Histoire

La France s'apprête à restituer le tambour parleur des Atchans, après une restauration

 

C’est une pièce imposante et unique que la France va prochainement restituer à la Côte d’Ivoire, le Djidji Ayokwe, le tambour parleur du peuple Atchan. Une œuvre qui est actuellement dans les réserves du musée du quai Branly à Paris. Ce mercredi 25 mai, les autorités ivoiriennes représentées par la ministre de Culture, l’ambassadeur de Côte d’Ivoire en France et la directrice du musée d’Abidjan, ont pu découvrir pour la première fois cette pièce de 3,31 mètres de long et qui pèse 430 kilos

Direction le sous-sol, dans les réserves du musée du quai Branly. À l’arrivée du précieux tambour, silence et recueillement prédomine au moment de sa découverte. « C’est une très grande émotion. On est tous pris par ce grand moment », raconte Françoise Remarck, ministre ivoirienne de la Culture. « C’est quand même impressionnant, car ce tambour a été au centre de la culture de notre peuple. Tout tournait autour de ce tambour, la religion, le système socio-politique », raconte le porte-parole des chefs de village Atchan, qui attend ce retour avec impatience.

Le Djidji Ayokwe est un tambour en fonte. Si l’objet est resté en bon état, le bois apparaît un peu usé au niveau de la base. Les équipes du musée ont donc proposé d’engager une restauration de l’objet : « Notre crainte première sur l’état structurel de cet objet, c’est sa perte de solidité. Ce qui rendrait son transport assez risqué et qui nécessiterait une consolidation à cœur de ses parties infestées, de même que des collages de certaines parties », détaille Stephanie Elarbi, du musée du quai Branly.

Des propositions de restauration acceptée ce mercredi par les parties ivoiriennes. Même si le porte-parole des chefs de village a une requête : « Après consultation de tous les chefs, ils ont souhaité qu’on ne touche pas à tout ce qui était coloration, car chaque pigmentation est liée à un culte, une pratique magico-religieuse ». Autre demande : les chefs Atchans veulent pouvoir venir « parler » avec l’objet, avant que ne soit engagée la restauration.

C’est avec émotion que je découvre ce tambour. Nos ancêtres, nos parents nous en ont parlé mais c’est quand même impressionnant. Parce que ce tambour est au centre.

Djagoua Guy, le porte-parole des chefs de village Bidjan

Barthélémy Boganda au Palais Bourbon (3&4)

 

À la faveur de la conférence de Brazzaville organisée par le général de Gaulle en 1944 pour témoigner sa reconnaissance aux colonisés africains, aux territoires de l’Afrique équatoriale française (AEF) qui lui ont permis de lever sa première armée, l’abbé Barthélémy Boganda va rentrer à l’Assemblée nationale française dès 1946. Il devient ainsi le premier député autochtone.

Mais alors que le Parlement doit tout reconstruire et redonner à la France un nouvel éclat, Barthélémy Boganda s’est fixé d’autres priorités : fin du travail forcé, abolition du régime d’indigénat, égalité entre Blancs et Noirs…  

Mémoire de l’esclavage : sur les traces des « nouveaux libres » 

Témoignages 

En France, depuis 2006, le 10 mai est la Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition. Pour La Croix, des descendants des affranchis de 1848 racontent leur quête de racines et leur lutte pour réhabiliter leurs aïeux.

  • Marion Lecas, correspondante régionale à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, 

Lecture en 4 min.

Mémoire de l’esclavage : sur les traces des « nouveaux libres »
 
À Drancy (Seine-Saint-Denis), une œuvre des frères sculpteurs guadeloupéens Jean et Christian Moisa rend hommage aux victimes de l’esclavage.DRAGAN LEKIC/HANS LUCAS

 

 

Sa famille peut dire de Christian Lomba qu’il est un homme persévérant. Il a sonné, des années durant, chez les oncles, les tantes et les cousins. Il a fouillé, chaque soir entre 18 heures et 1 heure, dans les histoires de famille et les recoins d’Internet, pour parvenir, en 2019, à retrouver le premier de ses ancêtres à avoir foulé le sol guadeloupéen : « Guillaume, matricule 516 », énonce-t-il avec douceur. Juste un prénom et un numéro, « comme le bétail », insiste Christian, amer de n’avoir jamais pu mettre la main sur l’acte de naissance de son aïeul. Sa lignée, juridiquement parlant, n’est née qu’en 1848.

