Ce jour-là : le 24 février 1971,
Houari Boumédiène annonce la nationalisation
des hydrocarbures

 

Suite au refus des compagnies pétrolières françaises de renégocier les prix, le président Houari Boumédiène prend la décision, déjà amorcée, de nationaliser les hydrocarbures algériens. Retour sur ce tournant de l'histoire algéro-française, neuf ans après l'indépendance.

« Il serait plus équitable, pour les investissements dans la recherche pétrolière, que les profits réalisés dans notre pays soient au moins dépensés sur place ! » Ces paroles, prononcées le 24 février 1971 par Houari Boumédiène amorcent la « décolonisation pétrolifère  », selon les termes de Benjamin Stora, professeur d’histoire du Maghreb contemporain dans son ouvrage Histoire de l’Algérie depuis l’indépendance (éd. La Découverte, 1994).

À compter de cette date, l’ensemble des gisements naturels de gaz et de pétrole, tout comme les oléoducs et les gazoducs, sont nationalisés.

Un monopole pour la Sonatrach

En devenant le propriétaire exclusif des richesses du sol et du sous-sol, l’État algérien abandonne le système des concessions au profit d’une prise de contrôle à 51 % des deux sociétés pétrolières françaises présentes, Elf (anciennement Erap) et Total (CFP). Suite à cette décision, seul Total, implanté sur le territoire algérien depuis 1952,  y reste.

La Société nationale pour la recherche, le transport, la transformation et la commercialisation des hydrocarbures (Sonatrach) détient le monopole sur l’exercice des activités pétrolières à travers l’exclusivité des permis de recherche et concessions d’exploitation. Benjamin Stora voit dans cet acte « une radicalisation des choix stratégiques du pouvoir au plan politique  ».

Nationalisation des activités américaines

À l’indépendance, en 1962, la souveraineté de l’Algérie sur le Sahara et ses richesses naturelles est reconnue par des accords de concessions, renouvelés par l’accord d’Alger, le 29 juillet 1965. Ces accords stipulent que les sociétés Total et Elf doivent reverser à l’État algérien une partie de leurs bénéfices sous forme d’investissements ou d’impôts directs.


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La création de la Sonatrach, le 31 décembre 1963, ouvre un nouvel horizon aux intérêts français. Alger détient alors 4,5 % des périmètres d’exploration, quand les valeurs françaises atteignent 67,5 %. 

"La souveraineté de l’Algérie sur le Sahara et ses richesses naturelles

est reconnue par des accords de concessions"

Après la guerre des Six-Jours en juin 1967, l’Algérie prend la décision de nationaliser les activités américaines de raffinage-distribution de Mobil et Esso. En août 1968, la Sonatrach bénéficie d’une série d’opérations qui lui donne le monopole de la commercialisation des produits pétroliers et le contrôle de l’ensemble du secteur pétrochimique.

Chute des investissements français

Subséquemment, la compagnie algérienne signe un accord le 19 octobre 1968 avec Getty Oil (américaine) qui restitue à la Sonatrach 51 % de ses intérêts en Algérie. Suite à cette entente, « les revendications à l’encontre des compagnies françaises se font plus pressantes  » remarque Benjamin Stora.

D’autant plus qu’en 1969 le pétrole algérien représente 20% de la production de Total, et 79 % de la production d’Elf. Près du tiers du pétrole utilisé par l’économie française provient des gisements sahariens, avec 25,4 millions de tonnes, ce qui fait de l’Algérie le premier fournisseur de la France, loin devant l’Irak et la Libye.

Après l’accord avec Getty Oil, Alger dénonce le non-respect des accords algéro-français, chiffre à l’appui : les investissements français chutent de 363 millions de dinars en 1965 à 198 millions en 1968.

Au 30 janvier 1969, la redevance de l’impôt pour les sociétés françaises doit faire l’objet d’une révision, mais est repoussé. Un fait que Boumédiène ne manque pas de rappeler lors de son discours du 24 février 1971 : « les Français ne voulaient pas rediscuter les prix. Nous avons donc pris la décision en tant qu’État souverain et libre, de fixer les prix nous-mêmes. À partir de ce jour, le prix [du baril] passe de 2,08 dollars à 2,85 dollars.  »

"Nous avons pris la décision, en tant qu’État souverain et libre,
de fixer les prix nous-mêmes"

Hausses des redevances et impôts

Après l’annonce de la nationalisation, les entreprises étrangères, quelle que soit leur nationalité, ne peuvent plus investir dans des activités de recherche et de production des hydrocarbures liquides sans y associer la Sonatrach. Pour des raisons fiscales, les entreprises doivent également créer une société de droit algérien afin de bénéficier de ces avantages.

Des hausses sur les redevances et les impôts se font graduellement en 1974 et 1975, pour atteindre 20 % sur les hydrocarbures liquides, 5 % pour les hydrocarbures gazeux, et 85 % pour le taux d’impôt direct pétrolier sur les bénéfices de la Sonatrach. 

Le prix de référence, base de calcul de la redevance et des impôts, est désormais dicté par l’État algérien, ce qui crée un lourd contentieux avec la France.

Un exemple inspirant

Depuis les années 1970, la dépendance de l’Algérie aux hydrocarbures n’a cessé d’augmenter. La part de la Sonatrach dans la production de pétrole passe de 31 % en 1970 à 56 % en 1971 pour atteindre 82 % en 1980. Dans le courant des années 2000, le secteur représente 40 % du PIB algérien.


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"L’étatisation des hydrocarbures est la continuité
du recouvrement de l’indépendance nationale"

En 2013, Youcef Yousf,i alors ministre de l’Énergie, revient sur cet acte fondateur, qui constitue « la continuité du recouvrement de l’indépendance nationale. Il y a une indépendance politique acquise en 1962, [qui] devait se traduire par une révolution dans le domaine du développement économique et social. Les nationalisations des ressources naturelles, que ce soit [par] les mines puis ensuite les hydrocarbures, [qui] ont donné au pays les moyens de se développer. »