Histoire

Des photos inédites de Cheikh Ahmadou Bamba vendues pour 60 000 euros

Jusqu’ici, il n’y avait qu’une seule photo connue de celui que l’on surnommait Serigne Touba, le fondateur du mouridisme au Sénégal. La découverte, en mars 2020, de ces images avait créé une frénésie parmi les disciples.

Mis à jour le 25 avril 2023 à 17:01
 
 

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Portrait du guide spirituel Cheikh Ahmadou Bamba prise en 1913, à Diourbel, par le lieutenant-colonel Paul Marty. © Domaine public

 

 

C’est un peu comme s’il revenait une seconde fois à la vie. Découvertes il y a trois ans, six photos inédites de Serigne Touba, autre nom du fondateur de la confrérie des Mourides Cheikh Ahmadou Bamba, décédé il y a près d’un siècle, ont été présentées lundi 24 avril au chef de l’État sénégalais, Macky Sall. Elles avaient été remises solennellement six jours plus tôt à Serigne Mountakha Mbacké, khalife général des Mourides à Touba.

De Lyon à Touba

Située à près de 200 kilomètres à l’est de Dakar, cette ville sainte du mouridisme, courant islamique soufi le plus important du Sénégal avec près de 3 millions d’adeptes, a été fondée par le Cheikh lui-même en 1888. « Acquérir ces photos était d’une importance capitale pour le Sénégal, tant sur le plan religieux que sur celui du patrimoine », se réjouit Khadim Ngom, cardiologue à Bordeaux et membre du collectif Diwaanul Mahaarif. Composé de disciples mourides, de petits-fils du théologien et de scientifiques, ce collectif s’est formé pour acheter les clichés vendus aux enchères à Lyon en mars dernier.

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Le retour des images au Sénégal, alors que s’achevait la période de ramadan, concourait à un symbolisme fédérateur. Jusqu’ici, qu’une seule photographie de Cheikh Ahmadou Bamba n’était connue : un portrait du guide spirituel enturbanné et vêtu d’une tunique blanche prise en 1913, à Diourbel, par le lieutenant-colonel Paul Marty.

Ce dernier dirigeait à l’époque le service des Affaires musulmanes du gouvernorat de l’Afrique occidentale française (AOF), à Dakar. Les six nouvelles photos ont, elles, été prises en mars 1918 et tirées de l’album personnel de Jean Geoffre, architecte français en poste au Sénégal. Elles montrent Serigne Touba posant la première pierre de la grande mosquée de Diourbel, l’un des premiers édifices religieux du mouridisme.

Présentées une première fois le 14 avril à l’ambassade du Sénégal, à Paris, les images rachetées pour un coût total de 60 000 euros permettent de découvrir le fondateur de la confrérie sous un nouveau jour. « Ces photographies donnent une autre vision de Cheikh Ahmadou Bamba, de son leadership et de son charisme. Elles ont une dimension culturelle mais aussi mémorielle pour nous, les disciples », affirme Khadim Gueye, secrétaire général de la Fédération nationale des Mourides de France.

Trois ans de tractations

L’histoire de ce retour commence en mars 2020, lorsque les clichés libellés Le Serigne Amadou Bamba apparaissent sur le site de la maison Delcampe, spécialisée dans la vente de cartes postales anciennes pour 5 euros. Devant l’engouement que les images suscitent auprès des fidèles mourides, le collectionneur qui en était propriétaire décide de surseoir à leur vente.

« Les revendeurs ont été bombardés de mails et de messages. L’intérêt pour ces photos dont ils ignoraient la valeur les a surpris », raconte Khadim Gueye, qui a été contacté par la société de vente, qui était à la recherche de plus d’informations.

