Histoire

Assassinat de Thomas Sankara: sur les traces de l'insaisissable Hyacinthe Kafando

Le chef d'Etat du Burkina Faso, Thomas Sankara, le 31 octobre 1984, dans sa capitale Ouagadougou.
Le chef d'Etat du Burkina Faso, Thomas Sankara, le 31 octobre 1984, dans sa capitale Ouagadougou. © AFP PHOTO

Depuis 2015, l’un des principaux accusés dans le dossier Thomas Sankara est introuvable. Hyacinthe Kafando, ex-chef de la sécurité de Blaise Compaoré en 1987, est recherché par la justice militaire. Un mandat d’arrêt international a été déposé contre lui depuis la réouverture du dossier. Ayant eu vent de sa convocation du juge d’instruction, l’homme a pris la poudre d’escampette. En 2016, il avait été localisé en territoire ivoirien. Mais depuis, plus rien

Avec notre correspondant à Ouagadougou, Yaya Boudani

Selon certaines sources qui ont travaillé sur le dossier, les premières enquêtes avaient permis de localiser Hyacinthe Kafando en Côte d’Ivoire. C’est en août 2015, en pleine transition politique, que l’ex-chef de la sécurité de Blaise Compaoré a quitté le pays.

► À lire aussi : Mort de Thomas Sankara: la justice décide de la mise en accusation de l’ex-président Compaoré

« À l’ouverture du dossier en 2015, le juge d’instruction avait délivré une convocation contre lui. Mais en bon militaire, il a eu vent de ce qui se tramait et il a disparu », explique une source proche du dossier. « Il s’était établi en Côte d’Ivoire, mais il se fait discret, et il est toujours en vie », précise cette même source.

Pour fuir le Burkina Faso, Hyacinthe Kafando aurait bénéficié du soutien de Yacouba Isaac Zida, l’ex-président et ancien Premier ministre de la transition. C’est l’un de ses neveux qui l’aurait conduit en voiture jusqu’à la frontière ivoirienne. Ces révélations avaient été faites au cours du procès de la tentative de coup d’État de 2015, mené par le général Gilbert Diendéré.

Yacouba Isaac Zida aurait conseillé Hyacinthe Kafando de ne pas répondre à la convocation du juge et de quitter le territoire, selon le général Gilbert Diendéré.

► À écouter aussi : Assassinat de Thomas Sankara: «La France doit mettre à disposition de la vérité tous les documents»

Bombardement de Bouaké: le général Poncet, chef de la force Licorne, à la barre

Le général Henri Poncet en 2012.
Le général Henri Poncet en 2012. AFP - FRANCOIS GUILLOT

Qui a ordonné aux pilotes de tirer sur le camp français ? Cette question qui hante les victimes du bombardement de Bouaké et leurs proches depuis plus de 16 ans a été posée vendredi 9 avril aux plus hautes autorités militaires françaises de l’époque : le général Bentegeat, chef d’état major des armées et le général Poncet, commandant de la force Licorne en Côte d’Ivoire.

Avec notre envoyée spéciale au palais de justice de Paris, Laura Martel

Les premiers mots du général Poncet sont pour les victimes : « J'espère que je pourrais apporter les réponses qu’elles attendent depuis 17 ans », indique le général Poncet, avant de dérouler lui-même les questions. « D’abord qui sont les auteurs ? On le sait, même s’ils ne sont pas dans le box. L’ont-ils fait sciemment ? Oui. Mais pas de leur initiative, donc qui sont les donneurs d’ordres ? »

« D’abord, liste le général, le colonel Mangou qui commandait les opérations sur le terrain et son adjoint de l’armée de l’air, Séka Yapo. Autour d’eux, il y avait les radicaux rassemblés autour de Simone Gbagbo, le conseiller Défense Kadet Bertin, le président de l’Assemblée nationale Koulibaly et celui du FPI Affi N'Guessan, identifiés comme des extrémistes en termes de résolution de cette crise. »

« Mais pourquoi, poursuit le général, un ordre aussi insensé ? » Pour lui, l’offensive loyaliste avait « totalement échoué », et les radicaux, après la disparition du chef d’état-major étaient « paniqués » à l’idée d’un coup d’État. « D'où une défense paranoïaque, dit-il : quoi de mieux que désigner un nouvel ennemi pour cacher l’échec ». « Cela aurait pu marcher » estime le général, notamment, « du fait des 8 000 ressortissants sur place, soit "autant d’otages possibles", comme avait menacé Mangou ». « Mais ils n’avaient pas pris en compte le caractère du président Chirac et la réactivité de nos unités ».

