Histoire

Société «Ils sont notre histoire» : l’hommage de Gérald Darmamin aux soldats musulmans morts pour la France|SaphirNews

C’est près de Verdun que Gérald Darmamin a rendu, mercredi 29 juillet, un hommage appuyé aux combattants musulmans morts pour la France. « La France, la patrie leur doit une dette éternelle, celle du sang versé et du sacrifice consenti », a affirmé le ministre de l’Intérieur.Gérald Darmanin s’est rendu, mercredi 29 juillet, au Mémorial de Douaumont, érigé à la mémoire des soldats de la bataille de Verdun de 1916, pour rendre hommage aux soldats musulmans morts pour la France pendant la Première Guerre mondiale.

Accompagné de Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée à la Mémoire et des Anciens combattants auprès de la ministre des armées, et de Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman (CFCM), ou encore de Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris, le ministre de l’Intérieur a décrit ces combattants comme « des héros et des repères pour tous les Français, pour notre jeunesse parfois en proie à une perte de sens, pour tous les Français qui pourraient croire qu’ils n’ont pas leur place dans la République ».… Lire suite: Société « Ils sont notre histoire » : l’hommage de Gérald Darmamin aux soldats musulmans morts pour la France, Lina Farelli, SaphirNews, 30.07.20

Littérature – Le Mozambicain Mia Couto revisite la conquête coloniale portugaise

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L'écrivain mozambicain Mia Couto est aussi biologiste. Ici à Barcelone, le 22 avril 2019.

Mia Couto s’empare de la petite histoire pour parler de la grande dans « Les Sables de l’empereur », où Ngungunyane tente de résister à la conquête coloniale du Portugal. Rencontre.

Le nouveau roman du Mozambicain Mia Couto, Les Sables de l’empereur, édité chez Métailié, réunit trois livres initialement publiés en portugais. Une trilogie qui nous entraîne à la fin du XIXe siècle, à l’époque où l’empereur Ngungunyane tente de résister à la conquête coloniale des empires européens, et plus spécifiquement du Portugal. Dans un décor politique et militaire, de Nkokolani à Lisbonne, Mia Couto nous livre un roman haletant. Rencontre avec un écrivain qui s’empare de la petite histoire pour nous parler de la grande.

Jeune Afrique : Quelle est la part de réel dans votre fiction ?

Mia Couto : Personne ne sait ce qu’est un fait réel. C’est d’ailleurs le propos de ce livre : qu’est-ce que la vérité historique ? L’Histoire est généralement écrite par les vainqueurs, ce n’est qu’un prisme du réel. La plupart de mes personnages ont existé. L’empereur Ngungunyane est encore considéré comme l’un des pères fondateurs de la nation mozambicaine. Pourtant, c’est une demi-vérité : il a lutté contre les Portugais, mais il ne s’est pas battu pour le Mozambique comme nation unie. Il est pourtant vénéré comme un résistant anticolonial.

Vous mettez en scène deux personnages que tout sépare a priori : une jeune fille de 15 ans, Imani, originaire du village de Nkokolani et dont le peuple est coincé entre la conquête de Ngungunyane et celle de la couronne portugaise, et le sergent Germano de Melo, membre de l’armée coloniale du Portugal. Pourquoi ?

L’Histoire est plus complexe qu’une lecture qui mettrait d’un côté les bons et de l’autre les mauvais, d’un côté les héros et de l’autre les vaincus. Au Portugal, il y a plusieurs Portugal ; c’est l’époque de la lutte entre républicains et monarchistes. Le sergent a été envoyé au Mozambique en raison de ses opinions républicaines.

Il est dans un endroit isolé, qui attend une armée qui n’existe plus, et dont la caserne n’est plus qu’un reliquat de quartier général. Je voulais un personnage qui avait un peu de distance avec la politique du pouvoir portugais.

Imani, également, n’embrasse pas la réalité de son espace et de son temps telle qu’on l’imagine. Elle sait lire et écrire, et connaît le monde des Blancs. Elle a une posture de traducteur, et ce lieu de la traduction m’intéresse beaucoup.

Ce rôle, justement, de traducteur, le rapport à la langue d’Imani comme lieu d’habitation, est au cœur du roman.

Je me considère moi-même comme un traducteur, plus qu’un écrivain. Il y a un monde oral qui domine au Mozambique. Pour ne rien perdre de la substance exprimée, le transposer à l’écrit est très difficile. C’est le défi de l’écrivain.

