La Religion traditionnelle est-elle une réalité du passé ?

par Monsieur l’Abbé Jean-Joseph Fané

responsable du séminaire de Koulikoro

Samedi 02 avril 2005


INTRODUCTION : QU'EST-CE QUE LA RELIGION ?

1. Considération générale sur le thème de la conférence

Je commence cette conférence en disant que de toutes les conférences auxquelles vous avez participé ici, celle de ce matin risque d'être la moins intéressante, car le conférencier n'a aucune expérience interne du sujet dont il parle. N'étant ni sociologue ni anthropologue, tout ce qu'il partagera avec vous ne sera que le fruit de l'observation et de l'écoute ainsi que le fruit des lectures des livres qui abordent le sujet. D'avance, je présente donc mes excuses à ceux qui maîtrisent ce sujet plus que moi dans l'auditoire. Je leur dis que je ne suis qu'un enfant dans le domaine de la religion traditionnelle et que si j'abuse du langage, ils ne m'en tiennent pas rigueur. Cette précision faite, nous commencerons par dire, que pour aborder notre thème de ce matin, nous avons pensé qu'il serait important, même judicieux, de voir le sens de la religion afin d'y découvrir toutes les significations possibles.

2. Définition de la religion :

  • Définition :

L'Étymologie de la religion est discutée depuis l'antiquité. De Cicéron, qui la rattache au verbe religere, à A. Ernout et A Meillet qui préfèrent religio, une dérivation de religare, dans leur Dictionnaire étymologique de la langue latine (Paris, 1932), plusieurs réflexions et définitions ont été données sur ce mot. De tout ceci, nous pouvons admettre, avec le Père de Grandmaison, la synthèse liminaire donnée par Morris Jastrow avant d'essayer de donner une définition finale.

Pour Morris Jastrow, « la religion se compose de trois éléments :

  1. la reconnaissance d'un pouvoir ou de pouvoirs qui ne dépendent pas de nous ;

  2. un sentiment de dépendance à l'égard de ce ou de ces pouvoirs ;

  3. l'entrée en relation avec ce ou ces pouvoirs.


Si l'on réunit ces trois éléments dans une seule proposition on peut définir la religion comme la croyance naturelle à un ou à des pouvoirs qui nous dépassent, et à l'égard desquels nous nous sentons dépendants, croyance et sentiment qui produisent chez nous :

    1. une organisation (communauté) ;

    2. des actes spécifiques (des rites) ;

3. une réglementation de la vie ayant pour but d'établir des relations favorables entre nous mêmes et le ou les pouvoirs en question (des Lois) ». (Morriss Jastrow, The Study of religion, New York, 1901, p. 170) Cité par le P. De Grandmaison, dans Christus, 2e éd., 1916, p. 6).


  • Les éléments constitutifs de la religion :

Si on veut analyser les divers éléments de la religion, on y constate que l'âme y est intéressée dans toutes ses fonctions principales.

  1. Il y a un sentiment religieux qui rassemble deux éléments dans son contenu qualitatif : le mystérieux qui a un élément répulsif (le tremendum auquel se rattache la majestas) et qui exerce en même temps un attrait particulier, qui captive, fascine et forme avec l'élément répulsif une étrange harmonie de contrastes (Rudolf Otto, Le Sacré, 1ère Ed. allemande, 1917, p. 57).

  1. Il y a dans toute religion un corps de doctrine au moins ébauché et qui tend, tout au moins, à devenir obligatoire. C'est l'élément intellectuel de la religion (Émile Boutroux, Science et religion, Paris, 1908, p.384)

  2. Toute religion impose à l'homme un certain nombre de règles pratiques, règles qui ne sont pas simplement des injonctions de la société ou de la conscience individuelle, mais « des commandements de Dieu ». P. de Grandmaison, Christus, p. 8).

  3. Enfin toute religion se traduit par un culte et des rites. Ceci d'abord est un fait, facile à constater, et c'est également une nécessité à la fois psychologique et sociale. (Émile Boutroux, Science et religion, p. 338.)


  • Conclusion :


De tout cela, nous pouvons tirer cette conclusion que la religion est l'ensemble des croyances, des sentiments, des règles et des rites, individuels ou collectifs, visant (ou imposés par) un Pouvoir que l'homme tient actuellement pour souverain, dont il dépend par conséquent, avec lequel il peut entrer (ou mieux : il est entré) en relations personnelles. Plus brièvement, la religion est la conversation de l'homme, individuel et social, avec son Dieu - Christus, p. 10.

Pour terminer avec la définition de la religion, nous pouvons dire que la somme des connaissances accumulées, en Afrique et ailleurs a beaucoup progressé, malgré les erreurs et les redites, depuis Durkheim. Et curieusement, il semble que la réflexion théorique en matière d'anthropologie religieuse n'ait pas avancé du même pas. S'il faut en croire un anthropologue américain, Clifford Geertz, « l'étude anthropologique de la religion se trouve en fait dans un état de complète stagnation » et tout l'apport contemporain aux travaux antérieurs, dominés par les noms de Durkheim, de Weber , de Freud, de Malinowski, consiste « seulement [à] quelques corrections marginales nécessitées par la tendance naturelle à l'excès des esprits créateurs ou par la masse croissante des données descriptives » (Louis Vincent THOMAS, René LUNEAU, La Terre africaine et ses religions, Paris, L'Harmattan, 1980, 18). Face à cette définition, que devons-nous dire ? La Religion Traditionnelle ou les Religions Traditionnelles ?