Le général Poncet a également pointé des « facilitateurs », qui « portent une responsabilité indirecte » estime-il, car ils ont « donné le feu vert » à Laurent Gbagbo pour son opération de reconquête : « les opérations de maintien de la paix de l’ONU dirigées par un diplomate français » pour avoir fixé des règles d’engagement qui ne permettaient pas à Licorne de s’opposer à l’offensive ; mais aussi dit-il, « les milieux d’affaires franco-ivoirien qui en avaient marre car les affaires marchaient mal » et ont nourri « à Paris, un courant disant qu’il fallait en finir avec la rébellion ».

Il raconte ainsi qu’à l’été 2004, le conseiller Afrique de l’Elysée demande d’entamer le désarmement des rebelles, ce qui n’était selon lui pas la mission de Licorne. « J’y ai vu le premier signal d’un changement de position de plusieurs courants de la vieille France-Afrique » dit-il.

Enfin, « y a-t-il eu complot pour faire faire une grosse bêtise à Laurent Gbagbo, que je ne considère pas comme donneur d’ordre », interroge le général. Il évoque alors un entretien en juin 2005 « Gbagbo m’a dit : vous connaissez assez bien l’Afrique pour savoir qu’un chef Bété assume les décisions de ses subordonnées. » Quant à une éventuelle manipulation française : « Si on avait voulu renverser Gbagbo ou lui tendre un piège, on s’y serait sans doute pris autrement », soutient le général Poncet.

Un sentiment partagé par le général Bentegeat. « Je ne peux pas imaginer une seconde Chirac dans un schéma aussi hallucinant que faire tirer sur ses propres soldats pour espérer se débarrasser d’un dirigeant », assure-t-il. D’ailleurs, le président Gbagbo n’a « jamais dit que c’était la France qui était responsable quand je l’ai vu en décembre 2004 », poursuit-il, « il m’a dit qu’il allait diligenter une enquête, il devait donc penser que c’était dans sa chaine de commandement. »

Une nouvelle Air Afrique est-elle possible ? (6/6)

| Par 
Avions Air Afrique à l’aéroport Houphouët-Boigny d’Abidjan.

Avions Air Afrique à l'aéroport d'Abidjan

 

« Il était une fois Air Afrique » (6/6). Dans un secteur bousculé par la pandémie, la coopération semble plus que jamais la solution d’avenir. Mais celle-ci prendra-t-elle une forme panafricaine ?

« Aucun pays africain n’a les moyens de porter aujourd’hui une compagnie aérienne rentable. » Difficile d’attribuer cette citation, tant elle est martelée, dans tous les sens, par l’ensemble des professionnels de l’aviation et les observateurs du secteur.

Et le séisme que représente le Covid-19 pour le secteur du transport aérien n’a rien arrangé.

« Si les États tiennent autant à leurs compagnies nationales, c’est parce que ce sont des outils politiques, de grandeur et de maîtrise des routes. Mais en ces temps de crise, la question se pose de savoir jusqu’où ces derniers vont vouloir et pouvoir intervenir pour sauver leur pavillon », explique Didier Bréchemier, associé du cabinet Roland-Berger, spécialiste des questioériennes, pour lequel, sans une taille critique d’au moins 20 appareils, « les compagnies africaines sont condamnées à naître et à renaître comme elles le font depuis vingt ans ».

