[Série] Ouattara-Bédié, acte II : le pacte face à Laurent Gbagbo

| Par - à Abidjan
Affiches électorales pour la présidentielle de 2015. À l’époque, Bédié avait appelé à voter pour Ouattara.

Affiches électorales pour la présidentielle de 2015. À l’époque, Bédié avait appelé à voter pour Ouattara. © Sylvain Cherkaoui pour JA

 

« Ouattara-Bédié : le dernier combat » (2/3) – Dans les années 2000, alors que la Côte d’Ivoire est coupée en deux, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié vont sceller une alliance de circonstance face à Laurent Gbagbo.

C’est l’histoire d’une alliance de raison, d’un mariage séduisant mais voué à l’échec tant il n’était que de façade. En septembre 2002, des rebelles venus du nord de la Côte d’Ivoire ont échoué à faire tomber le régime de Laurent Gbagbo, vainqueur de la présidentielle de 2000. Depuis, le pays est coupé en deux et la diplomatie tente faire taire les balles. En mars 2003, Accra doit abriter un second round de négociations sous la houlette du président John Kufuor, mais elles patinent.

La brouille entre Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié n’en est pas l’unique raison, mais cela joue. Car si leurs épouses ont déjà brisé la glace, les deux hommes ne s’adressent pas la parole ou si peu. « Tous les problèmes que j’ai, c’est à cause de Bédié », répète Ouattara. Cette situation n’a que trop duré, estiment plusieurs acteurs importants de la crise.

L’acte fondateur

Dans la capitale ghanéenne, Ouattara et Bédié sont logés dans la même résidence hôtelière. Leurs chambres se font face. Un soir, avant le début du dialogue, Seydou Diarra, désormais Premier ministre, se rend dans celle de Ouattara. Il le prend par la main, l’exhorte à faire un geste et à aller voir son rival : « Il ne peut pas y avoir de réconciliation si vous ne vous parlez pas », insiste-t-il. « Je ne suis pas en costume, va-t-il me recevoir ? », répond finalement Ouattara. Il traverse le couloir, pénètre dans la chambre de Bédié et n’en ressortira que plusieurs heures plus tard. L’abcès est crevé. Les négociations peuvent avancer. C’est l’acte fondateur de leur réconciliation.

« Elle s’est faite au nom de leur détestation commune pour Gbagbo. Ils ont compris que c’est leur rivalité qui lui avait permis d’émerger », précise à « Jeune Afrique » un homme qui les connaît bien.

Soutenue par la France, cette volonté de mettre fin au régime de Laurent Gbagbo donnera naissance, en mai 2005, à Paris, au Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), qui n’est pas encore le parti unifié que l’on connaît mais un groupement de formations où se retrouvent le PDCI, le RDR, l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI) d’Albert Mabri Toikeusse et le Mouvement des forces d’avenir (MFA) d’Innocent Anaky Kobéna.

https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">

OUATTARA LE SAIT : JAMAIS IL NE L’AURAIT EMPORTÉ AU SECOND TOUR FACE À GBAGBO SI BÉDIÉ N’AVAIT PAS APPELÉ À VOTER POUR LUI

Alassane Ouattara arrive finalement au pouvoir en avril 2011 à l’issue d’une grave crise postélectorale. Pendant des semaines, alors que les combats font rage à Abidjan, Bédié reste à l’hôtel du Golf, où Ouattara et son entourage ont établi leurs quartiers. Il demeure souvent cloîtré dans sa chambre, où il se fait ravitailler en cigares, mais c’est un symbole fort, que son ancien rival apprécie. Alassane Ouattara le sait : jamais il ne l’aurait emporté au second tour face à Laurent Gbagbo si Bédié, arrivé officiellement troisième à l’issue du premier tour, n’avait pas appelé à voter pour lui.

Rien n’est gratuit

Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié, à Abidjan, le 16 décembre 2014.
Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié, à Abidjan, le 16 décembre 2014. © REUTERS/Thierry Gouegnon

Tout cela à tout de même un prix. En politique, rien n’est gratuit. Bédié est régulièrement consulté, parfois associé à la gestion des affaires publiques. On l’honore, il est choyé. En plus de ses indemnités d’ancien chef d’État, la présidence lui verse plusieurs dizaines de millions de francs CFA – certaines sources avancent le chiffre invérifiable de 100 millions de francs CFA (150 000 euros) – tous les mois.

Plusieurs membres de sa famille sont nommés dans les grandes sociétés d’État ou à la primature. Une grande partie de son protocole est prise en charge. Certains de ses collaborateurs émargent dans des ministères ou des grandes institutions. Et quand Bédié s’envole pour la France pour son séjour annuel, ou qu’il se rend au Ghana pour rencontrer le roi des Ashantis, c’est à bord d’un avion de la flotte de l’État. Dans les couloirs de la présidence, l’on dit alors que « Bédié est gavé comme une oie ».

La relation entre Bédié et Ouattara prend un nouveau virage le 17 septembre 2014. Ce jour-là, sur une place de Daoukro bondée comme jamais, le Sphinx appelle son parti à voter pour Ouattara dès le premier tour de la présidentielle de 2015. Dans les rangs du PDCI, c’est la stupeur. « L’objectif, c’est d’aboutir à un parti unifié, étant entendu que ces deux formations sauront établir entre eux l’alternance au pouvoir dès 2020 », poursuit Bédié. Personne n’a été mis dans la confidence, mais les deux hommes ont scellé un pacte trois jours plus tôt, en présence de Guillaume Soro. Il n’y en aura aucune trace écrite, et il porte en lui les ingrédients de leur future discorde.

« Cela avait déjà été le cas dans l’entre-deux-tours de la présidentielle de 2010, rappelle un important responsable du RHDP. Des documents avaient été préparés pour officialiser la répartition des postes avec le nombre de ministres, de directeurs généraux et d’institution accordés au PDCI. Mais ils n’ont jamais été signés. »

Simple imprudence ou nouvel épisode du jeu de dupes qui oppose deux briscards de la politique ? Il prendra en tout cas fin quelques années plus tard sur l’autel du parti unifié, pourtant initialement souhaité aussi bien par Ouattara que par Bédié. Bientôt, le contact sera bientôt rompu. « Dans cette histoire, chacun porte sa part de responsabilité », analyse un ancien cadre du parti aujourd’hui membre du gouvernement.