Je me considère comme un traducteur

D’ailleurs, l’oralité existe partout, pas seulement au Mozambique. L’oralité, c’est plus que l’absence de l’écrit. Je pense, par exemple, à un vieil homme qui fait le ménage dans mon bureau. À la fin de chaque journée, avant de le jeter, il me demande : « Le journal travaille-t-il encore ? » Beaucoup de personnes utilisent l’expression : « Aujourd’hui, ma voiture a dormi dehors.

Donner une âme aux objets est très fréquent, mais comment le traduire à l’écrit ? C’est mon défi. Mais être écrivain ce n’est pas juste passer de l’oral à l’écrit, c’est une question plus philosophique : montrer qu’il y a d’autres points de vue, plusieurs manières de raconter.

Les frontières entre les identités sont encore autre chose que dévoilent aussi le langage et la traduction. Je suis biologiste, et dans mon laboratoire, je suis le seul Blanc. Quand on arrive dans certains villages, les habitants disent souvent : « Les Blancs sont arrivés. » Pourtant, tous mes collègues sont noirs. Mais le mot pour dire « Blanc » n’a rien à voir avec la couleur de la peau. C’est un mot qui désigne quelqu’un qui vient de l’extérieur, qui ne parle pas la langue et qui n’est pas habillé avec le type de vêtements de ce territoire.

Souvent au travail, je suis le seul à parler la langue de certains villages. Dès lors, je passe dans un autre statut, qui n’est pas le « Noir », mais un mot qui signifie « celui qui appartient ». Autre exemple, Maputo, la capitale, est appelée par ses habitants : « Xilunguíne », qui veut dire « la ville où l’on vit comme des Blancs ».

L’empereur africain Ngungunyane est au cœur des « Sables de l'empereur », de Mia Couto.

L’empereur africain Ngungunyane est au cœur des « Sables de l'empereur », de Mia Couto. © DR

Imani, qui navigue entre les mondes à travers la langue, se questionne sur son appartenance identitaire. Elle dit, à un moment : « Je suis une créature de frontières. »

Je me sens comme elle : je suis un Blanc qui vit dans un pays majoritairement noir, je suis écrivain dans un pays où l’oralité domine, je ne suis pas croyant dans un pays profondément religieux. Alors dans les livres, parfois je suis un enfant, un chien, une femme, je peux être toutes les personnes que je souhaite pour exprimer ce rapport à la frontière. D’ailleurs, je me revois dans le personnage d’Imani aussi parce que son prénom exprime que tout est possible [Imani signifie « celle qui n’est pas nommée », NDLR].

Parfois je suis un enfant, un chien, une femme

Moi, je m’appelle Antonio, mais je me suis fait appeler Mia quand j’avais 2 ou 3 ans. Ce nom, d’ailleurs, est sujet à beaucoup d’anecdotes. Au tout début, quand j’étais publié en France, il n’y avait pas de photo de moi sur les livres. Il y a plus de vingt ans, un professeur d’université du Congo m’a appelé pour me dire qu’il utilisait mes livres en classe pour parler de l’ancestralité africaine et de la manière dont je l’utilisais dans mes œuvres. Quand il m’a vu, Blanc, il m’a dit en riant : « Je prends connaissance que vous ne faites pas partie de la tribu africaine la plus représentée. » Pendant une heure, il a essayé de me convaincre que j’avais sûrement un lointain ancêtre africain.

Imani assiste à une scène où les Portugais insultent son peuple : « Le portugais dans lequel je m’exprime, sans ride ni rature, fait que Mouzinho cesse de voir ma race. Je garde le silence. Je me tais dans la langue même de l’homme qui m’humilie. » Dans quelle mesure la langue traduit-elle les rapports de domination ?

La langue est un territoire fondamental de l’identité, pour la création et la perception même de qui l’on est. Au Mozambique, c’est parfois impossible de traduire d’une langue à l’autre. Il y a environ 25 langues. Des mots comme « Dieu », « futur » sont parfois difficiles à exprimer, il n’y a pas d’équivalent direct. Le mot « rêver », dans une des langues, veut aussi bien dire « voler ». Dans certains idiomes, il n’y a parfois pas de mots pour dire précisément « nature » ou « environnement ».