Créer des synergies

« Le concept de mutualiser les ressources de divers pays pour qu’une compagnie transnationale atteigne une taille critique et que la desserte aérienne fonctionne est très intelligent, il faudrait absolument le reprendre et l’adapter au contexte actuel, en réglant les problèmes qui se sont posés pour Air Afrique », assure, enthousiaste, le consultant Sylvain Bosc, qui conseille plusieurs États africains et institutions financières internationales, après être passé par Corsair, South African Airways ou encore Qatar Airways.

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RECRÉER AIR AFRIQUE EST UTOPIQUE, NOUS NE SOMMES PLUS DANS L’EUPHORIE DES INDÉPENDANCES

Ce dernier suggère un mélange savamment dosé de « saine concurrence sur certaines routes et de lignes protégées, à faire gérer via une délégation de service public ».

« Recréer Air Afrique est utopique, nous ne sommes plus aujourd’hui dans l’euphorie des indépendances », tranche l’ex-directeur général de la compagnie Pape Sow Thiam.

Plutôt que la création ex nihilo d’une nouvelle compagnie, l’ancien dirigeant imagine plutôt, dans un scénario qu’il définit comme « le meilleur possible », que les États qui ont des compagnies créent des synergies pour éviter les doublons et atteindre la masse critique indispensable, avant de déboucher sur une fusion « naturelle et harmonieuse ».

Un salut par Ethiopian Airlines ?

Le tout devant « éviter une trop grande politisation » et, dans la mesure du possible, « être géré par le privé ».

Ethiopian Airlines, compagnie rentable  même en 2020 ! –, avec une masse critique de plus de 100 appareils et des participations stratégiques à travers tout le continent  Asky, Tchadian Airlines, Malawian Airlines, Mozambique Airlines, et peut-être bientôt South African Airways , est-elle la mieux placée pour suivre cette trajectoire ?

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ETHIOPIAN EST ATYPIQUE DANS L’ENVIRONNEMENT AFRICAIN DU FAIT DE SA LONGÉVITE

Avec une flotte de 128 appareils, « c’est en tout cas la seule compagnie d’Afrique subsaharienne qui a réussi à monter un réseau puissant et mobile, et à atteindre la masse critique indispensable pour réussir sur le long terme », juge Didier Bréchemier.

« C’est une compagnie qui a voulu grandir, s’est donné les moyens de le faire, et est atypique dans l’environnement africain du fait de sa durée de vie [elle a été créée en 1946, ndlr]. Même avant le Covid-19, elle a montré sa capacité de survivre à des crises, allant jusqu’à déménager au Kenya pour ne pas faire les frais de la guerre Éthiopie-Érythrée », ajoute Ibra Wane, ancien directeur commercial d’Air Afrique, désormais à la tête de la filiale sénégalaise du courtier aérien français Avico.

Reste la question politique : aujourd’hui, Ethiopian est détenue à 100 % par l’État éthiopien, et même si ses dirigeants semblent avoir toute latitude dans la gestion de la compagnie, il est peu probable qu’elle puisse de ce fait s’ériger en « compagnie panafricaine ».

Sa privatisation, annoncée en 2018, a été reportée aux calendes grecques.

Asky assume son statut

Mais sa petite sœur, Asky (pour African Sky), revendique elle aussi le titre de digne successeur de l’ancien pavillon vert. Il faut dire qu’à son capital on trouve, outre la compagnie éthiopienne (qui en détient 18 %), des organisations elles-mêmes panafricaines  Ecobank (17e du classement JA des banques du continent en 2020), la Banque ouest-africaine de développement et la BIDC, chacune avec 18 %  le pavillon basé à Lomé a de quoi se revendiquer plus régional que togolais, comme le martèle sa devise, « la compagnie panafricaine ».

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ASKY A REMPLACÉ AIR AFRIQUE, ET JOUE LE MÊME RÔLE DE CONNECTEUR

Dans ses mémoires, L’Afrique d’abord, son fondateur Gervais Koffi Djondo raconte comment il a été approché, en 2004, par le directeur général de la BCEAO, l’Ivoirien Charles Konan Banny, « qui a tout mis en œuvre pour [le] convaincre » de porter un tel projet, qui resterait privé.

