La paléontologie, un cas de colonialisme scientifique

Analyse

Développée lors des expéditions coloniales au XIXe siècle, la paléontologie ne s’est pas délestée de ses tares coloniales, révèle une étude parue dans la revue scientifique Nature Ecology and Evolution. La collecte inégale de fossiles sur la planète fausse la compréhension de l’évolution passée de la biodiversité.

  • Marie Verdier, 
La paléontologie, un cas de colonialisme scientifique
 
Les chercheurs des pays à revenus élevés ont fourni au cours des trente dernières années 97 % des données fossiles répertoriées dans la base de données de paléobiologie (PBDB).GULSHAN KHAN/AFP
    •  En anglais, on l’appelle « parachute science », la science parachute. À savoir celle pratiquée par des chercheurs des pays développés du Nord qui mènent leurs travaux dans des pays du Sud, y collectent données, échantillons ou fossiles qu’ils embarquent dans leurs laboratoires, sans nullement impliquer les scientifiques des pays concernés. C’était le mode de fonctionnement des expéditions scientifiques des XVIIIe et XIXe siècles, à l’origine de fabuleuses découvertes et de constitutions d’inestimables collections dans les muséums d’histoire naturelle.

Cette pratique est loin d’avoir disparu. Ainsi la paléontologie, dont la recherche dépend de la collecte d’archives fossiles, repose encore beaucoup sur une démarche néocoloniale, non sans de multiples effets délétères, comme l’analyse une équipe internationale dans son étude « L’histoire coloniale et l’économie mondiale déforment notre compréhension de la biodiversité des temps anciens », parue dans la revue scientifique Nature Ecology and Evolution, le 30 décembre 2021.

Un indice de parachutisme

Ainsi, les chercheurs des pays à revenus élevés détiennent un monopole de la production de la connaissance. Au cours des trente dernières années, ils ont fourni 97 % des données fossiles répertoriées dans la base de données de paléobiologie (PBDB). Les États-Unis, à eux seuls, en ont fourni plus d’un tiers. Ils sont suivis par l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France, chacun y contribuant pour plus de 10 %, pour des recherches menées majoritairement à l’étranger.

Or, près de la moitié de ces dernières n’implique aucun chercheur local. C’est encore sans compter les recherches menées dans les territoires d’outre-mer anciennement colonisés, comme la Polynésie française, où la population autochtone contribue rarement, si ce n’est jamais, aux travaux scientifiques.

Les auteurs de l’étude, allemands, britanniques, sud-africains, brésiliens et indiens, ont développé un « indice de parachutisme ». Sans surprise, de nombreux pays africains sont des cibles de la science parachute. Et le lien est clair avec l’histoire coloniale. Ainsi, les Français affectionnent le Maroc, la Tunisie et l’Algérie où ils totalisent un quart des recherches, les Allemands se tournent vers la Tanzanie (17 % des recherches), les Britanniques vers l’Égypte et l’Afrique du Sud (10 % des recherches).

La pratique a dépassé les frontières des anciens territoires coloniaux pour se mondialiser. Quelques pays sont particulièrement prisés, le Myanmar (Birmanie) et la République dominicaine, notamment pour les inclusions fossiles dans l’ambre, le Maroc, la Mongolie et le Kazakhstan pour les fossiles de vertébrés.

Des centres régionaux de connaissances paléontologiques ont émergé

Certains centres régionaux de connaissances paléontologiques ont toutefois émergé, notamment en Chine, en Inde, en Argentine, au Brésil ou au Mexique. Ces pays se dotent de législation pour enrayer les exportations de fossiles et faire participer leurs scientifiques aux recherches internationales. Les contributions de ces derniers ont augmenté ces trente dernières années.

Le colonialisme scientifique en paléontologie reste toutefois prégnant, estiment les auteurs. Il accentue le biais d’échantillonnage qui déforme la représentation de la biodiversité passée en privilégiant certaines zones de recherche. Un biais qui s’ajoute aux facteurs géologiques ou taphonomiques (science de l’enfouissement menant à la fossilisation), qui font que les restes fossiles sont incomplets et inégalement répartis sur la planète. Or, il s’agit là d’un important facteur de distorsion des interprétations de la dynamique de la biodiversité mondiale au cours du Phanérozoïque (ces derniers 541 millions d’années pendant lesquelles s’est développée la vie animale).

D’autres disciplines concernées

Enfin, la dimension coloniale persiste, tout d’abord parce que les collections sont conservées dans les pays du Nord et que celles-ci demeurent une source précieuse pour les recherches actuelles, mais guère accessibles aux chercheurs du Sud. Et aussi parce qu’elle entrave le développement d’une recherche propre dans ces pays.

La paléontologie n’est toutefois pas l’apanage du colonialisme scientifique. En février 2021, la revue Current biology s’inquiétait du même travers dans le domaine de la science marine. Elle constatait que, depuis cinquante ans, 40 % des publications sur les récifs coralliens, parmi les points chauds de biodiversité de la planète, au large des Philippines ou de l’Indonésie, n’incluaient pas de chercheurs locaux.