Un jour, je travaillais dans une station environnementale sur l’île d’Inhaca. Une équipe des Nations unies est arrivée, en hélicoptère, dans une posture de « sauveur », pour faire de la sensibilisation à l’écologie. Comme toujours, ces gens ne se demandent pas ce que les habitants savent déjà. L’équipe était principalement composée de Suédois avec un porte-parole qui parlait en anglais. Je traduisais donc de l’anglais au portugais, et quelqu’un d’autre du portugais au chindindin, une forme dialectale du Chironga : c’était vraiment « Lost in Translation » [rires].

Les sorciers blancs ont choisi notre île pour étudier l’origine du monde

Les Suédois se sont présentés comme des scientifiques. Mais rien que ce mot n’existe pas dans la langue. Il a été traduit par « sorcier blanc qui travaille dans l’environnement ». Mais il n’y a pas non plus de mot pour « environnement ». Je me demandais alors ce qu’allait choisir le traducteur ? Il a utilisé ce qui équivaut à « l’origine du monde ». Pour les habitants de l’île, rien que pour la présentation « scientifique environnemental » cela donnait « les sorciers blancs ont choisi notre île pour étudier l’origine du monde ».

L’un des membres de l’équipe a ensuite demandé : « Quel est votre principal souci environnemental ? » Ils ont répondu qu’ils avaient un souci avec le « tinguluve », qui veut à la fois dire « porc sauvage » et « les esprits qui sont entre les deux mondes ». Nous avons finalement traduit en « porc sauvage » et eux de répliquer : « Pas de soucis, nous avons des armes pour les tuer. » Pour les locaux les porcs et les esprits, c’est la même chose.

Cette arrogance qui empêche la confiance, la rencontre, le dialogue

Les chefs du village m’ont donc demandé de leur dire de ne pas les tuer, mais comment l’expliquer ? Les Suédois essayaient de comprendre : « Est-ce que ce sont des porcs ou non ? » Les chefs m’ont juste dit : « Presque. » Pour les scientifiques, très cartésiens, c’était impossible à saisir. L’un d’eux a ouvert un livre pour montrer l’image d’un porc : « C’est bien de cela dont vous voulez parler ? » Et de leur répondre : « Oui, oui, c’est ça. » Ils étaient alors soulagés, et puis le chef leur a précisé : « Ce sont des porcs pendant la nuit. » Finalement, le projet n’a pas marché, ils sont restés trois mois, arrivés avec cette arrogance qui empêche la confiance, la rencontre, le dialogue et amène à penser que l’on parle tous la même langue.

La frontière entre le magique et le réel, c’est nous

Le nouveau roman du Mozambicain Mia Couto, “Les Sables de l’empereur”, édité chez Métailié, réunit trois livres initialement publiés en portugais.

Le nouveau roman du Mozambicain Mia Couto, “Les Sables de l’empereur”, édité chez Métailié,
réunit trois livres initialement publiés en portugais. © Editions Métailié

 

Comment cela se manifeste-t-il dans la traduction même de vos œuvres, du portugais au français ou du portugais à l’anglais, par exemple ?

Mes livres sont abordés en Occident comme des œuvres « magiques » alors qu’au Mozambique, ils paraissent très réalistes. La frontière entre le magique et le réel, c’est nous. C’est notre perception qui la fonde. Elle existe aussi en Occident. Tout le monde, partout, a ses croyances, ses propres invisibles et ses propres mystères. Ce n’est pas spécifique à un territoire. Dans l’Europe même, il y a plusieurs Europe, et la relation des populations aux rêves, par exemple, peut différer aussi d’un espace à un autre.

Mais dans les pays occidentaux, il y a une tendance à avoir peur de ce que nous ne savons pas expliquer. Ce que j’ai appris en Afrique, c’est à ne pas avoir peur de ce que je ne connais pas ou ne maîtrise pas. Au contraire. Même en tant que scientifique, ce sont ces mystères et ces invisibles qui me motivent, la puissance de ces zones que l’on ne discerne pas.

Votre travail d’écriture se nourrit-il de votre métier de biologiste ?

Pour moi, la biologie raconte aussi une histoire, des histoires. C’est très proche de l’écriture. Dans l’écologie, nous étudions les relations entre les choses, pas les choses en elles-mêmes. Les humains ne sont pas au centre de ces relations, ils sont une des composantes. Et même la frontière de ce qui est humain ou non-humain est remise en question quand on travaille dans ce domaine.

Vous venez de publier un recueil de théâtre avec José Eduardo Agualusa, Le Terroriste élégant. Qu’apporte à votre écriture cette amitié littéraire ?