« Asky a remplacé Air Afrique, nous avons exactement le même rôle de connecteur, mais dans une logique purement privée, sans aucune interférence politique », confie ainsi son directeur commercial, Nowel Ngala, en marge d’un entretien à Jeune Afrique, début mars.

Mais là encore, le risque d’obstacles politiques est réel. Une compagnie aérienne étant aussi un outil politique, « voir la réussite d’une compagnie basée dans le tout petit Togo rend fous certains dirigeants de la région, qui faussent un peu la concurrence en soutenant des sociétés publiques. Ces dernières peuvent ainsi proposer des tarifs plus attractifs que ceux d’une compagnie privée, créée pour faire de l’argent en menant des gens ou des marchandises d’un point A à un point B », commente un observateur du secteur.

Pour ce dernier, la question va être de savoir combien de temps encore ces États, durement frappés économiquement par la pandémie, vont pouvoir soutenir des compagnies nationales structurellement déficitaires. Finiront-ils par renoncer et laisser sa chance au privé ?

Vers des alliances au-delà de l’Afrique ?

Mais faute d’une entente panafricaine, Didier Bréchemier voit aussi un autre scénario se dessiner à la suite de l’entrée en vigueur de l’accord de Yamoussoukro, signé en 1999 pour libéraliser le ciel aérien, mais dont la mise en œuvre tarde.

« Avec ce nouveau cadre juridique, toutes les compagnies aériennes européennes, américaines, chinoises ou du Golfe vont vouloir un partenaire africain pour profiter de l’Open Sky continental, comme on peut déjà le voir entre Air France et Air Côte d’Ivoire ou entre Qatar Airways et Rwandair ».

Malgré des avancées telles que la Zlecaf pour renforcer la coopération intracontinentale, des deals internationaux plutôt que locaux pourraient bien dessiner le futur ciel aérien.

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Côte d’Ivoire, Sénégal, Congo… Anciens d’Air Afrique, que sont-ils devenus ? (5/6)

| Par - avec Charles Djade, à Lomé. Infographie : Marie Toulemonde
Manifestation à Paris d’anciens amployés d’Air Afrique, le 28 mai 2002.
Manifestation à Paris d'anciens amployés d'Air Afrique, le 28 mai 2002. © DANIEL JANIN/AFP

« Il était une fois Air Afrique » 5/6. La retraite pour les uns, une belle carrière pour d’autres, la galère pour beaucoup. D’Yves Roland-Billecart à Marcel Kodjo, en passant par les quelque 4 000 salariés en poste lors de la faillite, où se trouvent les protagonistes vingt ans plus tard ?

« La disparition d’Air Afrique a été une catastrophe pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale, mais aussi un drame humain. Certains États ont eu à cœur d’indemniser leurs ressortissants ou les agents étrangers qui se trouvaient en poste sur leur territoire au moment de la faillite, mais cela n’a pas été le cas partout. Il y a eu des décès d’agents qui n’avaient plus les moyens de se soigner, des divorces, des suicides… », confie Pape Sow Thiam, ex-DG du groupe.

Vingt ans plus tard, ces questions sont-elles réglées ? Et, plus largement, que sont devenus les anciens de la compagnie, qu’ils l’aient dirigée ou qu’ils y aient simples employés ? Jeune Afrique a mené l’enquête et retrace quelques-uns de ces nombreux parcours.

Yves Roland-Billecart, ancien PDG

Yves Roland-Billecart © DR

Après avoir été nommé PDG d’Air Afrique en 1989, l’ex-directeur de la Caisse française de développement (ancêtre de l’AFD) y a été réélu pour un second mandat de cinq ans en 1994

Cependant, très contesté par les syndicats et jusqu’au sein même du conseil d’administration de la compagnie, il fait valoir son âge (70 ans) pour avancer son départ, qui sera effectif en février 1997.

Retraité, il est élu en 1999 à l’Académie des sciences d’Outre-mer.

