Missionnaires d'Afrique
JPIC/RD

Serge Traore M.Afr
Brésil

Lutter pour la liberté


Salve Jorge” est le titre d’une telenovela (feuilleton) brésilienne qui fut diffusé avec un grand succès en 2012 sur une télévision brésilienne. Le Brésil s’arrêtait pour écouter cette telenovela. C’est l’histoire de Morena, une jeune fille brésilienne d’une banlieue de Rio de Janeiro. Elle rencontre Livia, une femme qui lui promet un travail en Europe. Morena atterrit en Turquie.

Et ce fut la galère. Livia est, en réalité, la cheftaine d’un gang de trafiquants de personnes. Morena se retrouve dans un groupe de jeunes filles brésiliennes vendues comme travailleuses sexuelles. Toute la telenovela raconte la lutte de Morena pour sortir de cette galère. Le film montre en même temps l’histoire d’une autre jeune fille vivant dans une famille riche et qui a découvert qu’elle n’était pas l’enfant légitime de ses soi-disant parents. Elle avait été, en fait, vendue, bébé, à une famille en Europe. Elle décide alors de retrouver ses parents légitimes. Dans sa recherche, elle découvre que son histoire est celle de milliers d’autres brésiliens. La telenovela n’a montré que le bout du doigt du phénomène et son côté international. Le trafic humain est une plaie saignante de la société brésilienne. Cela se passe surtout à l’intérieur même du Brésil.

Les premières victimes furent les indigènes, les Indios, dépossédés de leurs terres et réduits à l’esclavage. Puis, ce fut le trafic des Africains. Le 13 mai 1888, la traite négrière fut abolie légalement au Brésil. Mais les structures esclavagistes ont continué car la loi d’abolition n’a garanti aux ex-esclaves ni compensation, ni intégration sociale, ni égalité sociale. Au XXe siècle, beaucoup de personnes d’Europe, d’Asie, et d’Amérique latine ont immigré au Brésil. Et même à l’intérieur d’un Brésil en croissance économique, beaucoup de Brésiliens ont immigré d’une région à une autre en quête d’un bien-être matériel meilleur. Certains se retrouvent vivant un véritable esclavage. Ils sont exploités sexuellement. Ils sont exploités dans le travail et parfois esclaves des trafiquants de drogue. Les enfants sont vendus pour adoption. Les organes humains sont retirés des personnes et vendus. Pour survivre, certaines personnes vendent un de leurs organes.

L’Église du Brésil, qui fait partie de l’histoire de la formation du peuple brésilien, a lancé une campagne contre le trafic humain qui dure pendant tout le temps de carême, du 5 mars au 13 avril 2014. C’est une tradition de l’Église du Brésil depuis 1964. La Campanha da Fraternidade (Campagne de la Fraternité) durant le temps de carême est un moment où les catholiques sont invités à réfléchir chrétiennement (avec les sentiments et les pensées de Jésus : (cf. Philipiens 2, 5) et de manière communautaire, sur un élément de la réalité de leur vie dans le but de promouvoir le bien commun. Cette campagne permet de rappeler à tous les catholiques leur responsabilité d’évangéliser la société, de promouvoir la personne humaine et de créer ainsi une société plus juste et plus solidaire. Les fidèles se réunissent en petits groupes dans les maisons, une fois par semaine, pour méditer sur ce fléau de la société. Toute la paroisse vibre au rythme de la lutte pour la liberté, la lutte contre le trafic humain. Le catholicisme brésilien, qui privilégie les célébrations populaires, sacramentelles et dévotionnelles, est invité à s’incarner dans la réalité et à transformer la société.

Un livret a été préparé pour les rencontres hebdomadaires suivant cette méthodologie : accueil par un animateur, prière d’ouverture, introduction-présentation du thème de la rencontre, un témoignage de vie, lecture de la Parole de Dieu, un “bate-papo” (une conversation fraternelle) à l’aide de questions, puis “um novo tempo” (un temps nouveau) qui consiste à décider des conversions et des actions que chacun et la communauté doivent faire. La rencontre se termine par une prière finale. Après le temps de carême, les fidèles continueront ces rencontres hebdomadaires de réflexion sur la réalité à partir de la Parole de Dieu, à travers les “cercles bibliques” pour que l’Évangile de Jésus Christ illumine constamment leur vie.

Lors de ces rencontres, les fidèles catholiques vont poser un regard chrétien sur le fléau du trafic humain. La parole de Dieu qui inspirera notre réflexion et nos actions sera l’injonction de Paul, “c’est pour que nous restions libres que le Christ nous a libérés” (Galates 5, 1 : traduction de la Bible de Jérusalem). Les textes bibliques proposés à la méditation des fidèles sont : la libération de la pécheresse de Luc 7, 36-50 ; le travail forcé du peuple d’Israël en Égypte d’Exode 1, 8-14 ; Joseph vendu par ses frères de Genèse 37, 13-28. Contre le trafic d’organes humains, les fidèles seront invités à méditer les paroles de Jésus en Jean 10, 17-18, “nul ne peut m’enlever la vie”.

Prier et réfléchir conduisent à agir. L’objectif général de cette campagne contre le trafic humain est d’identifier les pratiques du trafic humain sous toutes ses formes, de les dénoncer comme contraires à la dignité et à la liberté humaines, de mobiliser les chrétiens et la société brésilienne pour éradiquer ce mal et délivrer les personnes qui en sont victimes. La première action est la conversion des cœurs et l’engagement personnel et communautaire à ne jamais exploiter une personne humaine. Toutes les actions auront pour objectifs de conscientiser, de prévenir, de dénoncer les structures esclavagistes, de favoriser la réinsertion sociale et familiale des victimes et de revendiquer des pouvoirs publics les mécanismes légaux de protection de la dignité et de la liberté des personnes. La collecte du dimanche des Rameaux, dans toutes les églises du Brésil, sera dédiée à la lutte contre le trafic humain. Le Secteur M.Afr. du Brésil souhaite organiser un colloque sur la question pour donner continuité à la campagne anti-esclavagiste du cardinal Lavigerie.

La prière de cette campagne demande que les victimes expérimentent la libération. Que nous nous convertissions et nous soyons sensibles à la souffrance de nos frères et sœurs. Que nous nous engagions dans l’éradication de ce fléau en vivant tous dans la liberté et la paix.

Serge Moussa Traore

Tiré du Petit Echo N° 1051 - 2014/05