 

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© DR

 

Un collectif s’est alors constitué pour authentifier les photos, de format 7 x 4 cm, et les racheter. « Nous nous sommes appuyés sur les écrits des anciens disciples de Cheikh Ahmadou Bamba qui relataient le jour de la pause de la première pierre de la mosquée pour nous assurer que les scènes concordaient, explique le secrétaire général de la fédération des Mourides de France. Nous avons ensuite tenté d’approcher le propriétaire des photos, sans succès. »

Trois ans plus tard, en mars dernier, les fameux clichés réapparaissent en ligne cette fois-ci, dans le catalogue de la maison de ventes aux enchères De Baecque. Ils sont alors réévalués à la hausse et mis à prix 30 000 euros. Le collectif  Diwaanul Mahaarif se positionne en payant un acompte de 5 000 euros, mais doit batailler avec un autre acheteur – anonyme – également intéressé. Les photos sont finalement adjugées à 48 000 euros, auxquels s’ajoutent 12 000 euros au titre des frais d’adjudication. « Nous avons mutualisé nos forces sur le plan financier et intellectuel pour que ces photos fassent partie du patrimoine de la confrérie mouride », s’est félicité Khadim Ngom.

Des archives manquantes

Pour Souleymane Jules Diop, ambassadeur et délégué permanent du Sénégal auprès de l’Unesco, la découverte de ces photos est « une grande victoire parce que la puissance coloniale ne voulait pas que le mouridisme survive à la mort de Serigne Touba, en 1927 ». « Le colon craignait que les enseignements de Cheikh Ahmadou Bamba suscitent un soulèvement populaire. C’est peut-être à cause de cette peur que les archives qui retracent sa vie manquent », estime le diplomate. « La rareté des images de Serigne Touba peut s’expliquer également par sa longue captivité », affirme de son côté Khadim Gueye.

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Résistant anticolonial né en 1853, Cheikh Ahmadou Bamba a été déporté une première fois au Gabon entre 1895 et 1902 après avoir fondé la ville de Touba, puis en Mauritanie entre 1903 et 1907. À son retour au Sénégal, il est contraint à la résidence surveillée pendant plusieurs années. Mais les relations avec les autorités coloniales finissent par s’apaiser. Si bien que plusieurs de ses disciples participent à la Première Guerre mondiale. Une contribution qui vaut à Serigne Touba de recevoir la croix du chevalier de la Légion d’honneur, distinction qu’il accepte mais ne portera jamais.

Entièrement restaurées et numérisées, les six photos tirées de l’album personnel de l’architecte Jean Geoffre, également racheté pour 300 euros, devraient être exposées aux côtés des objets personnels de Serigne Touba dans un musée en construction dédié au théologien. En attendant, le Musée des civilisations noires de Dakar s’est proposé pour les présenter au public et espère que d’autres images du Serigne Touba seront découvertes.

« Queen Cleopatra » : la reine d’Égypte était-elle noire ?

La bande-annonce du documentaire sur Cléopâtre « Queen Cleopatra », disponible sur Netflix à partir du 10 mai prochain, suscite de vives réactions. Le motif ? L’actrice choisie pour incarner la reine est noire.

Mis à jour le 20 avril 2023 à 17:04
 
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Adele James interprète Cléopâtre dans Queen Cleopatra, de Jada Pinkett Smith. © Netflix 2023

 

 

Que celui qui sait à quoi ressemblait Cléopâtre VII, lève la main ! Aux yeux de tous ceux qui ne vécurent pas au premier siècle avant Jésus-Christ (nous sommes nombreux dans ce cas) la dernière reine d’Égypte, c’est une silhouette sur une pièce de monnaie, un visage taillé dans la pierre, un dessin de femme aux cheveux d’ébène… C’est Monica Bellucci dans Astérix et Obélix à la sauce d’Alain Chabat, en 2002, Elizabeth Taylor dans l’œil de Joseph Mankiewicz, en 1963, ou Amanda Barrie dans Arrête ton char Cléo de Gerald Thomas, en 1964.

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Derrière le petit comme le grand écran, Cléopâtre est une figure avec laquelle on a pris beaucoup de libertés. Tantôt personnage de comédies (Deux heures moins le quart avant Jésus Christ, 1982), de romances faites de déshabillés transparents (Les Nuits chaudes de Cléopâtre, en 1985), de films érotiques (Antoine et Cléopâtre, 1996). Mais à propos de la représentation de la dernière reine de la dynastie des Ptolémées, il y avait – note-t-on d’une récente polémique – une limite à ne pas franchir : changer sa couleur de peau.