Pape Sow Thiam, ancien DG

Le directeur général Pape Sow Thiam, à Abidjan, en septembre 2000 © Yann LATRONCHE/Gamma-Rapho via Getty Images)

 

Seul directeur général de l’entreprise « issu du sérail », ce Sénégalais né à Abidjan, ingénieur de formation, est entré à Air Afrique en 1967. Il y fait son chemin, passant de la direction technique à la direction commerciale, directeur pays au Congo puis en Europe, avant d’être nommé directeur général, en 1999

S’il accepte alors de prendre les rênes d’une compagnie en grande difficulté, c’est qu’il pense que son expérience de trente-deux ans dans la maison lui sera utile. « Je connaissais les problèmes de l’entreprise, mais aussi ses points forts et ses hommes. Je pensais donc avoir tous les atouts en main pour la relancer, à condition qu’on m’en donne les moyens », confie-t-il à Jeune Afrique.

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J’AI PRÉFÉRÉ PARTIR POUR NE PAS GÊNER MON SUCCESSEUR

Ayant finalement dû solliciter l’aide de la Banque mondiale pour redresser la compagnie, il laissera en 2001 la place à l’Américain Jeffrey Erickson.

« On m’a alors proposé le choix : je pouvais rester dans la compagnie et représenter les États au sein du comité de surveillance, ou être licencié. J’ai préféré partir pour ne pas gêner mon successeur », explique-t-il.

Il a ensuite présidé, à partir de 2003 « après la faillite d’Air Afrique, à qui je ne voulais pas faire de concurrence », précise-t-il, la compagnie malienne STA Transafrican Airlines, ex-société de transport aérien à la demande qui souhaitait opérer sa régionalisation.

« La compagnie avait recruté d’autres anciens d’Air Afrique et était bien partie, mais nous avons eu des divergences sur les projets de la compagnie : j’ai démissionné en 2005 car je considérais que lancer des vols vers Paris était un mauvais choix stratégique, et STA Transafrican Airlines a déposé le bilan quelques mois plus tard. »

Pape Sow Thiam a pris sa retraite dans la foulée et partage aujourd’hui son temps entre la France et la Côte d’Ivoire.

Marcel Kodjo, le dernier DG

Le président congolais Denis Sassou-Nguesso et le dernier directeur général de la compagnie, Marcel Kodjo, après la réunion qui a décidé le dépôt de bilan de la compagnie et acté le projet d’une Nouvelle Air Afrique, les 10 et 11 janvier 2002.
© GEORGES GOBET / AFP


Le financier ivoirien, diplômé de l’ENA, aura été le dernier directeur général d’Air Afrique avant sa liquidation. Passé par la Beceao et l’UMOA, il avait été directeur général de la Banque internationale pour l’Afrique occidentale (BIAO) avant d’être choisi pour diriger Air Afrique.

Après 2002, il poursuit sa carrière en tant qu’administrateur de diverses sociétés, et notamment de NSIA Côte d’Ivoire et dirige un cabinet de conseil à Abidjan.

Yacouba N’Diaye

Yacouba Ndiaye © DR

 

L’ancien directeur du fret, resté très attaché à sa compagnie qu’il s’efforce de faire revivre sur le web, a passé trente-trois ans chez Air Afrique, où il était entré en 1971.

Cet Ivoirien, en poste au Sénégal au moment de la faillite, a été licencié, mais sans percevoir la totalité des indemnités qui lui étaient dues, explique-t-il.

Après la liquidation de la compagnie, il a fondé avec une autre ancienne de la compagnie une société de fret, Afrique charter service Sénégal, qui opérait avec un avion loué, un Antonov-12 « le seul avion petit porteur capable d’atterrir sur les pistes courtes comme celles qui existaient à Pointe-Noire ou à Komé, au Tchad », précise-t-il.

« Nous assurions l’exportation de poisson frais de Dakar vers Athènes et Marseille et ramenions du matériel pétrolier pour les escales tchadienne de Komé et congolaise de Pointe-Noire jusqu’en à 2008, date à laquelle l’interdiction de vol des Antonov-12 a mis fin à cette activité », poursuit l’ancien cadre.