C’est plus qu’une amitié littéraire. Nous sommes tous les deux issus d’une famille portugaise immigrée en Afrique, tous les deux nés dans des villes secondaires de nos pays, l’Angola et le Mozambique. Nos pères travaillaient dans les chemins de fer, nous avons été journalistes. Il a été le premier à m’interviewer à Lisbonne. Nous échangeons nos textes régulièrement et avant même que l’un ou l’autre les publie.

De quoi parlera votre prochain livre ?

J’écris sur mon adolescence à Beira. Quand je l’ai commencé, j’ai décidé de retourner là-bas, j’ai acheté mes billets, et le jour suivant, le cyclone a détruit le pays, notamment cette région. Je me suis alors dit : « J’ai perdu mon enfance. Tout le quartier où j’ai vécu a été détruit. » Mais, finalement, cela m’a aidé à créer. Notre enfance est toujours un lieu qui n’existe plus.

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Affaire de l’attentat de 1994 au Rwanda: l'analyse de l’historien français François Robinet

Audio 04:59

 
L’historien François Robinet, spécialiste du Rwanda et des relations franco-rwandaises.
L’historien François Robinet, spécialiste du Rwanda et des relations franco-rwandaises. TV5 Monde

Le 3 juillet dernier, la Cour d’appel de Paris confirmait le non-lieu dans l’affaire de l’attentat de 1994 contre l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana, attentat considéré comme le déclencheur du génocide. La justice française lève donc les poursuites contre les proches de l’actuel président rwandais Paul Kagamé. Après cette décision rendue à huis clos, RFI a pu consulter cet arrêt, où l’on peut lire les motivations des juges. L’analyse de l’historien François Robinet, spécialiste du Rwanda et des relations franco-rwandaises.

► À noter : les parties civiles ont annoncé leur pourvoi en cassation.

La courte vie de Mabruc, l'enfant somalien de l'explorateur Luigi Robecchi Bricchetti

Luigi Robecchi Bricchetti et Mabruc sur une plage.
Luigi Robecchi Bricchetti et Mabruc sur une plage. Domaine public
Texte par : Olivier Favier
6 min

À Pavie, où il vécut de 1904 à 1910, on se souvient encore de Mabruc, le fils noir de l’explorateur excentrique Luigi Robecchi Bricchetti. L’un de ses costumes est toujours exposé dans le petit musée colonial dédié aux voyages de ce dernier en Libye et en Somalie.

À moins d’une demi-heure de train au sud de Milan, Pavie est une ville riche de connexions inattendues. On y trouve Antonio Maria Morone, l’un des meilleurs spécialistes de la Somalie, et l’une de ses plus grandes écrivaines, Kaha Mohamed Aden, fille du ministre qui créa en 1976 la première université du pays, à Mogadiscio.

Luigi Robecchi Brichetti, explorateur

Mais c’est aussi ici que naquit et mourut son plus grand explorateur, Luigi Robecchi Bricchetti, un personnage excentrique et inadapté comme la colonisation en a attiré par centaines, mais dont les choix furent à bien des égards en rupture complète avec son époque.

S’il est le fondateur, en 1926, d’un petit musée exotique qui nous renseigne au moins autant sur le regard des Européens du début du XXe siècle que sur les contrées traversées - on ne le visite plus que sur rendez-vous -, sa vie connaît une évolution surprenante. Rien n’en témoigne comme le rapport qu’il établit avec Mabruc, son fils adoptif.

Les deux noms de famille de l’explorateur racontent un drame originel qui donne un éclairage singulier sur son parcours. Luigi est le fruit des amours clandestines d’une couturière, Teresa Bricchetti, et d’un noble pavesan, Ercole Robecchi, lequel ne veut en aucun cas reconnaître cet enfant.

Mais nous sommes en 1855, le Milanais est encore sous domination autrichienne et la famille Robecchi est connue pour être favorable à l’unité italienne. Alors le tribunal saisit cette chance inespérée de ternir la réputation d’un opposant influent et donne raison à Teresa Bricchetti. Qu’à cela ne tienne, Luigi bénéficiera d’une éducation aristocratique, financée par son père, mais loin de Pavie, en Allemagne.

Une mission anti-esclavagiste en Somalie

Dans ses écrits, on ne trouve qu’une seule allusion pleine de douleur à cette jeunesse exilée. Rejeté par son père, Luigi apprend à la perfection le français et l’allemand, et devient un explorateur reconnu sur les terres convoitées par l’Italie, la Libye et la Somalie.