Encore une histoire d’épiderme

Cette frontière vient d’être outrageusement dépassée, par la plateforme Netflix, que certains accusent (carrément) d’être « une machine à broyer l’histoire » (selon le site Breizh-Info). Il faut dire que la créatrice du documentaire Queen Cleopatra, Jada Pinkett Smith, a choisi Adele James, une actrice britannique à la peau noire, pour camper le rôle de la légendaire souveraine égyptienne. Alors qu’on le sait tous pour l’avoir vue de nos yeux, Cléopâtre était blanche, n’est-ce pas ?

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Sur les réseaux sociaux, l’accueil de cette bande-annonce n’est pas sans rappeler celui offert à Halle Bailey, interprète d’Ariel, la petite sirène. Certains avaient alors crié au « blackwashing », et voilà que le refrain reprend, avec la même déferlante de commentaires violents, de hashtags nauséabonds, dans ce théâtre de haine que peut être Twitter.

Netflix, ce livre d’histoire mensonger ?

Bercés de #woke, #wokeflix #Netflix_falsifying_history, #Cloepatrawasnotblack, Twitter nous apprend que Netflix est un mauvais livre d’histoire. En l’occurrence, c’est l’aspect documentaire qui dérange, et cette phrase, prononcée par une femme interviewée face caméra : « Je me fiche de ce qu’ils te diront à l’école : Cléopâtre était noire. » Pourtant, le physique de la dernière reine d’Égypte, comme ses origines, font encore aujourd’hui débat.

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Deux versions s’opposent : celle selon laquelle Cléopâtre était blanche, la plus commune. Née en 69 avant notre ère, elle fait partie de la dynastie macédonienne des Lagides. Elle est la fille de Ptolémée XII. Lorsque l’empire d’Alexandre le Grand est partagé, ce dernier installe la civilisation hellénistique sur les bords du Nil. À 17 ans, elle prend la suite de son père et devient à son tour représentante des Lagides, et règne sur l’Égypte. De fait, on lui attribue des origines européennes, et donc une peau claire.

Et son nez alors ?

L’autre version, élaborée en 2009, lui donne des origines africaines. Un documentaire de la BBC révèle alors les résultats d’une étude scientifique menée sur une momie en Turquie. Des restes humains, retrouvés dans un sarcophage, seraient a priori ceux d’Arsinoé IV, sœur de Cléopâtre VII. Et après avoir étudié son squelette, et plus particulièrement son crâne, les chercheurs sont arrivés à la conclusion qu’elle présente des caractéristiques africaines, laissant penser que ce serait aussi le cas de Cléopâtre.

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Mais pour l’heure, rappelons qu’il est impossible de vérifier, le sarcophage de la reine n’ayant jamais été retrouvé. Si sa couleur de peau fait débat, sur son nez aussi, les violons ont du mal à s’accorder. Tandis que Blaise Pascal écrit dans ses Pensées que « s’il eût été plus court, toute la face de la Terre aurait changé », les quelques portraits d’elle dont on dispose le présentent de manière assez classique.

Atteinte à l’identité égyptienne…

Quoi qu’il en soit, en Égypte, la bande-annonce laisse un goût franchement amer. Selon le média Egypt Independent, un avocat a porté plainte contre la plateforme et qualifié ce choix de « crime ». Il demande conjointement l’ouverture d’une enquête et l’interruption de l’accès à Netflix sur le territoire. Ce choix de casting viendrait porter atteinte à l’histoire, à la civilisation, et à l’identité égyptienne, en faisant la promotion de « l’afrocentrisme ».

