[Édito] Vous avez dit indépendance ?

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Mis à jour le 06 septembre 2020 à 16h42
Des Congolais célèbrent la déclaration d’indépendance, le 7 janvier 1960 à Leopoldville.

Des Congolais célèbrent la déclaration d’indépendance, le 7 janvier 1960 à Leopoldville. © Bettmann/GettyImages

En ce soixantième anniversaire de la décolonisation en Afrique subsaharienne, le cœur n’est pas à la fête. De cette émancipation en trompe-l’œil, qu’y a-t-il vraiment à célébrer ?

Les indépendances « francophones » ont eu leurs héros, leurs martyrs, leurs chansons, leurs pères abusifs et leur lot de discours. Soixante années plus tard, chacun à la date qui lui est propre, les quatorze pays concernés (quinze avec la RD Congo) réenchantent ce passé-là, le temps d’une journée de commémoration.

Le cœur y est-il vraiment ? Rien n’est moins sûr. D’abord parce que la pandémie de Covid-19 a contraint les commémorations au format minimal, confinant fanfares, groupes d’animation, militaires en tenue et fêtards du soir loin de l’espace public.

Ensuite – et surtout – parce que plus le temps passe et plus les générations successives nées après 1960 s’aperçoivent qu’il n’y a pas grand-chose à célébrer dans ce qui fut avant tout une indépendance du drapeau et une décolonisation formelle, débouchant sur une dépendance savamment fabriquée autant que prédéterminée.

Il y a soixante ans, la France quittait ses colonies d’Afrique subsaharienne pour mieux y rester, laissant place à la coopération, ce système franco-­africain « où chacun jouera son rôle », disait Charles de Gaulle, pour le plus grand profit économique et diplomatique de l’ex-puissance tutélaire.

Il y a soixante ans, Félix Houphouët-Boigny, qui, à l’instar de la totalité des pères de l’indépendance (à l’exception de Sékou Touré), avait deux années plus tôt fait le choix de la communauté franco-­africaine avant d’y renoncer la mort dans l’âme devant le cynisme gaullien, avait ces mots pour prendre congé de la France : « Au moment où, devenus majeurs, nous allons quitter la maison familiale où nous avons été souvent gâtés, parfois réprimandés […], nous n’avons pas le sentiment d’oublier tout ce que nous avons reçu d’elle. »

Décolonisation en trompe-l’œil

Il y a soixante ans, après avoir constaté que « les exigences des indigènes pour leur progrès social se sont élevées » et que la poursuite de la colonisation directe allait par voie de conséquence entraîner « de gigantesques dépenses de mise à niveau économique et social », le général de Gaulle confiait à son collaborateur Alain Peyrefitte : « Le profit a cessé de compenser les coûts ; puisque la colonisation coûte si cher, pourquoi la maintenir ? »

Et pourquoi ne pas la remplacer par cette autre forme de domination qui perdurera jusqu’aux années 1990, et même au-delà, dont le franc CFA est l’un des symboles forts, infiniment plus avantageuse en matière de bénéfices privés et de rentabilité géopolitique pour la France ?

De cette décolonisation en trompe-l’œil, où ce qui était bon pour la France ne pouvait qu’être bon pour l’Afrique, Jacques Foccart veillant sur cette « heureuse » coïncidence, où les récalcitrants étaient punis et les acteurs locaux des turpitudes incestueuses de la « Françafrique » dûment récompensés, où l’ex-métropole contrôlait des pans entiers de la souveraineté de ses anciennes possessions, qu’y a-t-il, effectivement, à glorifier ? Bien peu de chose.

Loin des Soleils des indépendances rêvés par Ahmadou Kourouma, loin de L’Afrique noire est mal partie, livre acide et lucide de René Dumont, deux œuvres phares de ces années-là, l’indépendance, la vraie, se conquiert depuis, au jour le jour, de Dakar à Brazzaville.