Dette africaine : à quoi servent les Droits de tirages spéciaux, concrètement ?

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Mis à jour le 20 août 2021 à 16h36
Un billet de Dalasi, la monnaie gambienne.

Un billet de Dalasi, la monnaie gambienne. © Glowimages/Getty

Rôle, allocation, valeur… Comment les désormais célèbres DTS fonctionnent ? Comment sont-ils censés aider les pays africains ? Le décryptage de « Jeune Afrique ».

« Il s’agit d’une décision historique : la plus importante allocation de DTS de l’histoire du FMI et une bouffée d’oxygène pour l’économie mondiale en cette période de crise sans précédent », s’est félicité Kristalina Georgieva, la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI). Le 2 août, le conseil des gouverneurs de l’institution de Bretton Woods a approuvé l’allocation de 650 milliards de dollars soit 456 milliards de DTS.

Alors que l’Afrique subsaharienne a enregistré en 2020 sa première récession en 25 ans, cet outil économique, au cœur des débats lors du sommet sur les économies africaines organisé le 17 mai par Emmanuel Macron, pourrait venir en aide aux économies exsangues.

Voici cinq choses à savoir sur les droits de tirages spéciaux.

  •         Rôle du DTS

Créé en 1969 par le FMI, un droit de tirage spécial est un actif de réserve international. Autrement dit, le FMI crée une nouvelle forme de monnaie, utilisable par les Banques centrales.

Aujourd’hui, les allocations sont utilisées lors des crises économiques, afin de fournir des liquidités et de compléter les réserves officielles des pays membres. « Le DTS n’est pas une monnaie, et il ne constitue pas non plus une créance sur le FMI. Il représente en revanche une créance virtuelle sur les monnaies librement utilisables des pays membres du FMI », précise l’institution.

Concrètement, la première utilité du DTS est monétaire. Il permet de consolider la monnaie et d’assurer les réserves des Banques centrales. Si un État décide de conserver ses DTS, il percevra des intérêts (le taux d’intérêt actuel étant de 0,05 %).

Ces DTS peuvent également être échangés avec une autre Banque centrale contre des devises. Ce mécanisme permet à un État d’obtenir de l’argent immédiatement afin de financer des projets d’investissement. Mais, si un pays dispose de moins de DTS qu’il lui en finalement a été alloué, il devra payer des intérêts.

Ce mécanisme peut également être considéré comme un dispositif de mise en commun des réserves. Par exemple, un pays ayant besoin de devises fortes peut les obtenir d’un autre pays qui en dispose en abondance ou qui peut facilement s’en procurer en empruntant.

La plupart des échanges de DTS sont volontaires. Cependant, il existe également un « mécanisme de désignation » par lequel le FMI peut obliger certains membres, dont les réserves sont solides à accepter des DTS d’un autre membre en échange de devises.

Mais, ces DTS ne peuvent en aucun cas être échangés directement avec des entreprises privées ou des individus. Leur détention par des acteurs privés est interdite.

  •       Allocation

Les DTS sont approuvés par le conseil des gouverneurs à une majorité de 85 % du total des voix. « Le FMI attribue des DTS à ses membres au prorata de leur quotes-parts laquelle traduit leurs positions économiques relatives dans l’économie mondiale », a expliqué l’institution. Les quotes-parts des États sont calculés selon plusieurs facteurs : PIB (50 %), degré d’ouverture de l’économie (30 %),  variations économiques (15 %) et réserves officielles de change (5 %).

Ainsi les pays riches reçoivent plus de DTS que les pays pauvres. De fait, les États-Unis détiennent 16,5% des quotes-parts, la Chine en a 6% et l’Afrique du Sud – le plus gros contributeur du continent – 0,63%.

Depuis sa création, cinq allocations ont été approuvées pour un total de 661 milliards de DTS (soit 943 milliards de dollars). La première, d’une valeur de 9,3 milliards de dollars, a été émise en 1970 suivie par une autre émission de 12 milliards de dollars entre 1979-1981.