En 2010 déjà, un feuilleton télévisé égypto-syrien, à propos de Cléopâtre, avait provoqué la colère du chef des antiquités égyptiennes, Zahi Hawass, qui le jugeait trop éloigné de la réalité. Alors même que son producteur expliquait n’avoir jamais eu l’intention de coller à l’histoire, mais simplement de présenter une facette de la personnalité de la reine… Toutefois, la plainte déposée contre Queen Cleopatra va bien au-delà du choix de son actrice : il y est inscrit que Netflix afficherait une majorité de contenus non « conformes aux valeurs et principes islamiques et sociétaux, en particulier égyptiens ».

Après Toutânkhamon, Paris accueille le pharaon Ramsès II et ses richesses

L’exposition « Ramsès II et l’or des pharaons », qui se tient sous la Grande halle de la Villette jusqu’au 6 septembre, présente de fabuleux trésors égyptiens et entend accueillir plus d’un million de personnes.

Mis à jour le 13 avril 2023 à 09:35
 
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Le cercueil de Ramsès II en cèdre. © Sandro Vannini, Laboratoriorosso/World Heritage Exhibitions

 

 

« Je dois être le dernier à parler ! Il faut que je parle en dernier »insiste un vieux monsieur en costume et cravate, près d’une des deux grandes déesses-chat argentées qui gardent l’estrade de la conférence de presse. Cet œil de faucon, ce visage taillé au burin, cette insistance pour avoir le dernier mot, le premier revenant protocolairement au ministre égyptien du Tourisme et des Antiquités : c’est bien Zahi Hawass, l’« Indiana Jones égyptien », la star des champs de fouilles qui a régné plus d’une décennie sur le Conseil suprême des Antiquités avant d’être poussé sur la touche par la révolution de 2011.

Le théâtral personnage a l’habitude de livrer aux caméras des révélations spectaculaires, parfois sans suite : chambre cachée intacte derrière le tombeau de Toutânkhamon, vastes espaces inconnus dans la pyramide de Khéops, découverte de la momie de la reine Néfertiti annoncée quatre fois en sept ans… De toutes ces merveilles, seule une cavité vide de neuf mètres au-dessus de l’entrée de la pyramide a pu être constatée jusqu’à présent !

Plus d’un million de visiteurs

Quelles surprises nous réserve-t-il, ce 6 avril, pour la présentation de l’exposition « Ramsès II, l’or des pharaons » qui se tient du 7 avril au 6 septembre, sous la Grande halle de La Villette à Paris ? C’est d’abord Ahmed Issa, le ministre venu du Caire en porte-étendard du plus fameux des pharaons, qui enchaîne les superlatifs et les révélations : « Pour la première fois le sarcophage de Ramsès quitte l’Egypte »; « 145 000 tickets ont été prévendus contre 130 000 à l’exposition-événement sur Toutânkhamon au même endroit et qui avait attiré le nombre record de 1,4 millions de visiteurs ». 

 

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Le buste en granit de Merenptah 2020 World Heritage Exhibitions Nouvel Empire, XIXe dynastie © World Heritage Exhibitions

 

 

 Le ministre souligne qu’il s’agit aussi de rendre hommage aux chercheurs français qui avaient accueilli la dépouille nue de Ramsès en 1976 et l’avaient sauvée d’une moisissure maligne. Nombre des objets de l’exposition ont déjà été montrés lors d’une tournée américaine, mais pour son passage à Paris, d’autres sont venus l’enrichir, comme cette momie de singe vert dont les commissaires annoncent l’apparition inédite. Côté révélations, la presse qui est présente massivement, reste un peu sur sa faim : l’Égypte présente officiellement l’ex-ministre du Tourisme et des Antiquités Khaled El-Enany comme candidat au secrétariat général de l’Unesco, où la Franco-Marocaine Audrey Azoulay achèvera son second mandat en 2025.