I - ORIGINES ET BASES DE LA RELIGION TRADITIONNELLE AFRICAINE


Aux origines des religions traditionnelles, il y a la vie. Et d'après les principaux traits de l'animisme de Burnett Tylor, professeur à Oxford (ouvrage, Primitive culture, Londres 1872), quatre constats de la vie peuvent expliquer ses origines.

1. L'homme vivant se forme premièrement à l'idée de quelque chose de différent du corps, l'âme. Il y est acheminé par la considération des deux groupes de faits biologiques : d’une part le sommeil, le ravissement, la maladie et la mort ; d'autre part, les rêves et les visions.

Les premiers révèlent à l'homme primitif un état du corps abandonné plus ou moins par le principe vital et laissé à lui-même. Les seconds lui font voir ce principe incorporel, l'âme, exerçant en pleine indépendance certaines activités. L'idée d'âme ainsi obtenue ne vaut originairement que pour l'homme. Elle s'enrichit bientôt de la foi en la survie de l'âme après la mort et en des migrations de l'âme (1e édit., t.l, p.377 sq. ; t. II, p. 5, sq, p. 76 sq. (Séparation corps et âme : Dualité)

2. Pour l'homme primitif, son être personnel était le type de tous les autres. N'ayant l'expérience intime que de soi-même, il concevait tout le reste d'après son propre cas, spécialement les animaux et les plantes, qu'il imaginait composés comme lui d'un corps et d'une âme. La condition des autres êtres ne pouvait non plus être différente. Cette identique constitution étant supposée, l'idée d'une diversité de nature entre l'homme et les autres êtres n'entrait pas dans son esprit. Lui et eux étant apparentés (Ibid., t. II, p. 99 sq.). Cela peut expliquer la relation de respect et de vénération envers les éléments de la création.

3. Le culte des ancêtres, c'est-à-dire de devanciers qui, n'ayant plus de corps terrestre, représentaient de purs esprits, conduisit l'homme à la notion d'esprits séparés. Ces esprits pouvaient à leur gré prendre possession, fut-ce pour un temps, de corps étrangers. Ainsi s'expliqueraient pour le primitif les cas de possession. Les maladies et la mort elle-même provenaient de l'action néfaste de quelque esprit qui avait pénétré dans le corps de l'intéressé. Le fétichisme, le culte de morceaux de bois et de pierres et enfin l'idolâtrie proprement dite étaient à interpréter de la même manière (Ibid., t. II, p. 101 sq., 147 sq).

4. La notion ainsi obtenue de purs esprits allait être appliquée à la nature. Au sentiment du primitif, ses diverses parties étaient animées par des esprits et les phénomènes dont elles étaient le siège relevaient de leur activité. Ainsi apparut le culte de la Nature. L'eau en général, les fleuves, la mer, les arbres et les bois, les animaux, le totem, le serpent devinrent l'objet d'hommages religieux. L'évolution atteint ici son plus haut point dans la notion et l'adoration du dieu espèce, conçu non comme un individu, mais comme une espèce de catégorie (Ibid, t. II, p. 224 sq., 231 sq., 235 -285).


II - LA RELIGION TRADITIONNELLE OU LES RELIGIONS TRADITIONNELLES ?

Chaque société humaine demeure très largement dépendante du cadre de vie qui est le sien, dans lequel elle puise la quasi-totalité de ses ressources. Et le langage qu'elle-même élabore trouve ses signifiants dans le monde concret de son expérience. La vie prête son visage à la pensée. Aussi comprend-on que le monde religieux du forestier n'est pas celui du paysan de la savane, que le lagunaire et le nomade n'ont pas la même mythologie de l'eau. Autre la religion du paysan attaché à sa terre, à ses bosquets et à ses marigots, autre celle du pasteur qui va sans relâche à la suite de son troupeau et dont toute la richesse, toute la symbolique aussi, se fondent sur l'existence du troupeau.

Au constat de cette situation, nous pouvons affirmer qu'il est préférable de parler de religion traditionnelle africaine au pluriel.


III - LES CARACTÈRES FONDAMENTAUX DE LA DÉMARCHE RELIGIEUSE TRADITIONNELLE AFRICAINE


L'univers religieux traditionnel africain se présente pour un non-initié comme un univers complexe. Dans cette complexité, la multiplicité de ses nuances, dans ses progrès comme dans ses reculs, la religion africaine comporte de nombreuses démarches qui rappellent successivement ou simultanément le fétichisme, le totémisme, le mânisme, l'animisme et le paganisme. Mais aucune de ces dimensions, même aperçues dans le sens profond, ne saurait, à elle seule, esquisser un tableau approximatif du sacré.

