Gestion des déchets : les capitales africaines cherchent encore le modèle gagnant

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Collecte des déchets par le groupe Ozone à Salé, Maroc.

Confrontés à l’explosion des volumes d’ordures à collecter et à traiter, les capitales africaines et leurs partenaires privés locaux et internationaux peinent à construire une filière intégrée et efficace. Un sujet crucial pour la santé en milieu urbain.

Cleaning days un samedi par mois à Dakar, suivi GPS des bennes, bacs et chariots de collecte à Casablanca, remplacement de la décharge d’Akouédo par un centre de traitement flambant neuf à Kossihouen, en périphérie d’Abidjan. Les grandes villes du continent multiplient les actions pour améliorer la gestion de leurs déchets.

Le problème est ancien, mais, avec le fort essor démographique et l’urbanisation qui en découle, il prend une dimension critique, véritable bombe à retardement. Si le volume de détritus produits en Afrique subsaharienne est le plus faible au monde (0,46 kg par habitant et par jour, contre 0,81 kg/hab. en Afrique du Nord), ce chiffre devrait tripler d’ici à 2050, selon un rapport de la Banque mondiale publié en 2018.

Une perspective alarmante, a souligné l’institution internationale, alors que la collecte et le traitement y sont déjà sous-dimensionnés et que le recyclage y demeure embryonnaire. D’où l’urgence pour les décideurs, États et collectivités, d’établir en partenariat avec les nombreux acteurs du secteur – entreprises locales et étrangères, associations et citoyens – le meilleur modèle de ­gestion des déchets. Un modèle qui reste à inventer.

Hautement sensible, surtout dans les capitales, le sujet des déchets est historiquement une compétence attribuée aux municipalités. Certaines, comme Alger, continuent à assumer entièrement cette responsabilité : dans les 57 communes de la wilaya, la collecte est réalisée par deux établissements publics à caractère industriel et commercial (Netcom et Extranet), d’autres sociétés publiques assurant le tri et le traitement.

« Kin la poubelle »

Mais ce modèle se raréfie avec le développement, depuis les années 1970, de partenariats public-privé. La gestion des déchets est ainsi majoritairement confiée au secteur privé au travers de différents contrats de délégation de service public. Pour la collecte, la durée des contrats s’étend généralement de cinq à sept ans, avec une rémunération selon le poids ou le volume obtenu. Les principaux acteurs sont soit des groupes étrangers, comme le libanais Averda, le français Derichebourg, le portugais Mota-Engil (via sa filiale ivoirienne Eco Eburnie), soit des acteurs locaux tels que le marocain Ozone (qui s’internationalise), le tunisien Socobat, les sénégalais UDE et Entracom, entre autres.

Pour le traitement des déchets, les contrats sont souvent plus longs, de vingt à trente ans, afin d’assurer la construction ou la rénovation du site puis son exploitation. Là encore, on trouve à la fois des opérateurs européens (Suez pour la réhabilitation de la décharge de Meknès, Veolia pour l’usine de traitement des déchets médicaux installée à Skhirat, entre Rabat et Casablanca) et africains, majoritaires. Ces intervenants sont en général différents de ceux qui gèrent la collecte. Pour encadrer le secteur, nombre de pays ont créé, avec des succès divers, une agence nationale.

Globalement, les résultats sont loin d’être satisfaisants. Certaines cités croulent même sous les ordures, comme la capitale de la RD Congo. « Kin la belle » est devenue « Kin la poubelle », a déploré le président Félix Tshisekedi en octobre 2019. « Les taux de collecte moyens sont faibles, rarement au-dessus de 60 %. Et ils cachent de grandes disparités entre quelques quartiers bien lotis car faciles d’accès – l’hypercentre, les abords de l’aéroport ou de la place de l’Indépendance – et des zones périphériques sans rues asphaltées où le service est inexistant ou très défaillant », souligne Adeline Pierrat, géographe spécialiste de la valorisation des déchets, qui a étudié les cas ­d’Addis-Abeba, d’Antananarivo et de Dakar.

Le constat n’est guère plus reluisant sur le volet du traitement. Décharges tentaculaires – celle de Mbeubeuss, au Sénégal, s’étend sur 114 hectares –, multiplication des dépôts sauvages, faiblesse du tri, du compost et du recyclage alors même que la majorité des rebuts sont organiques et donc facilement valorisables. Ces carences ont entraîné des drames : une explosion dans une décharge à 40 km de Cotonou a fait 16 morts en 2016, l’effondrement d’un dépotoir sur trois maisons à Conakry a fait une dizaine de victimes en 2017, et plus de 100 personnes sont décédées à cause d’un éboulement dans la décharge de Koshe, à Addis-Abeba, la même année.

L’union entre public et privé coince sur la question du financement

Résultat, les relations entre autorités et prestataires sont souvent tendues. En 2017, la ville de Casablanca et Sita, filiale de Suez, mettent fin au contrat qui les lie avant la date prévue, aucune des parties n’y trouvant son compte. La capitale économique marocaine déplore le coût de la prestation étant donné que la qualité n’est pas au rendez-vous. Le groupe français, lui, pointe le manque de rentabilité de l’activité, estimant ses pertes à 12 millions d’euros en trois ans.