66 tombes au lieu de 64 dans la vallée des Rois

La tension monte quand Ahmed Issa annonce le calendrier d’ouverture du Grand musée d’Égypte à Guizeh, régulièrement repoussée depuis des années : « Nous devrions faire l’annonce de la date dans les deux mois à venir! » La tension s’affaisse. Mais Zahi Hawass, à qui l’on a laissé le mot de la fin, se charge de la faire remonter : « J’annonce pour la première fois qu’il n’y a pas 64 tombes dans la vallée des Rois mais 66 ; en septembre nous allons chercher le tunnel qui relie la tombe de Ramsès II à celle de son fils, nous serons alors sur le point de découvrir la tombe de Néfertiti et celle du grand architecte Imhotep ! Quant aux nouveaux résultats des scanners de la pyramide de Khéops, attendez-vous à des révélations! »

Africana Jones doit les réserver pour une autre occasion, car il tient à conclure par un vibrant discours de diplomatie culturelle, appelant à la restitution à l’Égypte de trois de ses trésors, la pierre de Rosette conservée à Londres, le zodiaque de Denderah qui est à Paris, et le buste de Néfertiti de Berlin. Les journalistes sont alors invités à aller contempler les trésors de pharaon.

Ramsès et la magie de l’or

L’exposition tiendra-t-elle sa promesse de splendeur ? Réunir en un titre les deux fantasmes de l’imaginaire universel que sont l’or et Ramsès II ne serait-il pas qu’un habile coup marketing destiné à attirer les foules vers quelques artefacts secondaires habilement mis en scène ? On voit en effet peu d’or dans les premières salles où un visage colossal de Ramsès en granit rose accueille le visiteur avec son sourire d’éternité. Son cartouche s’étale partout, sur la cime d’un petit obélisque tronqué, sur des fragments montrant ses ennemis de l’Est, de l’Ouest, du Nord et du Sud terrassés, sur un ostraca, fragment de pierre où est délicieusement esquissé le grand roi en train de conduire son char.

Enfin, sous le regard d’un beau sphinx en calcaire fin placé devant une vue du temple du Ramesseum de Louxor, l’éclat du métal imputrescible rayonne de trois plats et d’une petite aiguière finement ciselés. Les découvertes se succèdent : lourds colliers, bracelets incrustés de lapis-lazuli, couronne et poignard d’or et de pierres semi-précieuses d’une princesse, miroir d’argent, d’or et d’ébène de Sithathoryunet…

Cercueils à tête de faucon

Jusqu’à l’éblouissement, qui n’est pas d’or mais d’argent, et ne nous vient pas de Ramsès II mais de Sheshonq II qui vécut trois siècles plus tard : ses cercueils exceptionnels à tête de faucon, l’un en bois peint et doré, l’autre en argent massif. De magnifiques pièces du trésor de Tanis, capitale des pharaons des XXIème et XXIIème dynasties, ont ainsi accompagné les richesses de Ramsès à Paris.

La découverte des tombes royales de Tanis, en pleine seconde guerre mondiale, n’a pas reçu la publicité de celle de la tombe de Toutânkhamon en 1922 mais elle n’en fût pas moins remarquable. Comme le trésor de Toutânkhamon sera l’attraction majeure du Grand musée d’Égypte qui va ouvrir à Guizeh, ceux de Tanis seront le clou de l’exposition permanente du musée historique du Caire, place Tahrir. Leur présence à Paris est en effet exceptionnelle, et propre à ravir le plus accro des égyptomanes. L’or est bien là, comme la splendeur des pharaons, mise en valeur par une scénographie ambitieuse sans être prétentieuse. Les richesses exposées font aussi ressortir la beauté simple de la vedette de l’événement : le cercueil en bois de cèdre du Liban de Ramsès II. Aucune dorure, aucune pierre de couleur, à peine quelques traits de pinceaux viennent souligner les yeux et le tour de son beau visage, colorer ses sceptres, sa barbe postiche et le cobra qui se dresse sur son front. L’œuvre a été réalisée après un premier pillage de la tombe royale dans l’Antiquité et son dépouillement apparent a permis à Ramsès d’y reposer en paix pendant des millénaires, jusqu’à sa découverte, en 1881.