Il a aussi supervisé l’organisation et le suivi des vols de compagnies charter précédemment assistées par Air Afrique dans différentes escales, d’abord depuis le Sénégal puis depuis la Côte d’Ivoire. Depuis 2012, Afrique charter service Côte d’Ivoire épaule en outre Air Côte d’Ivoire pour l’organisation des pèlerinages vers Djeddah et Médine.

Ibra Wane

L’ex-cadre commercial, recruté le 18 mai 1992 à l’âge de 29 ans par Yves Roland-Billecart, a démissionné d’Air Afrique en février 2002, juste avant la liquidation. Il était alors en poste au Bénin, comme directeur pays.

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QUAND J’AI ÉTÉ CONTACTÉ PAR AIR SÉNÉGAL INTERNATIONAL, JE N’AI PAS HÉSITÉ

« Depuis le mois de janvier, le bilan avait été déposé. Les bureaux étaient toujours là, mais les avions ne volaient plus. Alors, quand j’ai été contacté par Air Sénégal International pour le poste de directeur commercial, je n’ai pas hésité », relate l’ancien cadre, selon lequel beaucoup de salariés – ceux qui avaient pu trouver du travail ailleurs – ont comme lui quitté l’entreprise entre le mois de janvier et le mois d’avril 2002.

Muté au siège de la Royal Air Maroc  partenaire d’Air Sénégal International  Ibra Wane a aussi échappé à la faillite de la compagnie sénégalaise. Il a ensuite rejoint le courtier aérien français Avico, dont il a ouvert le bureau sénégalais en 2011.

4 000 salariés sur le carreau

Si les quelque 4 000 salariés d’Air Afrique ont tous perdu leur emploi à la suite de la faillite, leur sort juridique et financier a été extrêmement variable en fonction de leur nationalité et de l’endroit où ils étaient en poste au 25 avril 2002  la règle théorique étant que chaque escale indemnise ses travailleurs, quelle que soit leur nationalité.

Le Bénin, le Mali, le Tchad et le Burkina Faso semblent avoir mis un point d’honneur à indemniser leurs ressortissants, y compris lorsqu’ils étaient en poste à l’international, tout comme le Niger, qui a vendu le matériel Air Afrique de l’escale pour dédommager ses agents de l’extérieur. Au Sénégal et en Côte d’Ivoire, principales bases de la compagnie, la situation a été plus compliquée.

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LES EX-EMPLOYÉS IVOIRIENS D’AIR AFRIQUE SE SONT RÉUNIS AU DÉBUT DE FÉVRIER POUR RÉCLAMER LES INDEMNITÉS PROMISES PAR ABIDJAN

Au Sénégal, des indemnités seront débloquées par paliers, sur les deux décennies suivant la faillite. « Des paiements par petits bouts qui ne représentent rien », s’emporte Yacouba N’Diaye. Le 19 juillet 2020, le ministre du Tourisme et des Transports aériens, Alioune Sarr, a remis aux anciens salariés sénégalais ou à leurs ayants-droits un chèque de 66,7 millions de F CFA (environ 102 000 euros), indiquant que ce dossier était soldé « définitivement ». Sollicités par JA, ses services n’ont pas donné suite à notre demande d’entretien.

En Côte d’Ivoire  siège de la compagnie, où travaillaient 800 personnes au moment de la liquidation , le dossier n’est toujours pas soldé. L’avocat parisien Olivier Brane, qui a longtemps défendu les intérêts de ex-salariés, a fini par prendre sa retraite sans en avoir vu l’aboutissement. Contacté par Jeune Afrique, il n’a pas souhaité s’exprimer.

Organisés en Comité de suivi des droits des anciens travailleurs ivoiriens d’Air Afrique, les anciens de la compagnie se sont encore réunis en assemblée générale au début de février pour réclamer leurs indemnités, que l’État leur promet pour cette année 2021.

