[Tribune] Covid-19 : trois leviers pour réformer les banques de développement

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Par  Rabah Arezki

Économiste en chef de la Banque mondiale pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA)

L'Afrique, qui sera bientôt peuplée de 2,5 milliards d’habitants, a un besoin d'infrastructures colossal. Ici, l'aménagement autoroutier du pont de Radès, en Tunisie.

L'Afrique, qui sera bientôt peuplée de 2,5 milliards d’habitants, a un besoin d'infrastructures colossal. Ici,
l'aménagement autoroutier du pont de Radès, en Tunisie. © Nicolas Fauqué/www.imagesdetunisie.com

 

Promotion de l’intégration régionale, mobilisation financière accrue et soutien au secteur privé doivent être au cœur de l’action des banques de développement pour répondre aux défis africains, affirme Rabah Arezki, l’économiste en chef de la BAD.

En réponse à la crise provoquée par l’épidémie de Covid-19, les banques de développement et plus largement les institutions financières internationales (IFI) ont agi très tôt pour aider les pays en développement à apporter une aide indispensable à leurs populations. Pourtant, la capacité des IFI à déployer plus de ressources a rapidement atteint ses limites.

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L’AFRIQUE A UN BESOIN D’INFRASTRUCTURES SOCIALES ET ÉCONOMIQUES COLOSSAL

En effet, leurs bilans sont devenus relativement modestes par rapport à la taille des économies en développement, qui représentent désormais la moitié de l’économie mondiale. Globalement, l’aide au développement, qui représentait plus de 16 % des investissements directs étrangers (IDE) au début des années 1970, est tombée aujourd’hui à environ 3 %.

Dans le cas de l’Afrique, dont la population devrait atteindre 2,5 milliards d’habitants au cours des trente prochaines années, le besoin de construire des infrastructures sociales et économiques est colossal. Or, le coronavirus rend la situation encore plus difficile avec la crise de la dette imminente et la perspective d’un ralentissement de la croissance mondiale, synonyme de réduction des IDE, des transferts de fonds et des flux touristiques.

Pour rester pertinentes, les IFI ont besoin d’accroître encore davantage leur capital et de repenser leur modus operandi. Pour ce faire, elles doivent actionner trois leviers distincts mais interdépendants.

I – Soutenir l’intégration régionale

Sur ce volet, les IFI doivent utiliser l’aide apportée pour promouvoir un cadre pro-concurrence et fournir une expertise technique dans la conception d’organes nationaux et régionaux de réglementation qui soient compétents et indépendants.

La régionalisation doit rendre plus cohérentes les politiques commerciales, mais aussi fiscales et concurrentielles, complétant les nombreuses initiatives sur le continent, y compris la dernière en date, à savoir la Zone de libre-échange continentale (Zleca).

II – « Réparer » les systèmes financiers

Il faut que les systèmes financiers puissent être capables de mobiliser des milliards, voire des trillions de dollars d’investissements au service du développement. Les IFI doivent ainsi tenir compte du fait que les incitations des banques sont déterminées par la combinaison entre le degré de concurrence au sein du système financier (incluant des opérateurs non bancaires) et l’orientation macroéconomique des pays – un taux de change surévalué encouragera par exemple le poids du lobby des importateurs.

Dans ce cadre, la promotion active des swaps de devises (contrat d’échange de flux financiers en monnaies différentes) et de la régionalisation du système financier en Afrique, y compris les Bourses et marchés obligataires en monnaie nationale, sont deux moyens d’accroître le poids du continent dans les portefeuilles des investisseurs mondiaux.

III – Promouvoir le secteur privé

Ce troisième pilier, qui repose sur les deux premiers, s’appuie sur la mise en place en amont de réformes pour encourager son essor. Nombre de banques de développement, dont la Banque mondiale et la BAD, s’y attellent depuis quelques années. Ces réformes permettent de libérer le financement commercial en remédiant aux défaillances du marché et en supprimant d’autres contraintes.

Lorsque les risques restent élevés, il convient alors d’utiliser des garanties gouvernementales et d’autres instruments de partage des risques. Ce n’est que lorsque les réformes et l’atténuation des risques ne peuvent favoriser les solutions de marché que l’aide publique au développement, y compris les prêts concessionnels, doit être utilisée. De même, en raison du niveau croissant de la dette des États, le financement public des infrastructures et d’autres projets ne devrait être utilisé qu’en dernier recours.

En résumé, la conception des instruments des IFI doit être réorientée pour intégrer ces nouvelles priorités. Un exemple : inclure le développement du secteur privé dans les critères pour l’octroi des prêts concessionnels aux autorités. Les IFI doivent également garantir un meilleur équilibre entre leurs (grandes) idées et leurs opérations afin qu’elles se renforcent mutuellement. Enfin, la dimension « banque » ne doit pas éclipser la dimension « développement » sous peine de ne pas catalyser suffisamment de ressources.