Survivalistes d’extrême droite : quand les théories racistes s’ancrent dans nos territoires

 

Mardi 23 novembre un groupe de survivalistes d’extrême droite nommé « Recolonisons la France » a été arrêté par les forces de l’ordre qui ont découvert un arsenal de 130 armes lors de l’interpellation. Les membres de ce groupe sont jeunes et issus de la gendarmerie.

Stéphane FrançoisUniversité de Mons

Cette structure se définissait comme un « groupe communautaire et de survivalistes patriotes », selon le message diffusé sur leur page Facebook. De fait, depuis le début des années 2000, la droite radicale française s’est découvert un intérêt fort pour le survivalisme, suite à la multiplication de publications à l’extrême droite, notamment dans le domaine anglo-saxon, et en particulier américain, sur les risques de disparition de nos sociétés « blanches », à la suite d’un effondrement civilisationnel à la fois multiforme et précis : migratoire, écologique, démographique, économique…

Si l’extrême droite s’intéresse depuis une dizaine d’années au survivalisme, il n’est pas possible, pour autant, de réduire celui-ci à la seule extrême droite. Les groupes sont divers sur le plan idéologique, voire sans appartenance politique.

Le groupe récemment arrêté promouvait quant à lui une idéologie identitaire, catastrophiste qu’il diffusait sur plusieurs sites et comptes sur différents réseaux sociaux, avec une chaine YouTube. Il s’inspirait ainsi largement des thèses du théoricien raciste Guillaume Faye (1949-2019), qui faisait la promotion d’un ethnocentrisme assumé en même temps que la nécessité d’une reconquête du territoire.

Des « bases autonomes durables »inspirées de projets américains

Cette reconquête devait se faire à partir de zones rurales, « libérées », les « bases autonomes durables » (BAD), inspirées des survivalistes, mais aussi des miliciens américains, comme moyen de survie. Celles-ci, sous l’influence des survivalistes américains d’extrême droite (miliciens et communautés suprémacistes blanches) sont conçues comme des bastions autarciques et lourdement armés.

Concrètement, il s’agit d’acquérir des propriétés dans des zones rurales afin d’y établir des bases retranchées autosuffisantes tant au niveau alimentaire qu’énergétique, avec de quoi tenir une période difficile et de participer à une guerre civile jugée inéluctable.

Les survivalistes d’extrême droite distinguent plusieurs niveaux de BAD, dont le dernier niveau consiste, pour ses acteurs, une fois installés dans des zones reculées, à mettre en place des communautés autarciques, sur le modèle des groupes extrémistes de droites étatsuniens, fondés durant la Guerre froide.

L’essor des milices

En effet, les États-Unis ont vu, durant cette période, l’essor des milices. Ces mouvements paramilitaires, estimés suivant les époques entre 160 et 340 structures réparties dans le pays – surtout dans les zones peu habitées –, ont un discours à la fois survivaliste (il s’agit de se préparer à l’effondrement civilisationnel des États-Unis), anticommuniste (dans le contexte de la Guerre froide), anarchiste (il s’agit de préserver les libertés des Pères fondateurs contre un État supposé totalitaire) et ouvertement raciste (il faut éviter la promiscuité raciale des villes et les discours progressistes).

C’est dans ce contexte qu’apparaissent les premiers survivalistes américains au début des années 1970, dans le double contexte de la Guerre froide et des chocs pétroliers. https://www.youtube.com/embed/j7rJstUseKg?wmode=transparent&start=0 Au cœur d’une milice d’extrême droite américaine, 2017.

Certains d’entre eux décident à la fin de cette décennie de se constituer en communautés libres dans des zones reculées du pays, fusionnant avec des groupes suprémacistes blancs et d’autres, issus de la mouvance milicienne, paramilitaire. Pour cette dernière tendance, il s’agit de fonder une société auto-suffisante qui se place dans l’héritage des Pères fondateurs. Depuis les années 1980, plusieurs affrontements ont lieu avec le FBI.

Le tournant Guillaume Faye

Si cette façon de voir le monde est courante aux États-Unis depuis assez longtemps, elle l’est moins en Europe, et surtout en France. Nous pourrions même dire qu’elle fut globalement très marginale : l’extrême droite française la plus radicale est coutumière d’entraînements militaires en campagne sur fond de chants patriotiques, mais, par un vieux fond occidentaliste, c’est-à-dire convaincu de sa supériorité, elle ne s’était pas résignée à la possible disparition de notre société.

Il faut attendre les livres de Guillaume Faye, les premiers traitant de ces thématiques, pour les voir se développer dans notre pays : La colonisation de l’Europe (2000), Pourquoi nous combattons (2001), Avant-guerre (2002) et La convergence des catastrophes (2004), sous le pseudonyme de Guillaume Corvus. Pour autant, il n’y a pas d’intérêt écologiste, décroissant ou localiste.