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D’ANCIENS SALARIÉS TOGOLAIS N’EXCLUENT PAS DE RELANCER UN JOUR LE DOSSIER DEVANT LA JUSTICE

Les agents togolais ont quant à eux dû attendre le 28 novembre 2018 pour que la médiatrice de la République, Awa Nana Daboya, fasse débloquer 124,5 millions de F CFA (sur un total de droits dus, intérêts et principal confondus, de 196 millions de francs CFA), avait alors indiqué le bureau de l’association locale de défense des anciens salariés dans un communiqué.


Manifestation des anciens salaries de la compagnie aerienne Air Afrique devant les locaux d’Air France à Paris © DR

Mais cela ne concerne que les personnels employés localement. Ceux basés à Abidjan attendent toujours les 30 à 150 millions de F CFA que, en fonction de leur statut, ils sont censés recevoir comme indemnités. Contactés par JA, d’anciens salariés togolais qui ont requis l’anonymat n’excluent pas de relancer un jour le dossier devant la justice.

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400 MORTS DANS LES RANGS DES EX-AGENTS D’AIR AFRIQUE SONT À DÉPLORER FAUTE DE SOINS

Quant au Congo-Brazzaville, il a indemnisé à hauteur de 50 % le personnel d’Air Afrique présent sur son territoire  oubliant ses ressortissants basés au siège.

Le sort semble avoir été le même pour les Centrafricains, dont un porte-parole, Bruno Gongolo, rappelait en août 2009 que les ressortissants en poste hors du territoire n’avaient reçu ni indemnités de  licenciement, ni arriérés de salaires, ni indemnités de rapatriement pour eux-mêmes et leur famille. Sept ans après la faillite de la compagnie, l’ancien salarié déplorait « plus de 400 morts, dont 4 Centrafricains, dans les rangs des ex-agents d’Air Afrique, faute de soins ».

En Mauritanie  plus faible contributeur de la compagnie en termes d’effectifs, avec moins de 100 agents , les ex-salariés sont peu visibles, du fait de leur petit nombre. En 2006, la trentaine d’agents alors en poste à l’étranger, réunis en collectif, en avait appelé au président, expliquant n’avoir rien reçu et totaliser en outre plus d’un an d’arriérés de salaire. La situation semble avoir été réglée depuis.

 

 

Air Afrique au temps de sa splendeur : quand le pape montait à bord (3/6)

| Par - Infographie : Marie Toutlemonde
Jean-Paul II accueilli par Félix Houphouët-Boigny à Abidjan, en 1980.
Jean Paul II  accueilli par Félix Houphouët-Boigny à Abidjan, en 1980.
 

« Il était une fois Air Afrique » (3/6). Lorsque Jean-Paul II ou l’actrice Ursula Andress empruntaient ses avions, Air Afrique se sentait pousser des ailes. Jeune Afrique revient sur les beaux jours de la compagnie.

« Quand on parle d’Air Afrique aujourd’hui, c’est souvent pour en évoquer l’échec. Mais il ne faut pas oublier tous les succès qu’a engrangés la compagnie pendant plus de quarante ans. Depuis, personne d’autre n’a réussi une telle prouesse. »

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UNE CERTAINE FIERTÉ NOUS HABITAIT EN MONTANT DANS UN AVION AFRICAIN, PILOTÉ PAR UN AFRICAIN, AVEC UN PERSONNEL AFRICAIN

Dès l’entame de notre conversation, Ibra Wane, entré à Air Afrique en 1992 à l’âge de 29 ans en tant que cadre commercial, après avoir été « biberonné à la compagnie », et devenu ensuite chef du service de la coopération internationale, pose le ton : nostalgique de ces années-là, il y a rencontré beaucoup de gens « très denses et d’une compétence extraordinaire ».

Fierté africaine

Retour donc, dans ce volet, sur les beaux jours de la compagnie. Dans les années 1970, deux solutions s’offraient aux passagers désireux de voyager entre Paris et les capitales africaines francophones : la française UTA (par ailleurs actionnaire minoritaire d’Air Afrique) et Air Afrique. Depuis le 18 mai 1965, ils pouvaient aussi prendre les vols d’Air Afrique pour rallier les États-Unis.

