Côte d’Ivoire : la polygamie sera-t-elle bientôt légale ?

Un député vient de déposer un projet de loi pour autoriser la polygamie, suscitant de vives réactions des associations de défense des droits des femmes.

Mis à jour le 14 juillet 2022 à 11:23

 

L’assemblée nationale lors de l’élection d’Adama Bictogo, son nouveau président à Abidjan le 7 juin 2022. © Sia Kambou/AFP

 

En déposant sa proposition de loi le 30 juin dernier, le député de Koumassi, Yacouba Sangaré, s’est attaqué à un sujet tabou en Côte d’Ivoire : la polygamie. Pour cet élu du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, au pouvoir), il faut mettre un terme à « l’hypocrisie », car si la loi n’autorise pas cette pratique, cela existe dans les faits. « La loi sur la monogamie n’a jamais été respectée. Elle est constamment violée. Alors pourquoi se voiler la face sur une réalité que nul n’ignore ? », explique l’élu.

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L’idée d’une réforme lui serait venue il y a des années, dès 2014, après des échanges avec une collègue députée. « Il y a des femmes qui sont dans des relations polygames de fait mais qui ne bénéficient d’aucune reconnaissance juridique en cas de dissolution de la relation. Celles-ci n’ont aucune sécurité, elles se retrouvent seules, avec parfois des enfants. Cela crée des drames et personne n’en parle. C’est pour cela que nous voulons mettre fin à cette hypocrisie. Des couples polygames, il y en a partout en Côte d’Ivoire, dans toutes les régions, ethnies, religions et couches sociales. Alors pourquoi ne pas les prendre en compte ? », détaille-t-il.

Loi sur le mariage

Dans sa proposition, Yacouba Sangaré insiste sur le fait que la polygamie serait une option que les deux conjoints pourraient choisir d’accepter ou de refuser d’un commun accord.

Entouré d’une équipe de juristes, de communicants et de constitutionnalistes, il entend modifier la loi 2019-570 du 26 juin 2019 relative au mariage. Un texte qui indique dans son article 3 : « Nul ne peut contracter un nouveau mariage avant la dissolution du précédent constatée soit par une décision devenue définitive, soit par un acte de décès. (…) » Après avoir franchi la première étape, le député de Koumassi qui porte le projet a animé une conférence de presse le 7 juillet, entouré d’autres élus tels que Sidibé Daouda, député d’Abobo, Kangouté Mamadou Moctor, député de Bouna ou encore Fidèle Dibi Bogro, député de Fresco.

Plusieurs maîtresses

Mais cette annonce a suscité un tollé, notamment au sein des organisations de défense des droits des femmes qui dénoncent un recul des droits des femmes. Le 11 juillet, la Ligue ivoirienne des droits des femmes a organisé une conférence de presse pour dénoncer la proposition. L’ancienne ministre ivoirienne de la Femme et ex-responsable de l’Association ivoirienne du bien-être familiale (AIBF), Constance Yaï a pour sa part estimé qu’ »il n’y a pas de polygamie en Côte d’Ivoire mais plutôt des hommes qui ont plusieurs maîtresses« . Elle ajoute : « À moins qu’il ne s’agisse de plaisanterie de fort mauvais goût ou d’un ballon d’essai, on est en droit de se demander si les propos que nous avons entendus de la bouche de notre parlementaire ont juste pour objet de diviser notre pays, de fragiliser la communauté nationale ou tout simplement de faire régresser notre arsenal juridique et les droits des femmes ».

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Yacouba Sangaré prétend que sa proposition de loi vise, au contraire, à « protéger les droits des femmes ». « C’est un constat de la réalité. Je me bats pour que ces femmes soient reconnues et puissent bénéficier de leurs droits. Se plaît-elle à laisser ses sœurs avec le statut de maîtresse à vie ? », ajoute celui qui estime que sa proposition bénéficie d’un accueil favorable au sein de l’opinion publique.

Droits

Il insiste également sur le fait que l’esprit de sa proposition ne viole pas l’égalité hommes-femmes. « La polygamie ne signifie pas polygynie ou polyandrie exclusivement. Cela renferme les deux termes. « , dit-il. « Tant que cette loi est appliquée sans discrimination, il n’y a pas de problème », estime Amee slam, artiste engagée pour les droits des femmes. « Mais par culture, dans notre pays, les gens désignent la polygynie seule comme la polygamie. Ce sera très difficile dans certaines cultures de faire accepter le fait que les femmes, elles aussi, bénéficient de cette loi », ajoute-t-elle.

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Pour Ketella Soroko, militante féministe et présidente de l’association Le réseau, qui accompagne des victimes d’agressions et de viols, « même si on ne cesse de nous dire que la polygamie c’est autant la polyandrie que la polygynie, dans tous les pays africains qui ont validé la polygamie, il n’y a quasiment aucune possibilité de polyandrie. À l’usage, c’est la polygynie qui sera appliquée et donc à l’avantage exclusif de l’homme. La polygamie est-elle réellement la solution pour une société qui peine à trouver des solutions de protection pour les femmes victimes de violences dans les couples monogames ? Il y a tellement de besoins plus urgents sur les causes féminines qui méritent des solutions et projets de loi que la polygamie… »