[Tribune] Au Mali, la corruption est la source de tous nos maux

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Par  Modibo Seydou Sidibé

Professeur d'économie à la Duke University (États-Unis)

Les manifestants sur la place de l'Indépendance, à Bamako, le 19 juin 2020.

Alors qu’il s’enfonce dans la crise, le Mali doit en finir avec un mal à l’origine de ses difficultés économiques, sociales et même sécuritaires : la corruption.

Bamako, juin 2020. Des milliers de personnes se sont donné rendez-vous sur la place de l’Indépendance. Réunies à l’initiative du mouvement Espoir Mali-Koura (« nouveau Mali »), d’associations de la société civile et de partis politiques, elles dénoncent la mauvaise gouvernance du pays, et appellent à l’avènement d’une nouvelle République, qui passerait par la démission de toutes les institutions de l’état : l’exécutif, le législatif et le judiciaire.

Dans ce Mali indépendant depuis bientôt soixante ans, pour nombre de citoyens, la décadence est réelle. Le pays souffre d’un mal particulier, qui engendre toutes les difficultés économiques et sociales : la corruption.

Endémique depuis l’éclosion de la démocratie, elle atteint des sommets. Si elle n’est pas spécifique au Mali, elle est parvenue à y bousculer les équilibres fragiles d’une société multiculturelle. On peut relier toutes les crises maliennes des vingt dernières années au partage des fruits de la corruption.

Tous les secteurs touchés

Le coup d’État de 2012 en est la parfaite illustration. Parti d’une révolte de sous-officiers excédés par la gestion de la rébellion dans le Nord, il conduit le capitaine Sanogo à la tête du pays, dans une totale impréparation. Alors que le Mali perd toute autorité sur les deux tiers de son territoire, l’une des premières décisions du pouvoir est de transférer la perception de la Direction régionale des douanes au camp militaire où réside la junte…

Aujourd’hui, la corruption s’étend à tous les secteurs économiques et sociaux : douanes, impôts, marchés publics, police, justice, hôpitaux, etc. Elle ne conduit pas uniquement au gaspillage des maigres ressources publiques, elle asphyxie l’appareil productif et fait du Mali un paradoxe économique.

Bien que très peu de personnes aient un travail stable, Bamako achète presque tout à l’étranger. La corruption a biaisé l’arbitrage des acteurs économiques, rendant l’importation presque toujours plus profitable que la production locale.

C’est ce qui explique que la montée en puissance de l’Office du Niger, annoncée à maintes reprises, n’ait pas eu lieu. Alors que près de 75 % du foncier de l’Office du Niger est non utilisé, le gouvernement subventionne l’importation de riz. La spéculation foncière est telle qu’elle rend presque impossible la perspective de l’accès à la propriété, même pour les cadres de la haute fonction publique.

Terreau fertile pour les jihadistes

Cette corruption qui désespère les habitants des villes est à l’origine de la montée du jihadisme dans la région de Mopti et du recul des symboles de l’État dans les campagnes. En effet, les groupes armés prospèrent dans le centre du Mali sur le terreau des injustices faites aux bergers peuls, condamnés à payer des amendes astronomiques pour la non-vaccination de leurs troupeaux.

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LE CONFLIT DANS LE CENTRE EST UNE BATAILLE POUR GAGNER LE CŒUR DES POPULATIONS

Ils gagnent la sympathie des populations locales en se différenciant des agents des Eaux et Forêts, lesquels, sous le couvert de la lutte contre la désertification, infligent de lourdes amendes aux femmes qui découpent du bois de cuisine.

À la différence des représentants du gouvernement qui, en cas de conflit, prennent des pots-de-vin de toutes les parties sans jamais trancher, les groupes armés écoutent les doléances et rendent une décision immédiatement.

Le conflit dans le centre du Mali est une bataille pour gagner le cœur des populations locales, et seule une administration juste, au service du peuple, peut ramener la paix.

Un travail de longue haleine