« Chacun y va de sa technique »

En avril, un décret abolit officiellement l’esclavage. Dès l’été, l’état civil est submergé. 87 000 individus – sur une population d’environ 130 000 habitants – affluent, pour réclamer des droits et une citoyenneté. Ces hommes et ces femmes, que l’on appelle les « nouveaux libres », s’apprêtent à fonder les Antilles françaises. « Ils se présentaient devant le maire ou l’adjoint, qui faisait office d’officier d’état civil. Celui-ci les inscrivait au registre, en précisant le prénom usuel, l’habitation à laquelle ils étaient attachés, l’âge, le numéro de matricule. Et surtout, il leur attribuait – leur inventait la plupart du temps – un nom patronymique », décrit Gérard Lafleur, historien guadeloupéen.

→ ANALYSE. Antilles : la justice peut-elle réparer les crimes de l’esclavage ?

Chacun y va de sa technique : le maire de Bouillante choisit l’Antiquité comme source d’inspiration. Celui de Morne-à-l’Eau préfère les villes et les régions de France. À la Désirade, où l’adjoint est un géologue, les nouveaux libres se voient attribuer des noms de roche. D’autres encore font des anagrammes avec les prénoms et les surnoms. Certains affranchis, ceux qui ne sont pas nés créoles, cherchent dans leurs souvenirs. «Il semblerait que Moueza indique un lieu à proximité de la Tanzanie », rapporte ainsi Olivier Moueza, informaticien et habitant des Abymes.

Des filiations incomplètes

Sa quête à lui a commencé en 2003, aux urgences de l’hôpital Bicêtre, à Paris. C’est là qu’un médecin l’aborde, qui collabore avec une association recensant la diaspora africaine. Et lui apprend que son nom s’écrit sans doute « Mbouza ». L’immense majorité des nouveaux libres n’étant pas lettrés, l’orthographe de leur patronyme dépendait de celui qui l’écrivait dans le registre d’état civil. Pour Olivier Moueza, cette rencontre fortuite marque le début de quinze années de recherches généalogiques. Il parvient à remonter à 1848, pas au-delà.

→ TÉMOIGNAGE. « On vient au jardin des Abymes pour sourire à ses ancêtres »

« Passé la frustration, on se résigne. Et on s’attelle à retracer la vie d’après, la manière dont nos ancêtres ont consommé leur liberté », rapporte Christian Lomba. Rapidement, il trouve un acte de mariage. En 1849, Guillaume épouse X, qu’il a rencontrée sur l’habitation dans laquelle il travaillait. « En 1848, les familles ont été reconstituées, rapporte Gérard Lafleur. En général, parents et enfants se présentaient ensemble et recevaient le même nom. Quand un membre de la famille avait été affranchi avant 1848, son nom de libre était repris pour les autres. »

Les filiations de l’état civil, toutefois, demeurent incomplètes. Tous les pères ne reconnaissent pas leur progéniture. D’autres enfants disparaissent. La deuxième fille Moueza par exemple, faite libre deux jours avant ses parents, le 19 septembre 1848, quitte aussitôt l’habitation et ne sera retrouvée, et reconnue, que des années plus tard.

Aucune réparation financière

Sur le plan socio-économique, la liberté n’entraîne pas la prospérité. Beaucoup d’affranchis désertent les lieux de leur labeur. Mais alors que les colons sont indemnisés, aucune réparation, qu’elle soit pécuniaire ou foncière, n’est accordée aux victimes de l’esclavage. Un fait vécu, encore aujourd’hui, comme une inacceptable injustice, source d’inégalités sociales séculaires et irréductibles. «Il fallait bien manger, alors certains sont revenus pour retrouver leurs jardins et leurs cases et ont repris le travail contre une rémunération », explique Gérard Lafleur.

→ ANALYSE. Vingt ans après, une mémoire de l’esclavage encore en chantier

Le fils aîné des Lomba, Alphonse, choisit, lui, de rester huit ans dans l’habitation de Sainte-Anne avant d’acquérir, en 1856, grâce à ses économies, 14 hectares à Baie-Mahault. «Il avait, semble-t-il, une vision particulière de la liberté : il pensait qu’on ne pouvait pas être libre sans la liberté de travailler où l’on veut et quand on veut. C’est lui qui nous a véritablement émancipés et c’est à son époque, à Baie-Mahault, que notre lignée a fleuri et que nos branches ont essaimé », assure Christian Lomba.

