« Queen Cleopatra » : la reine d’Égypte était-elle noire ?

La bande-annonce du documentaire sur Cléopâtre « Queen Cleopatra », disponible sur Netflix à partir du 10 mai prochain, suscite de vives réactions. Le motif ? L’actrice choisie pour incarner la reine est noire.

Mis à jour le 20 avril 2023 à 17:04
 
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Adele James interprète Cléopâtre dans Queen Cleopatra, de Jada Pinkett Smith. © Netflix 2023

 

 

Que celui qui sait à quoi ressemblait Cléopâtre VII, lève la main ! Aux yeux de tous ceux qui ne vécurent pas au premier siècle avant Jésus-Christ (nous sommes nombreux dans ce cas) la dernière reine d’Égypte, c’est une silhouette sur une pièce de monnaie, un visage taillé dans la pierre, un dessin de femme aux cheveux d’ébène… C’est Monica Bellucci dans Astérix et Obélix à la sauce d’Alain Chabat, en 2002, Elizabeth Taylor dans l’œil de Joseph Mankiewicz, en 1963, ou Amanda Barrie dans Arrête ton char Cléo de Gerald Thomas, en 1964.

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Derrière le petit comme le grand écran, Cléopâtre est une figure avec laquelle on a pris beaucoup de libertés. Tantôt personnage de comédies (Deux heures moins le quart avant Jésus Christ, 1982), de romances faites de déshabillés transparents (Les Nuits chaudes de Cléopâtre, en 1985), de films érotiques (Antoine et Cléopâtre, 1996). Mais à propos de la représentation de la dernière reine de la dynastie des Ptolémées, il y avait – note-t-on d’une récente polémique – une limite à ne pas franchir : changer sa couleur de peau.

Encore une histoire d’épiderme

Cette frontière vient d’être outrageusement dépassée, par la plateforme Netflix, que certains accusent (carrément) d’être « une machine à broyer l’histoire » (selon le site Breizh-Info). Il faut dire que la créatrice du documentaire Queen Cleopatra, Jada Pinkett Smith, a choisi Adele James, une actrice britannique à la peau noire, pour camper le rôle de la légendaire souveraine égyptienne. Alors qu’on le sait tous pour l’avoir vue de nos yeux, Cléopâtre était blanche, n’est-ce pas ?

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Sur les réseaux sociaux, l’accueil de cette bande-annonce n’est pas sans rappeler celui offert à Halle Bailey, interprète d’Ariel, la petite sirène. Certains avaient alors crié au « blackwashing », et voilà que le refrain reprend, avec la même déferlante de commentaires violents, de hashtags nauséabonds, dans ce théâtre de haine que peut être Twitter.

Netflix, ce livre d’histoire mensonger ?

Bercés de #woke, #wokeflix #Netflix_falsifying_history, #Cloepatrawasnotblack, Twitter nous apprend que Netflix est un mauvais livre d’histoire. En l’occurrence, c’est l’aspect documentaire qui dérange, et cette phrase, prononcée par une femme interviewée face caméra : « Je me fiche de ce qu’ils te diront à l’école : Cléopâtre était noire. » Pourtant, le physique de la dernière reine d’Égypte, comme ses origines, font encore aujourd’hui débat.

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Deux versions s’opposent : celle selon laquelle Cléopâtre était blanche, la plus commune. Née en 69 avant notre ère, elle fait partie de la dynastie macédonienne des Lagides. Elle est la fille de Ptolémée XII. Lorsque l’empire d’Alexandre le Grand est partagé, ce dernier installe la civilisation hellénistique sur les bords du Nil. À 17 ans, elle prend la suite de son père et devient à son tour représentante des Lagides, et règne sur l’Égypte. De fait, on lui attribue des origines européennes, et donc une peau claire.

Et son nez alors ?

L’autre version, élaborée en 2009, lui donne des origines africaines. Un documentaire de la BBC révèle alors les résultats d’une étude scientifique menée sur une momie en Turquie. Des restes humains, retrouvés dans un sarcophage, seraient a priori ceux d’Arsinoé IV, sœur de Cléopâtre VII. Et après avoir étudié son squelette, et plus particulièrement son crâne, les chercheurs sont arrivés à la conclusion qu’elle présente des caractéristiques africaines, laissant penser que ce serait aussi le cas de Cléopâtre.

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Mais pour l’heure, rappelons qu’il est impossible de vérifier, le sarcophage de la reine n’ayant jamais été retrouvé. Si sa couleur de peau fait débat, sur son nez aussi, les violons ont du mal à s’accorder. Tandis que Blaise Pascal écrit dans ses Pensées que « s’il eût été plus court, toute la face de la Terre aurait changé », les quelques portraits d’elle dont on dispose le présentent de manière assez classique.

Atteinte à l’identité égyptienne…

Quoi qu’il en soit, en Égypte, la bande-annonce laisse un goût franchement amer. Selon le média Egypt Independent, un avocat a porté plainte contre la plateforme et qualifié ce choix de « crime ». Il demande conjointement l’ouverture d’une enquête et l’interruption de l’accès à Netflix sur le territoire. Ce choix de casting viendrait porter atteinte à l’histoire, à la civilisation, et à l’identité égyptienne, en faisant la promotion de « l’afrocentrisme ».

En 2010 déjà, un feuilleton télévisé égypto-syrien, à propos de Cléopâtre, avait provoqué la colère du chef des antiquités égyptiennes, Zahi Hawass, qui le jugeait trop éloigné de la réalité. Alors même que son producteur expliquait n’avoir jamais eu l’intention de coller à l’histoire, mais simplement de présenter une facette de la personnalité de la reine… Toutefois, la plainte déposée contre Queen Cleopatra va bien au-delà du choix de son actrice : il y est inscrit que Netflix afficherait une majorité de contenus non « conformes aux valeurs et principes islamiques et sociétaux, en particulier égyptiens ».