Une page des carnets de voyage de Luigi Robecchi Brichetti témoignant à la fois de son enthousiasme et de sa passion pour les langues.
Une page des carnets de voyage de Luigi Robecchi Brichetti témoignant à la fois de son enthousiasme et de sa passion pour les langues. Archives municipales de Pavie

Lors de ses premiers voyages au Benadir, la côte autour de Mogadiscio, dans les années 1880-1890, il regarde avec un relativisme teinté d’indifférence la pratique encore courante de l’esclavage. Il chasse, se déplace armé dans des régions réputées peu sûres, apprend les langues locales avec une prodigieuse facilité. S’il n’a pas la brutalité d’un Stanley et témoigne d’un solide sens de l’humour, il ne se distingue pas vraiment des autres explorateurs.

En 1903, son avis sur l’esclavage a changé. La Société anti-esclavagiste italienne l’envoie dans une mission en Somalie, laquelle servira plus tard à donner une caution morale à la conquête militaire du pays. Pour l’instant, la côte n’est qu’« une colonie de papier » où vivent une poignée d’Italiens. Robecchi Bricchetti rachète la liberté de centaines d’esclaves. Parmi eux, on trouve quatre petits garçons, dont le plus jeune a quatre ans.

De Pavie en Calabre, une famille italienne

Mabruc, c’est son nom, va dès lors partager le destin de Luigi Robecchi Bricchetti, qui l’emmène avec lui à Rome. Là, il le fait baptiser à la basilique du Trastevere, lui écrit un discours pour la chambre des députés, l’adopte enfin en lui donnant comme nom de famille celui de son propre père. Dans les archives des musées municipaux de Pavie, on trouve quantité de photographies les associant, notamment autour de bicyclettes, l’une des passions de l’explorateur. Sur la plage, l’enfant est dans les bras de son père en costume de bain. Autour d’eux, les vacanciers se retournent pour observer ce qui leur semble un curieux équipage.

Une série d’images les montrent aux côtés d’une femme qu’on peut supposer être la compagne de Luigi Robecchi Bricchetti, même si aucune trace de son identité n’a été conservée. Ce que l’on sait, en revanche, c’est que l’explorateur n’a pas eu d’autre enfant, et aucune épouse connue. C’est encore ensemble qu’on les voit à la pointe sud de la Calabre après le terrible tremblement de terre de Messine de 1908. Robecchi Bricchetti, qui est aussi ingénieur, y construit avec l’argent de la souscription des habitants de sa ville le « Quartier Pavia » à Bagnara. Sur les photos, on voit le petit garçon de 9 ans cavalcader parmi les ruines.

La même année, la grand offensive visant à mettre le territoire somalien en coupe réglée a lieu. Les arguments humanitaires le disputent à la langue de bois chez l’envoyé du grand journal milanais Corriere de la Sera, Giuliano Bonacci, qui tombe bientôt malade. Il est remplacé par un certain Arnaldo Cipolla, un fils à papa qui a sévi auparavant comme officier de la Force publique au Congo Léopold, et  n’a pas du tout les préventions de son prédécesseur. Avec lui, les massacres sont décrits, revendiqués et validés par la nécessité absolue d’asseoir la puissance italienne sur la Corne de l’Afrique.

Une célébrité locale

C’est dans les colonnes d'un autre journal, socialiste celui-là, L’Avanti !, que Luigi Robecchi Bricchetti émet des protestations sur ce qu’il considère être une violence injustifiée. Il s’y révèle opposé à la colonisation, croyant encore à une politique d’échanges commerciaux basés sur le développement de quelques comptoirs. Ses propos passent inaperçus.

Deux ans plus tard, Mabruc a le regard triste. Ses traits amaigris et son costume de jeune fils de famille lui donnent des airs de petit héros mélancolique à la Dickens. Comme beaucoup d’Africains en Europe, il a contracté la tuberculose, qui l’emporte en juillet. Avec une rare cruauté, une rumeur reprise par la presse locale a annoncé sa mort en mai, démentie le lendemain. Le journal de la gauche radicale Il Risveglio condamne vigoureusement cette méprise.

Le jour de ses funérailles, écoles et hospices ferment leurs portes et une véritable foule suit le petit cercueil jusqu’au cimetière communal. La tombe a aujourd’hui disparu et nul n’a su dire si sa dépouille avait rejoint celle de son père, qui meurt en 1926, sans jamais être retourné en Afrique.

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