Besoin de repères

En juillet 2019, ce dernier réunit une centaine de descendants de ces multiples branches, et leur présente le fruit de ses recherches. « La première chose qu’ils ont voulu connaître a été le pays d’origine », raconte Christian Lomba, qui a opté pour le Congo, le nommant désormais sa « terre mère ». « Nous sommes un peuple déraciné, nous avons besoin de ces repères dont on nous a privés depuis toujours », considère de son côté Thierry Césaire, enseignant à l’université des Antilles. Lui était adolescent lorsqu’il s’est adonné à la généalogie pour la première fois : il travaillait aux archives régionales afin de financer ses études. S’il a bien identifié sa branche européenne, il connaît peu ses ancêtres africains. « Mais je me sens intimement lié à ce continent », continue-t-il.

→ CRITIQUE. « Les Mondes de l’esclavage » : une histoire sur le temps long

À tous, un travail de filiation, d’acceptation et de réhabilitation semble désormais nécessaire. « La solution n’est pas de donner de l’argent. Elle est de rappeler que nos aïeux étaient des hommes et des femmes, avec des savoir-faire, qui ont permis aux pays européens d’obtenir leur puissance actuelle », souligne Thierry Césaire. Des militants réclament, en ce sens, que le terme « esclave » soit remplacé par « personne réduite en esclavage » : une évolution sémantique qui, selon eux, redonnerait un visage humain aux victimes. « Les mots doivent être justes, sourit Thierry Césaire, pour que chacun se réconcilie avec son passé. »

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Deux cents ans d’esclavage

1635. La France prend possession de la Guadeloupe, où la production de tabac et de canne à sucre se développe. La traite étant autorisée depuis 1642, l’archipel compte 4 267 esclaves en 1656 et 90 000 en 1789.

1794. La Convention nationale abolit l’esclavage. La mesure est appliquée en Guadeloupe, ensuite marquée par l’agitation des troupes, majoritairement composées de Noirs et de métis.

1802. Un corps expéditionnaire débarque en Guadeloupe pour mettre au pas l’armée « de couleur » et mater la résistance dans le sang. Le 16 juillet, Napoléon Bonaparte rétablit l’esclavage par décret.

1848. Le 27 mai, l’esclavage est aboli pour la deuxième fois en Guadeloupe, le gouverneur du territoire appliquant un décret du 27 avril.

[Archive] Quelle place pour l’Afrique dans la Seconde Guerre mondiale ?

 

Le 8 mai marque la date d'anniversaire de la capitulation de l'Allemagne nazie en 1945. Quelle a été la place de l'Afrique durant la Seconde Guerre mondiale et son importance dans la victoire des Alliés ?

Invités :

Catherine Coquery-Vidrovitch, professeur émérite d’histoire de l’Afrique à l’université Paris Diderot et autrice de Petite histoire de l'Afrique aux éditions La Découverte.

Samuel Mbajum, historien spécialiste de l’histoire des tirailleurs sénégalais.

Dominique Lormier, historien, spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, auteur de C’est nous les Africains aux éditions Calmann-Lévy, et de Koenig, l’homme de Bir-Hakeim aux éditions Du Toucan. 

Cette émission a été initialement diffusée le 08/05/2012.

Le jour où Béchir Ben Yahmed a rencontré Patrice Lumumba

Avant de s’éteindre, le 3 mai 2021, il y a tout juste un an, Béchir Ben Yahmed avait mis un point final à ses Mémoires. Nous lui rendons hommage en publiant cet extrait, dans lequel il relate sa rencontre avec le Premier ministre du Congo, Patrice Lumumba.

Mis à jour le 3 mai 2022 à 11:42
 

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Béchir Ben Yahmed dans les années 1970. © Archives personnelles de la famille Ben Yahmed

 

 

DANS CE DOSSIER

« J’ai découvert le Liberia en août 1960, alors que l’idée de créer un organisme continental de développement faisait son chemin au sein des nouvelles élites africaines : ce serait la Banque africaine de développement (BAD).