Néfertari, épouse favorite du pharaon-soleil

On se prend à philosopher sur la vanité du pouvoir, de la fortune et de la gloire en comparant le modeste cercueil du plus grand des pharaons, qui a régné 66 ans, eut presqu’autant d’enfants, a pacifié durablement de sa poigne armée l’orient de la Méditerranée et couvert son pays d’admirables monuments avec la richesse inouïe du cercueil de Toutânkhamon, obscur souverain oublié dès l’Antiquité.

Une visite immersive avec casque 3D des temples d’Abou Simbel et de la tombe de la belle Néfertari, épouse préférée du pharaon-soleil, complète cette visite très riche, mais nous ne pouvons vous en parler, l’auteur de ces lignes ayant préféré poursuivre son rêve éveillé par tant de splendeurs bien réelles.

9 avril 1938, un premier pas de la Tunisie vers l’indépendance

Il y a 85 ans, la population de Tunis descendait dans la rue à l’appel du Néo-Destour pour réclamer à la France des droits et la création d’un parlement représentatif. Une journée qui s’achèvera dans le sang, mais qui marque une date-clé dans la marche vers l’indépendance.

Par  - à Tunis
Mis à jour le 9 avril 2023 à 10:42
 

 

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Manifestation contre le Protectorat français, à Tunis, le 12 avril 1938. © AFP

 

 

9 avril 1938. La date sonne comme le titre d’un film, une journée particulière pour la Tunisie contemporaine. Ce jour-là, le pays s’est fédéré pour exprimer sa détermination à obtenir des droits confisqués par le Protectorat français.

85 ans plus tard, les revendications d’aujourd’hui semblent faire écho à celles d’hier, et le rapport du peuple au pouvoir est quasiment inchangé. Les Tunisiens d’alors réclamaient la restauration de l’économie, la fin des campagnes diffamatoires menées par La Dépêche tunisienne (le quotidien des colons) et la libération des détenus. Des demandes étrangement similaires à celles des militants politiques en 2023.

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En avril 1938, tout avait débuté par l’exaspération des Tunisiens face aux agissements des forces coloniales, qui disaient se sentir menacées par « la lie de la population ». Le pouvoir colonial se montrait alors franchement hostile aux nationaux, attisant les rancœurs entre les Tunisois et les Tunisiens des campagnes, jouant la carte des citadins, qu’il croyait acquis, contre un monde rural qui lui échappait.

Bourguiba vs Thaalbi

En France, le Front populaire avait fait son temps et entraîné dans sa chute le gouvernement de Léon Blum. On était à la veille d’un conflit mondial et les forces du Protectorat en Tunisie s’inquiétaient du rapprochement entre le Führer allemand, Adolf Hitler, et le président du Conseil italien, Benito Mussolini.

Cette fois et contrairement à ce qui s’était passé en 1914-1918, on pouvait penser que l’Italie, acquise au fascisme, ne serait pas dans le camp des alliés. Une situation d’autant plus inquiétante que la menace venant de Libye, elle-même colonie italienne, se précisait. En conséquence, les Français serraient la vis en Tunisie pour s’assurer du contrôle de la situation.

À LIRETunisie – 9 avril 1938 : ces héroïnes oubliées de la lutte nationale

C’était compter sans les forces politiques tunisiennes. Celles du Destour d’Abdelaziz Thaalbi et celle du Néo-Destour de Habib Bourguiba. Rivales, les deux organisations s’étaient lancées dans une surenchère, chacune espérant éliminer l’autre. Le Néo-Destour remporta le bras de fer et devint le leader de la cause nationaliste.

Dans les mois qui ont précédé le 9 avril, ce sont donc ses ténors qui ont allumé les feux de la contestation. Et même si des figures comme Slimane Ben Slimane et Youssef Rouissi sont arrêtées lors d’une tournée des cellules du parti, le mouvement n’en est que plus déterminé.

Bourguiba adopte des positions radicales. « Le pays est donc décidé à la lutte. Il est prêt aussi à tous les sacrifices que cette lutte comporte », écrit le leader en janvier 1938. Les dirigeants du parti se montrent récalcitrants, mais les militants sont enthousiastes.

