Brooklyn où il est inculpé pour six chefs d’accusation. Ceux-ci vont du « meurtre » d’Anita Ashok Datar à « la fourniture et tentative de fourniture d’un soutien matériel à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et Al-Mourabitoun » en passant par « l’utilisation illégale d’explosifs ».

Le juge a décidé de son maintien en détention en attendant son procès, dont la date n’a pas encore été annoncée. « Aujourd’hui, nous avons clairement démontré que les États-Unis sont résolus à tenir leur engagement de traduire en justice ceux qui commettent des actes de terrorisme barbares visant des innocents, y compris, comme dans ce cas, une travailleuse humanitaire américaine qui a été tuée à plus de 6 000 kilomètres de sa maison dans le Maryland », a déclaré le procureur Breon Peace.

Aucun remords

Avant d’être poursuivi par la justice américaine, Fawaz Ould Ahmed avait déjà fait face à la justice malienne. Le 28 octobre 2020, elle l’avait reconnu coupable d’appartenance à un groupe jihadiste, d’homicides en lien avec une entreprise terroriste et de financement du terrorisme. Après avoir détaillé froidement le déroulement de l’attentat de La Terrasse et de la planification de celui du Radisson Blu, sans montrer de remords, il avait été condamné à la peine de mort, même si celle-ci n’est plus appliquée au Mali depuis 1980. Sa présence à son procès avait créé la surprise car Ibrahim 10 avait été annoncé comme faisant partie du lot des 200 jihadistes échangés par Bamako contre les otages Soumaïla Cissé et Sophie Pétronin, le 8 octobre 2020.

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Le groupe Al-Mourabitoun, dont il a reconnu être membre, avait fait du business des otages une de ses sources de revenus. Comme il l’a confié aux enquêteurs lors de ses auditions, Ibrahim 10 avait lui-même parfois pris part à des négociations pour leur libération.

Au tour de Mimi Ould Baba ?

Dans un communiqué publié sur son site après la première audience, le département de la justice américaine a « remercié le gouvernement du Mali pour son soutien et son assistance continus tout au long de cette enquête ». Cette extradition en toute discrétion d’un jihadiste sahélien vers les États-Unis est une première. Mais elle pourrait bientôt être suivie de celle d’un autre de ses « frères » d’armes bien connus : le Malien Mimi Ould Baba.

Détenu à Bamako depuis son arrestation, en 2017, par des soldats français de l’opération Barkhane, Mimi Ould Baba, 35 ans, a en effet été inculpé par la justice américaine, qui lui reproche d’avoir aidé à la préparation de l’attaque du 15 janvier 2016 contre le restaurant Capuccino et l’hôtel Splendid de Ouagadougou. Cet attentat avait fait 30 morts, dont l’Américain Michael Riddering, qui dirigeait un orphelinat et un centre d’aide pour femmes au Burkina Faso.

Condamné par la justice ivoirienne

Le nom d’Ould Baba revient souvent dans un autre dossier : celui de l’attentat de Grand-Bassam, le 13 mars 2016, en Côte d’Ivoire. Selon la justice ivoirienne, il en était même l’un des principaux organisateurs. Et pourtant, il était absent du procès qui s’est tenu à Abidjan, en décembre dernier, où seuls quatre accusés sur dix-huit étaient présents – des seconds couteaux, que leurs avocats ont présenté comme des « boucs émissaires », « condamnés pour donner l’exemple ».

D’après le témoignage de l’un des accusés détenu au Mali recueilli par les enquêteurs ivoiriens, un certain Oumar Ould Sidy, acheteur de bétail pour les jihadistes d’Al-Qaïda dans le nord du Mali, aurait recruté Mimi Ould Baba pour mettre en place l’attentat de Grand-Bassam. Ould Sidy serait donc le commanditaire et Ould Baba l’exécutant. Mais ni l’un ni l’autre n’ont comparu à leur procès.

Lors de son réquisitoire, Richard Adou, le procureur de la République de Côte d’Ivoire, avait justifié l’absence d’Ould Baba par l’imminence de son extradition vers les États-Unis par Bamako. Mais selon nos informations, Ould Baba – finalement condamné à la prison à perpétuité par contumace par la justice ivoirienne, le 28 décembre – n’a toujours pas été extradé vers les États-Unis.