Romeo Horton, le gouverneur de la Banque centrale du Liberia, avait organisé une réunion à cette fin, à laquelle je parti­cipai en tant que représentant de la Tunisie, avec mes compa­triotes Mansour Moalla, qui préparait le lancement de la Banque centrale de Tunisie, et Abdelaziz Mathari, qui présidait toujours la STB [Société tunisienne de Banque][1]. Ma participation à ce trio était un peu incongrue. Je venais du secteur privé, mal accepté à l’époque. En ma double qualité d’ancien de HEC et d’ancien ministre, on m’avait cependant inclus dans la délégation.

Le Liberia était une destination symbolique. Il était, avec l’Éthiopie, le seul pays d’Afrique à ne pas avoir été colonisé (il l’avait été en réalité, par les Noirs d’origine américaine, qui avaient pris l’ascendant sur les « autochtones »). Nous pensions que ces deux États étaient des paradis. Or je découvris à quelques années d’intervalle des pays très pauvres, où les inégalités étaient criantes et les habitants, analphabètes.

FRANTZ FANON, ALORS AMBASSADEUR DU GPRA, ORGANISA NOTRE RENCONTRE

Nous étions donc à Monrovia depuis quelques jours, Mathari, Moalla et moi, quand un télex de la présidence tunisienne nous parvint. Le Premier ministre congolais, Patrice Lumumba, de passage à Tunis, avait demandé à Bourguiba de lui fournir des experts pour l’aider à élaborer un plan de développement et prendre le contrôle de la Banque centrale, encore aux mains des Belges.

Lumumba rentrait chez lui via Accra et Lomé. On nous demanda de nous mettre à sa disposition. Nous nous présentâmes à lui à Accra, où Frantz Fanon[2], ambassadeur du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne), avait organisé notre rencontre. Prenant place à bord de l’Iliouchine du Premier ministre congolais, nous fîmes cap sur Léopoldville (future Kinshasa).

Sincère jusqu’au bout des ongles

Durant tout le vol je restai à ses côtés, lui parlant d’Afrique Action[3], dont je projetai la création, et qui ne l’intéressait pas du tout. Ses pensées étaient ailleurs : son pays, indépendant depuis deux mois, était en proie à de sérieux troubles. Nous avions tous deux la trentaine. Lumumba était, en 1960, ce que serait Thomas Sankara vingt ans plus tard : désireux de construire un grand pays, mais idéaliste et totalement inexpérimenté. Le panafricanisme était en lui. Il m’apparut sincère jusqu’au bout des ongles, à la recherche d’une solution pour l’immense et riche Congo, déchiré par le tribalisme et convoité par les deux grandes puissances de la guerre froide qu’étaient les États-Unis et l’URSS.

À  notre arrivée à Léopoldville, alors que l’usage voulait que les ministres vinssent accueillir le chef du gouvernement à l’aéroport, ils ne furent que quelques-uns à venir à sa rencontre, tous ou presque issus de la même ethnie que lui. Mauvais présage !

Le Congo que nous découvrions était désorganisé, divisé, fragile. Léopoldville était en proie à des émeutes. Les Blancs – Belges pour la plupart – s’étaient enfuis. Certains avaient abandonné leurs voitures américaines en pleine rue. Nous logions dans une maison-hôtel où une vingtaine de Congolais assuraient le service. Une matrone belge les commandait d’une manière incroyablement dure. Seule ! Et ils étaient près de vingt, courbant l’échine devant elle !

JE N’AI PAS CONFIANCE EN MES GENS, LES BELGES VONT LES ACHETER

Lumumba décida de réunir immédiatement un Conseil des ministres et, se tournant vers nous : « Puisqu’il y a de la place, vous y participez. » Il ouvrit la séance en s’adressant à notre trio tunisien : « J’ai décidé de demander aux Belges de nous transférer les rênes de la Banque centrale. Albert Delvaux, notre ministre résident à Bruxelles, dirigera la délégation chargée de cette négociation. »

 

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Patrice Lumumba, le Premier ministre congolais, à New York, le 24 juillet 1960. © Allyn Baum/The New York Times-REDUX-REA

 

Un chef de délégation introuvable

Il constitua donc une délégation, dont nous faisions partie ipso facto. Puis, nous prenant à part : « Je n’ai pas confiance en mes gens, les Belges vont les acheter. Je n’ai confiance qu’en vous. Tenez bon et rapportez-moi l’accord. » Il nous donna des billets en première classe de Swissair, qui était à l’époque une grande compagnie aérienne, et nous souhaita bon voyage.