En 2009, une allocation ponctuelle spéciale a permis aux pays devenus membres du FMI après 1981 – date de la précédente allocation – de participer au système du DTS sur un « pied d’égalité », souligne l’institution. La même année, pour aider les pays à faire face à la crise financière mondiale de 2008, une allocation de 182 milliards de dollars (161 milliards de DTS) a eu lieu.

Enfin, la dernière allocation – et de loin la plus importante – a été approuvée le 2 août dernier afin d’aider les pays à faire face à la pandémie. Ainsi, 650 milliards de dollars seront alloués aux États membres du FMI.

Le choix de ce montant ne s’est pas fait au hasard. Si en théorie, il n’y a pas de limite à la création de DTS, dans la pratique, il existe une contrainte politique. Avec 17 % des voix au FMI, les États-Unis ont le pouvoir de bloquer les décisions. Au-delà de 680 milliards de dollars, une allocation générale doit être approuvée par le Congrès américain. De fait, le montant de 650 milliards de dollars a été décidé pour ne pas avoir à faire valider le nouveau montant d’approbation par le Congrès américain, où l’opposition peut retarder pendant des mois tout décision, d’autant que des pays comme l’Iran perçoivent aussi des DTS.



La directrice générale du FMI Kristalina Georgieva aux cotés de David Malpass, président du groupe de la Banque mondiale" 
  •         Valeur du DTS

A l’origine, la valeur du DTS était fixée à 0,89 gramme d’or fin. Mais, depuis l’effondrement du système de Bretton Woods, la valeur du DTS est déterminée par rapport à un panier de devises, dont la composition est revue tous les cinq ans.

Depuis 2015 – la prochaine revue a été reportée en 2022 -, ce panier est composé à 41,7 % de dollars américains, 31 % d’euros, 11 % de yuan chinois, 8,3 % de yen japonais et 8 % de livre sterling.

  •          Réallocation vers l’Afrique

Selon le système de quotes-parts, les pays africains devraient recevoir au total 33 milliards de dollars de DTS (sur les 650 milliards).Une « goutte d’eau » avait estimé le président Sénégalais Macky Sall. À titre de comparaison, les États-Unis recevront 118 milliards de dollars (83 milliards de DTS). La Chine, quant à elle, se verra allouer 43 milliards de dollars.

Lors du sommet sur le financement des économies africaines, le président français et les dirigeants africains ont demandé la réallocation de 100 milliards de DTS des pays les plus riches vers les pays africains. « La France y est prête, le Portugal aussi, a indiqué Emmanuel Macron. Il faut maintenant convaincre les autres de faire le même effort, notamment lesÉtats-Unis ».

Or, la réallocation de DTS n’est pas si simple. Cette dernière doit se faire sous la forme de prêts et dépend des Banques centrales, qui sont soumises à des règles strictes. Des projets, tels que le Fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et la croissance du FMI, sont à l’étude afin de faciliter les réallocations.

  •         Qui détient les DTS ?

Les DTS peuvent être détenus par trois entités : Le FMI, les pays membres et 15 détenteurs agréés tels que des Banques centrales ou des Banques de développement.

Parmi les institutions africaines agrées, on retrouve la Banque africaine de développement (BAD), le Fonds africain de développement, la Banque des Etats d’Afrique centrale (BEAC), la Banque des règlements internationaux (BRI), la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’ouest (BCEAO) et la Banque est-africaine de développement (IADB).

Dans le monde, d’autres institutions sont également agrées telles que le Fonds latino-américain de réserve (FLAR), le Fonds monétaire arabe (FMA), la Banque asiatique de développement (ADB), la Banque centrale des caraïbes orientales (BCCO), la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), l’Association internationale de développement (IDA), le Fonds international pour le développement agricole (FIDA), la Banque islamique de développement (BID) ou encore la Banque nordique d’investissement (NIB).