L’appel à manifester est lancé pour le 8 avril et Tunis se mobilise. Le mot d’ordre imposant la fermeture des boutiques et des marchés est respecté. C’est dans la médina que tout va se jouer. La manifestation, conduite par les dirigeants du Néo-Destour, Ali Belhouane et Mahmoud Materi, avance à partir des faubourgs Nord et Sud de la vieille ville pour converger vers Bab Bhar (la Porte de la mer), à deux pas de la résidence générale.

Pacifique malgré les slogans forts invitant à la « lutte sans fin » prônée par Ali Belhouane, qui perdra son poste d’enseignant et deviendra une personnalité majeure du Néo-Destour. « Un parlement tunisien ! », scandent les manifestants, accompagnés des youyous lancés par les femmes depuis les balcons. Avant de se séparer, on prévoit une autre marche pour le 10 avril.

Le jour où tout bascula

Le 9 avril, rien n’est prévu. C’est pourtant ce jour-là que la situation bascule. Dans la matinée, une délégation du Néo-Destour réclame au Premier ministre des réformes et la libération des prisonniers politiques. Elle n’est pas entendue. « La colonisation nous a pris nos terres et nous sommes devenus des pauvres, des crèves-la-faim, nous devons continuer à nous réunir jusqu’à ce que nous obtenions satisfaction », écrit le militant Ali Darghouth.

Quand le bruit court qu’Ali Belhouane, responsable de la jeunesse du Néo-Destour, va être arrêté, la foule se dirige spontanément, suivant le tracé des anciens remparts devenu aujourd’hui le boulevard du 9-Avril, vers la place de La Kasbah. Coïncidence troublante : c’est depuis cette place que le mouvement dit « de La Kasbah II » obtiendra la mise en place d’une Constituante en 2011.

Munis de gourdins et d’armes de fortune, 7 000 manifestants réclament d’une seule voix au Bey et à l’autorité coloniale un parlement tunisien. Massés sur la place, ils se trouvent pris au piège lorsque des autos-mitrailleuses et deux colonnes de zouaves surgissent des boulevards Bab Benat et Bab Menara, et ouvrent le feu sur la foule. Il leur faudra quatre heures pour venir à bout de l’émeute.

Le bilan est lourd : 22 morts et 150 blessés. Tous deviennent des héros de la lutte nationale. À 19 heures, l’état de siège est décrété. Le rideau tombe sur une journée sanglante dont le Néo-Destour fera un élément central de son roman national.

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Le lendemain, Bourguiba et douze de ses proches, dirigeants du parti, sont arrêtés. Ils rejoignent Ali Belhouane et Mahmoud Materi, et seront bientôt rejoints par Tahar Sfar, Bahri Guiga et de nombreux militants. Ils sont près de 950 à être incarcérés. Le 12 avril, le Néo-Destour est dissout et la presse nationaliste suspendue. Rien n’est pourtant fini. Au contraire, tout commence.

Il y aura toujours, dans la lutte nationale un avant et un après 9 avril 1938, comme si le mépris de l’occupant avait resserré les rangs des militants pour l’indépendance et entretenu la ferveur de la population à l’égard des leaders de cette lutte. Désormais, le Néo-Destour est considéré comme la principale force indépendantiste.

Une guerre mondiale et dix-huit années de lutte nationale plus tard, la Tunisie est indépendante et conduite par le mouvement destourien. Chaque année, le 9 avril, la Tunisie honore ses héros, qui sont devenus des martyrs dans la mémoire collective, même si certains d’entre eux resteront à jamais anonymes.

Le photographe Adama Sylla, « capteur de magie » sénégalais

Figure de la photographie africaine, Adama Sylla est exposé pour la première fois à Paris, à la galerie Talmart, jusqu’au 22 avril. L’écrivain Elgas se remémore pour l’occasion la grande époque des studios photo, dans lesquels le doyen autodidacte a appris le métier.