La négociation ne se déroula pas à Bruxelles mais dans un endroit jugé neutre : les locaux des Nations unies à Genève. En nous voyant arriver, les membres de la délégation belge ricanèrent, se demandant sans doute « qui étaient ces Arabes ». Les Congolais, eux, ne vinrent pas. Le métis censé diriger la délégation, Albert Delvaux, était introuvable. Lui et ses amis étaient restés à l’hôtel, si bien que nous nous retrouvâmes seuls face aux Belges. Il n’y eut pas de négociations, et je compris alors que Lumumba avait eu bien raison de ne pas avoir confiance en ses émissaires congolais.

CET HOMME TRÈS EN AVANCE SUR SON TEMPS AURA ÉPOUSÉ L’HISTOIRE. LE 17 JANVIER 1961, EN APPRENANT SA MORT, J’AI PLEURÉ

Moalla et Mathari regagnèrent Tunis écœurés. Je me souviens de m’être senti seul à Genève, humilié, pessimiste quant à l’avenir de l’Afrique. Ne sachant que faire, j’écrivis une lettre d’explication et de démission à Lumumba, la glissai dans une enveloppe avec mon billet d’avion de retour, la postai et repartis pour Tunis. Je suis persuadé qu’il ne l’a jamais reçue, mais que pouvais-je faire d’autre ?

En dépit de ces vicissitudes, Lumumba aura épousé l’Histoire. J’avais été impressionné par son parcours, même si je savais qu’il manquait d’expérience et de moyens, au moins autant humains que financiers.

Le destin de cet homme très en avance sur son temps était presque écrit d’avance. Sans aller jusqu’à imaginer qu’il serait assassiné, je pressentais que l’avenir serait très compliqué.

Cependant, compte tenu de son charisme et de la présence sur place des Nations unies, je crus qu’il pourrait réussir. Le 17 janvier 1961, en apprenant sa mort, j’ai pleuré.

Règlement de comptes postcolonial

En cette époque de guerre froide, Lumumba passait aux yeux des Occidentaux pour un quasi-communiste. N’était-il pas aidé par la Russie ? Sa mort fut le fruit d’un règlement de comptes postcolonial entre, d’un côté, les Soviétiques et, de l’autre, les Occidentaux, auxquels l’officier Désiré Mobutu prêta main-forte.

Les Américains collaborèrent avec ses assassins, parce que, pour eux, il était procommuniste ou risquait d’être manipulé par les communistes. Or le Lumumba que j’ai connu était certes de gauche, et plus pro-Russe que pro-Américain, mais avant tout un « non-aligné ». Un homme libre.

Ce nouveau contact avec un leader d’Afrique subsaharienne m’avait conforté dans mon projet de créer un journal panafricain pour les « Noirs » et les « Arabes ». Plus j’avançais, plus je sentais qu’il n’y avait pas de « différence de civilisation » entre eux. Durant tous mes échanges avec Lumumba, je m’étais senti en parfaite harmonie. Ce sentiment de fraternité ne s’explique pas. Il était profondément ancré en moi. »

Extrait de J’assume, de Béchir Ben Yahmed, éd. du Rocher, 2021, 525 p., 24,90 euros.


[1] Diplômé de HEC tout comme Béchir Ben Yahmed, Abdelaziz Mathari fut chef de cabinet du président tunisien Habib Bourguiba, puis fonda la Société tunisienne de banque (STB) avec BBY et Serge Guetta.
[2] Psychiatre et essayiste français, auteur, entre autres, des Damnés de la Terre, le Martiniquais Frantz Fanon (1925-1961) est l’un des fondateurs du courant de pensée tiers-mondiste et une figure majeure de l’anticolonialisme.
[3] Cet hebdomadaire, qui succède à L’Action (1955-1958), sera en effet fondé par Béchir Ben Yahmed le 17 octobre 1960. Il change de nom et devient Jeune Afrique le 21 novembre 1961.