À Nouakchott, l’échec des négociations entre la ville et le groupe français Pizzorno, qui souhaitait une revalorisation de son contrat et dénonçait des impayés, aboutit à l’arrêt du travail en 2014. À Libreville, Averda stoppe ses activités en août 2019, dénonçant des arriérés de paiement tandis que l’État veut mettre fin au contrat et lancer un audit des créances. Dans ces deux cas, il faudra recourir à l’armée pour ramasser les détritus.

Les relations entre public et privé butent principalement sur la question du financement. D’un côté, les collectivités peinent à réunir le budget nécessaire à la gestion des déchets en raison du faible taux de recouvrement de la taxe sur les ordures ménagères et de la taxe foncière. Bien souvent, les États doivent assumer tout ou partie de la dépense, soit 18 à 23 millions d’euros par an pour le grand Dakar et ses 19 communes, et 83 millions d’euros pour Casablanca. De l’autre côté, les acteurs privés ont des difficultés à se faire payer tout en assumant des coûts de fonctionnement élevés à cause des difficultés logistiques inhérentes aux villes au développement anarchique.

« Sur la collecte, le marché cherche son modèle », résume Christophe Maquet, directeur Afrique et Moyen-Orient de Veolia, dont le groupe, un temps actif dans ce créneau sur le continent, se concentre désormais sur le traitement des déchets. Veolia et son concurrent Suez, lui aussi uniquement engagé dans le traitement en Afrique, formulent un même constat : les bailleurs de fonds sont enclins à financer la construction d’infrastructures (centres d’enfouissement, de tri, de traitement) mais pas leur exploitation, ce qui fait peser une incertitude quant à l’efficacité des investissements à terme.

Alors, comment améliorer les choses ? Pour résoudre l’épineuse question budgétaire, Pod Estelle Ndour, experte de l’Unité de coordination de la gestion des déchets solides (UCG), au Sénégal, plaide pour une double action : d’une part, améliorer l’identification des propriétaires de résidences afin d’augmenter les recettes fiscales et de financer la collecte ; d’autre part, créer des mécanismes de responsabilité élargie des producteurs (REP), notamment des industriels, pour assurer le financement du traitement et de la valorisation des déchets. « Les villes devront se tourner de plus en plus vers des solutions originales consistant à prendre en charge elles-mêmes la question de la collecte et du traitement », affirme-t-elle.

Géolocalisation, application internet et numéro vert

En parallèle, les pôles urbains cherchent à mieux contrôler l’action du privé. À la mi-janvier, la société de développement locale Casa-Baia a présenté l’arsenal de suivi des prestations d’Averda et de Derichebourg dans la capitale économique marocaine, avec géolocalisation des camions, bacs et bennes de collecte, mais aussi application internet et numéro vert pour faire remonter les plaintes d’habitants.

Au Bénin, les autorités ont confié au groupe marocain Ozone la tâche d’évaluer le service réalisé par les concurrents déjà implantés sur le marché. Certaines municipalités multiplient les contrats et les prestataires, en espérant tirer profit d’une concurrence accrue. D’autres réduisent au contraire le nombre d’acteurs, y voyant le gage d’une meilleure cohérence et donc d’une plus grande efficacité. « Il n’y a pas un modèle parfait, et la question porte moins sur le rapport entre public et privé que sur la définition d’objectifs puis des moyens pour les atteindre », avance Paul Bourdillon, directeur général Afrique et Proche-Orient chez Suez.

À l’avenir, pour toutes les villes, l’enjeu sera de construire une filière intégrée. Cela veut dire articuler la collecte des déchets à leur traitement pour éviter, par exemple, qu’un centre d’enfouissement neuf ne se retrouve en sous-régime faute de livraisons par les camions de ramassage. Cela signifie aussi donner autant d’importance à la collecte qu’au traitement, ce dernier étant souvent négligé. Or il est crucial. Le tri et la valorisation représentent non seulement un réservoir d’emplois et de richesses mais aussi un moyen de lutter contre le réchauffement climatique en limitant l’accumulation de rebuts organiques dans les décharges émettrices de méthane.

Recherche du modèle intégré

L’élaboration d’un système de gestion globale implique également d’intégrer les activités informelles, très importantes dans le secteur, dans le circuit formel. Outre l’exemple des chiffonniers dans les décharges, il existe de nombreuses initiatives de collecte, de tri et même de recyclage à l’échelle des quartiers ; de plus en plus de villes et d’acteurs privés travaillent avec des associations et des collectifs d’habitants.

Dans cette recherche du modèle intégré, la capitale du Togo est souvent présentée comme étant sur la bonne voie. En 2008, elle a lancé, avec son Projet environnement urbain de Lomé (Peul), une réorganisation de l’ensemble de la filière. Aujourd’hui, la précollecte (au domicile des ménages) et la collecte (des bacs installés dans les rues) sont principalement réalisées par des associations qui convergent vers des centres de regroupement où interviennent des entreprises privées pour assurer le transport jusqu’à la décharge. Le tout en lien avec des filières de valorisation.


Le plan subsaharien d’Ozone

Le groupe marocain, qui détient une cinquantaine de contrats de nettoyage, de ramassage et de traitement des déchets dans le royaume chérifien – notamment à Fès et à Salé –, entend poursuivre son expansion africaine sous la houlette de son patron, Aziz El Badraoui. Présent au Mali – à Bamako et Ségou –, en Guinée, en Côte d’Ivoire et au Soudan, il regarde aussi du côté du Nigeria.