Mis à jour le 8 avril 2023 à 10:37
 
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Par Elgas

Ecrivain et docteur en sociologie

 

 

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Dégrisement, Younes Baba-Ali. © Adama Sylla/courtesy galerie Talmart.

 

Jusqu’au début des années 2000, les studios photo étaient au Sénégal plus qu’une simple tradition. C’était un lieu de pèlerinage couru. Les conditions pour faire partie des heureux élus étaient plutôt démocratiques. Il fallait, que l’on soit femme, homme ou enfant, être juste bien mis, endimanché, solennel, avoir l’air seigneurial, ambassadeur, disons, de ce culte de l’élégance que la réputation attribue généreusement aux Sénégalais.

Les jours de fêtes (baptêmes, mariages, tabaski, korité…), le défilé des froufrous soignés s’achevait ainsi immanquablement dans un studio photo. Il fallait consigner l’esthétique nationale, l’archiver, en tirer quelques trésors pour les pèlerins.

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On pénétrait alors dans ces antres souvent exigus, modestement décorés, pour la grande confession picturale. On en sortait impatient de tenir enfin les portraits que l’on s’empresserait de glisser dans des albums, eux-mêmes prochainement présentés à la contemplation aux visiteurs des demeures familiales. Le studio était le sanctuaire le plus important de ce trajet auquel il offrait une mémoire. La photographie n’était pas une science, une technique, une affaire trop sophistiquée.

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Deux Sénégalaises élégamment vêtues. © Adama Sylla/courtesy galerie Talmart.

 

 

Un pays confessé à travers un regard

Pour beaucoup de photographes de ces époques qui paraissent si obscures et que nos joyeuses nostalgies ont tendance à embellir, tout s’apprenait sur le tas, à la force du poignet, de la témérité, dans la rusticité et la chaleur commune des épopées quotidiennes, avec auxiliaires, cobayes, assistants, qui formaient tous la famille du studio. Le photographe était comme le curé, l’imam, le maître d’école, il était un repère à peu de frais, avec une fonction sociale régulatrice. Le cliché ne devait être rien d’autre que la restitution de l’instant, qu’elle étirait tantôt en éternité, tantôt en spectacle fascinant qui fige le regard.

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En somme, une grammaire des émotions qui captait le fugace, ajoutait l’insolite, sublimait le rien, ennoblissait le cocasse, confessait un pays à travers un regard, une tenue, une rue, un bout de terre, une association d’éléments. Et pour chapeauter le tout :  la patte du photographe, ses obsessions, ses détails, s’épanouissant dans un regard attentif et créatif qui tord la magie du réel pour l’augmenter avec le talent de ne jamais révéler les secrets de l’ouvrage.

Autodidacte

Adama Sylla est de ceux-là, de ces photographes de quartier qui deviennent vite ceux de la ville et du pays par un concours heureux. Autodidacte, attaché à ce Saint-Louis bariolé, il est l’un de ces capteurs de magie les plus singuliers. Saint-Louis et ses visages, ses intérieurs, ses réfrigérateurs, ses salons, ses boutiques, ses rues, son fleuve et ses reflets métalliques ont trouvé une extension de leur périmètre de vie et d’épanouissement dans son studio.

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Adama Sylla, l'un des doyens de la photographie en Afrique. © Tex.

Les portraits défilent face à son objectif. Il en saisit l’essence, la majesté, l’indicible, les émotions, la folie, l’humour, les stations tragiques expurgées de leur venin, l’allégresse, avec une tonalité poétique unique, et un art du hors-champ qui vient en retrancher ou en ajouter du mystère. Tableaux défilants, film vivant qui raconte un pays, couleurs noires et blanches, la galerie est riche de ces nuances du réel.

À LIRESénégal : les nuances de noir du photographe Omar Victor Diop 

La somme de ces visages dit un bonheur presque perdu, un enchantement et une insouciance, les mêmes qui unissaient un pays et ses hommes, et qu’Adama Sylla a été l’un des seuls à mettre dans un écrin pour l’éternité. Il a capté le bonheur d’un pays.