Le PDG d’Air Afrique Cheikh Boubacar Fall © AFP

« D’un côté, les coopérants, les hommes d’affaires, qui optaient pour la compagnie française, de l’autre, un melting-pot francophone qu’habitait une certaine fierté communautaire en montant dans un avion africain, piloté par un Africain, avec un personnel africain », résume un passager nostalgique de la compagnie.

Si Pape Sow Thiam, entré à Air Afrique dès 1967 et DG de la compagnie de 1999 à 2001, nuance quelque peu cette image d’Épinal, assurant que « tous les passagers n’étaient pas là par conviction », lui aussi se rappelle de cette atmosphère particulière, loin des vols uniformisés d’aujourd’hui.

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PARTICIPER À CETTE AVENTURE FUT UNE CHANCE INCROYABLE

« Nos passagers nous disaient qu’ils se sentaient en Afrique dès qu’ils montaient dans l’avion, même si on était encore à Roissy ou au Bourget, d’où partaient nos avions les premières années. La décoration, la musique, les repas, la tenue du personnel, et même les films… Tout cela participait à l’identité de la compagnie », assure-t-il.

Personnel navigant d’Air Afrique © DR

Le travail et la fête

Jeune salarié d’UTA envoyé en 1969, à 25 ans, en détachement pour Air Afrique au Gabon, Jacques Julien salue de son côté la « chance incroyable » qui lui a fait participer à l’aventure. « Cette idée de construire quelque chose ensemble, ça valait drôlement le coup », confie l’ancien chef d’escale qui, en dix ans chez Air Afrique, sera aussi passé par Dakar, N’Djamena et Abidjan.

« Au Tchad, ça dépotait, les équipes déchargeaient un cargo en une heure, c’était magnifique ! » se souvient celui qui a débarqué dans le pays « en pleine affaire Claustre ».
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LE PAPE A TENU À VOYAGER À BORD D’UN AVION D’UNE COMPAGNIE AFRICAINE

Et lorsqu’ils passaient par Paris, les équipages ne passaient pas inaperçus : descendus au Méridien, dans le 17e arrondissement de la capitale française, on les retrouvait à La Gazelle, restaurant camerounais du même quartier, puis dans les boîtes de nuit Black and White et Keur Samba.

Pour les inconditionnels de la compagnie, ce fut donc une grande de fierté lorsque le pape Jean-Paul II choisit Air Afrique pour sa tournée africaine, qui le mènera en 1980 du Zaïre à la Côte d’Ivoire, en passant par le Congo, le Kenya, le Ghana, la Haute-Volta et la Côte d’Ivoire.

Un souverain pontife à Abidjan

S’il était arrivé à Kinshasa depuis Rome à bord d’un DC-10 d’Alitalia, le souverain pontife avait loué un appareil d’Air Afrique pour continuer sa tournée et rentrer à Rome. « Comme c’était un périple africain, le pape a tenu à voyager à bord d’un avion d’une compagnie africaine », rapportera plus tard André Compaoré, l’un des cadres de la compagnie, à la presse burkinabè.

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ON LUI AVAIT SPÉCIALEMENT AMÉNAGÉ UNE CABINE OÙ IL ÉTAIT ISOLÉ DU RESTE DE LA DÉLÉGATION

Chargé des relations extérieures de la compagnie, ce dernier avait en effet été choisi pour rejoindre la délégation du souverain pontife, composée de ses proches collaborateurs et de journalistes, afin de s’assurer que tout se passe bien.

« On lui avait spécialement aménagé une sorte de cabine en première classe, où il était tout seul, isolé du reste de la délégation », se rappelle l’ancien cadre, selon lequel, à l’arrivée à Rome, Jean-Paul II s’était plié  déjà  au jeu des « selfies » avec les hôtesses, stewards et autres personnels d’Air Afrique.

D’autres célébrités d’envergure internationale ont pris place à bord d’avions de la compagnie, telle l’actrice suisse Ursula Andress, James Bond Girl et icône des aventures de 007 contre Dr No.

L’actrice suisse Ursula Andress embarque à bord d’un vol Air Afrique. © DR