Le plus important, pour Faye, reste l’immigration : il s’agit, selon lui, de combattre l’« ennemi principal », « composé des masses allogènes qui colonisent l’Europe, de tous ses collaborateurs (États étrangers ou cinquième colonne) et de l’islam. » (Pourquoi nous combattons, p.57)

L’immigration est vue comme une colonisation inversée, comme une substitution de population (déjà l’idée du « grand remplacement »). Nous le citons encore :

« Nous courrons à l’abîme : si rien ne change, dans deux générations, la France ne sera plus un pays majoritairement européen, et ce, pour la première fois de toute son histoire. L’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Belgique et la Hollande suivent la même loi funeste avec quelques années de retard. […] Jamais l’identité ethnique et culturelle de l’Europe, fondement de sa civilisation, n’aura donc été aussi gravement menacée. » (« Pourquoi nous combattons », p. 20-21)

Dans l’imaginaire de ces militants, l’islam et ses adeptes sont perçus comme des ennemis de l’Europe, de sa civilisation et de ses valeurs. De fait, depuis le milieu des années 1990, les militants d’extrême droite la plus identitaire reprennent les thèses de Samuel Huntinghton.

Nous serions, selon toujours selon ces militants, les victimes d’un génocide lent commis insidieusement par une immigration-colonisation, devant mener à une substitution ethnique : la population autochtone européenne (pour ne pas dire « blanche ») serait remplacée à long terme par une population d’origine extra-européenne à la culture différente.

C’est l’idée, devenue banale, de « grand remplacement », popularisée par l’écrivain Renaud Camus et véhiculée aujourd’hui par Éric Zemmour et d’autres. En formulant cela, ils se placent dans une idéologie explicitement identitaire, dont on peut résumer l’idéologie par les points suivants : l’idée d’une immigration-colonisation ; celle d’une guerre civile déjà commencée ; une conception ethnique et essentialisée des identités ; l’idée de l’incompatibilité des civilisations entre elles et la nécessité de préserver les différentes aires civilisationnelles ; l’idée d’un choc des civilisations ; la nécessité de mettre en place une « remigration » des minorités ethniques sur le sol européen vers leurs aires civilisationnelles/pays d’origine (y compris pour leurs descendants), etc.

Une émergence de groupuscules depuis 2015

Pour faire face à cette « colonisation inversée », différents groupes se sont constitués en structures communautaires depuis les années 2015. La logique y est souvent défensive : il s’agit de se préparer à la guerre, et à la reconquête territoriale. Elle était déjà à l’œuvre au sein de l’Action des forces opérationnelles (AFO), dont dix membres ont été arrêtés en 2018.

Déjà à l’époque, ces personnes s’étaient préparées à la probabilité d’une guerre ethnique et à se défendre contre le « péril islamique ». En effet, les membres d’AFO, non seulement avaient des armes, mais se préparaient aussi à la survie. Ils avaient constitué des stocks de nourriture dans une optique survivaliste. Ainsi, leur site Internet donnait des conseils sur une possible guerre civile en France et à la façon d’en réchapper. Sa teneur est ouvertement survivaliste.

Des extrémistes loin des clichés

Ces différents cas montrent des profils atypiques pour des militants d’extrême droite. Ces derniers vont à l’encontre des a priori sur les militants de cette mouvance : ils ne sont pas caricaturaux, loin du cliché du skinhead. https://www.youtube.com/embed/5eudQfXXhH0?wmode=transparent&start=0 Témoignage de « Kevin » sur RMC, mai 2021.

Surtout, ces exemples montrent qu’il y a une radicalisation croissante de ces militants. Ils sont persuadés qu’une guerre ethnique est inévitable, voire qu’elle est déjà en cours. Par peur de nouveaux attentats islamistes, ces personnes se nourrissent d’une idéologie anti-musulmane et souhaitent fonder des bastions blancs exempts de toute influence afro-maghrébine, musulmane, sur le modèle du hameau de Jamel, en Allemagne.

Ils sont convaincus qu’il faut créer des groupes contre-insurrectionnels, pour reprendre une rhétorique typique de la guerre d’Algérie, ou des structures survivalistes sur le modèle des néonazis américains, pour faire faire à l’« invasion » de la France. Ils se voient en « résistance » contre une invasion arabo-musulmane, fantasmée.

Cette vision apocalyptique de notre futur proche est largement partagée aujourd’hui par les différentes formes de survivalisme. Seul le rapport au racisme les distingue. Le glissement d’une conception apolitique vers un militantisme identitaire assez aisé, facilité par la banalisation d’une parole ouvertement raciste et anxiogène.

Stéphane François, Politiste, historien des idées, chercheur associé EPHE, professeur de science politique, Université de Mons

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.