Parcs africains : les Diakité réveillent la faune ivoirienne

Mis à jour le 26 septembre 2021 à 10:55


Les lodges de la réserve naturelle volontaire du Nzi.

Non loin de Bouaké, le fondateur du groupe télécom Alink et sa famille ont créé la première réserve naturelle privée d’Afrique de l’Ouest en conjuguant projet de conservation et écotourisme.

À l’origine, la réserve de Louis Diakité, située à 45 kilomètres de Bouaké, devait aussi accueillir des parties de chasse entre amis. Sortir au petit matin, pister le gibier, le plus souvent à pied, pendant des heures… Mais l’entrepreneur spécialiste des télécoms a dû se rendre à l’évidence lorsqu’il a acheté ces terres à la fin des années 1990 : la plupart des animaux avaient déserté la brousse ivoirienne. On n’y trouve plus aujourd’hui que quelques cobes de Buffon (des antilopes dont les adultes peuvent peser jusqu’à 80 kilos), des perdrix et des pigeons verts.

Poussé par ses enfants, convaincu par ses voyages en Afrique du Sud et au Botswana, il abandonne son fusil en 2002 pour se consacrer à un grand projet de préservation de la faune sauvage. Deux décennies plus tard, malgré les années de crise, le résultat redonnerait presque foi en la capacité de l’homme à protéger la nature.

Cobes et hippotragues

Les cobes de Buffon ont été rejoints par de nombreuses autres antilopes : des cobes defassa, des céphalophes, des guibs harnachés. L’an dernier, la petite quinzaine de rangers, composée en partie d’anciens chasseurs dozos convertis à la protection des animaux, ont même observé quelques hippotragues.

QUELQUES ÉLÉPHANTS ET DES BUBALES DE COKE DESCENDUS DU PARC DE LA COMOÉ ONT PU ÊTRE OBSERVÉS

On rencontre aussi des groupes de vervets, toujours prêts à s’enfuir dans les arbres pour échapper aux léopards, et des patas, des singes sprinteurs dont les pointes de vitesse leur permettent de distancer bien des prédateurs, comme les chacals et les hyènes, eux aussi de retour. Quelques éléphants et des bubales de coke descendus du parc de la Comoé, situé le long de la frontière avec le Burkina, ont également pu être observés.

Si la famille Diakité a acquis 3 600 hectares, elle veille aujourd’hui – avec l’accord de la Sodefor, société chargée de gérer le domaine forestier public – sur plus de 40 000 hectares. « Les autorités y voient l’opportunité de protéger et de valoriser des forêts classées qui sont menacées parce qu’on y plante sans autorisation du café, du cacao ou des hévéas », explique l’initiateur du projet. « Mais on ne peut pas sécuriser l’ensemble, alors on se concentre sur 8 000 hectares, qui forment le cœur du sanctuaire », précise Karl, son fils cadet.

CERTAINS BRACONNIERS N’HÉSITENT PAS À TIRER SUR LES RANGERS

Une clôture de 2,4 mètres de haut de type big five (en référence aux grands mammifères africains), financée par la Banque mondiale, est en cours d’installation sur 100 kilomètres et entourera la moitié de ce périmètre. « Nous faisons aussi appel aux hommes de l’Office ivoirien des parcs et réserves, qui viennent tous les deux mois patrouiller dans le parc pendant huit à dix jours », détaille Louis Diakité.

Pour faire fuir les braconniers, venus parfois du Burkina ou du Mali, il suffit la plupart du temps d’assurer une présence. Mais il arrive que certains soient particulièrement dangereux et n’hésitent pas à tirer sur les rangers.

Apiculture et écotourisme

Karl Diakité est chargé des activités touristiques quand son père, Louis, dirige le volet conservation.


Jihane Zorkot

Au-delà de la sécurisation du parc, les Diakité ont initié des projets générateurs de revenus en faveur des populations riveraines afin de les convaincre de contribuer aux efforts de protection de la faune. « Nous venons de former près de 100 personnes à l’apiculture et nous développons en parallèle une miellerie pour acheter leur production. L’investissement a été financé à hauteur de 200 000 euros par la coopération allemande et j’ai moi-même apporté 250 000 euros », détaille le patron d’Alink. Avant cela, certains habitants de villages voisins de la réserve avaient déjà profité d’initiatives semblables dans le domaine du maraîchage bio.

QUAND NOUS AVONS REÇU DE PLUS EN PLUS DE DEMANDES POUR SÉJOURNER DANS NOTRE VILLA FAMILIALE, NOUS NOUS SOMMES LANCÉS

Financée sur fonds propres pendant plus d’une quinzaine d’années (plus d’un milliard de francs CFA ont été investis), la réserve est maintenant adossée à un projet d’écotourisme afin de couvrir les frais de fonctionnement, d’environ 100 000 euros par an, et les investissements nécessaires à son développement.

« Dès le début, nous voulions nous inspirer des parcs d’Afrique australe et d’Afrique de l’Est. Quand nous avons reçu de plus en plus de demandes pour séjourner dans notre villa familiale, nous nous sommes lancés », raconte Karl, chargé des activités touristiques, quand son père, Louis, a gardé la direction du volet conservation.

En 2018, les Diakité rénovent leur maison, située au bord de la rivière Nzi, pour la louer. L’année suivante, ils ouvrent un campement, actuellement en cours de rénovation. Puis ils inaugurent fin 2020 des bungalows sur pilotis construits au milieu d’une galerie de fromagers : huit lodges classiques et une suite alimentés en eau grâce à un réservoir de 10 000 litres et en électricité au moyen d’une petite ferme solaire. « Pas de climatisation, rien d’énergivore pour rester cohérent avec notre volonté de protéger l’environnement », justifie le jeune homme.

Complet presque tous les week-ends

En neuf mois, le clan a pu valider son projet. « Malgré le Covid et des mois de juin, juillet et août un peu moins demandés en raison des pluies, nous avons affiché complet presque tous les week-ends. Nous pourrons équilibrer les comptes dès cette année », se réjouit-il. Fermée au public depuis quelques jours, la réserve ouvrira de nouveau en décembre, quand l’observation des animaux redeviendra plus aisée.

KARL DIAKITÉ VOIT LES PARCS COMME DES REMPARTS CONTRE LA PROGRESSION DES TERRORISTES

« Cette année, nos visiteurs venaient principalement d’Abidjan. Nous avons aussi accueilli quelques Sénégalais et Nigérians, ainsi que des touristes français et allemands venus visiter le pays. Mais nous ne pourrons jamais rivaliser seuls avec les grands parcs africains », reconnaît, lucide, celui qui a travaillé comme ranger en Afrique du Sud, au Botswana et au Congo, où il a géré les Odzala Discovery Camps.

Pour attirer plus de public, Karl Diakité – qui, au travers de sa société Living The Wild, gère également les Taï Forest Lodges dans le parc national de Taï, situé dans l’ouest du pays – plaide pour la création d’un réseau des parcs naturels de Côte d’Ivoire, du Bénin et de Centrafrique. Si les groupes terroristes font planer un risque sur leur activité, le trentenaire voit aussi ces parcs comme des remparts contre leur progression.

En attendant l’union des réserves de la région, Louis Diakité a créé cette année la Nzi Wild Conservation Foundation afin de séparer le projet de protection de la faune des activités touristiques dans l’espoir d’attirer de nouveaux bienfaiteurs et de mieux protéger ainsi les animaux qui repeuplent la première réserve privée d’Afrique de l’Ouest.