La religion négro-africaine traditionnelle se résout en une synthèse pondérée d'attitudes organisées, variables avec les modes de vie, probablement construites au cours du temps selon des contingences historiques actuellement perdues et exprimant diversement l'âme africaine.

L'approfondissement des caractères fondamentaux de la démarche religieuse africaine traditionnelle se heurte à trois difficultés majeures. Tout d'abord, les religions négro-africaines sont essentiellement ésotériques : non seulement, tous les fidèles n'accèdent pas au même degré d'initiation (il y a p.ex. 33 paliers à franchir chez les pasteurs peuls), mais encore il est impossible à un même individu de posséder la sagesse totale, c'est–à-dire initié dans tous les domaines et à tous les degrés (Il y a p. ex. 7 types d'initiations chez les bambaras : nago, komo, nama, nya, nya, kono, kworè ). De la sorte, le risque est grand de n'avoir que des vues parcellaires ou de n'obtenir que des vues superficielles.

Néanmoins, nous pouvons retenir cinq caractères qui peuvent constituer des traits communs aux religions traditionnelles en général.

1er Caractère : La religion se présente d'abord comme une ordination de puissances.

Au sommet, se place l'Être suprême. Souvent il s'agit d'un Dieu inaccessible qui, depuis la création, n'a que peu de rapports directs avec le monde et les hommes : il a abandonné tout pouvoir à un Moniteur céleste. La plupart du temps, les hommes ne lui adressent qu'un culte partiel et indirect. Mieux encore, il n'a parfois ni temple, ni officiant. On pense que ce Dieu est trop loin des hommes, ou qu'il est trop puissant, donc on ne peut l'atteindre. On pense également qu'Il a tout ce qu'il lui faut et qu'il n'a que faire de nos prières. Certains peuples disent qu'il nous a donné ses fétiches, ses génies, pour nous aider et nous servir, et que cela suffit. De telles réflexions expliquent que 1'homme de la R.A.T. conçoit parfois difficilement l'adoration et la contemplation mystiques.


2ème Caractère : Dans la référence au Dieu suprême, celui est perçu comme étant un Dieu providence, créateur transcendant, doué d'unicité, rigoureusement personnifié, à la fois omniscient et omnipotent, source et principe de vie. Il est une entité créatrice dans certaines ethnies ou a fait intervenir l'homme dans l'acte créateur. Et l'idée d'une épouse est incompatible avec sa nature transcendante. Ce qu'on peut dire, c'est que l'Homme de la R.A.T. conçoit l'entité Être Suprême comme devant occuper le sommet de la pyramide des Etres Forces d'où elle préside, malgré tout l'ordre du monde.


3ème Caractère : La R.A.T. repose sur un théisme synchrétiquement conçu ; mais le polythéisme liturgique fait souvent oublier son monothéisme ontologique. C'est ce qui explique l'importance des divinités secondaires plus ou moins immanentes et la pluralité des génies locaux créés par Dieu pour servir d'intermédiaires entre lui et les hommes et qui finissent, dans l'imaginaire populaire, par se substituer à Dieu lui-même.


4ème Caractère : La religion traditionnelle a une organisation cultuelle : Cette organisation se laisse aisément déduire de l'organisation du panthéon religieux. Si Dieu peut avoir ses propres autels (Amma chez les Dogons), le plus souvent, les sanctuaires s'attachent aux divinités secondaires et aux génies (esprits, ancêtres) chargés d' « orienter » l'offrande vers Dieu.

Dans la R.A.T., à côté des devoirs de vénération et de reconnaissance, le culte a pour fin essentielle, par le canal de la victime et l'intermédiaire physique de l'autel où réside le génie (ou qui le représente symboliquement), de renforcer la puissance vitale des fidèles.

L'offrande rendue « puissante » par les « paroles sacramentelles » et revitalisée par la volonté de Dieu accélère, lors du repas sacrificiel, le processus de participation de l'homme à la vie universelle. Et puisque la vie s'exprime à la fois par le dynamisme et l'équilibre des forces, la religion intervient chaque fois qu'il y a désordre ou menace de désordre. Ainsi, la démarche religieuse s'impose, avec parfois une certaine brutalité, quand il y a irruption brusque des processus normaux, naturels ou fabriqués par l'homme, avec irruption du désordre, c'est-à-dire rupture de l'équilibre des êtres forces (sécheresse excessive et subite, mort en série, épidémies ou épizooties, échecs des techniques habituellement efficientes : faits ou situations qui ne manquent pas d'être interprétés par la conscience collective comme une vengeance des puissances sacrées consécutives à un manquement grave, fût-il inconscient ou seulement involontaire. De même, des cérémonies religieuses multiples devront accompagner (c'est le sens des rites de passage : naissance, présentation aux ancêtres, diverses initiations liées à la fécondité et à la sexualité - circoncision, excision, mariage - funérailles, etc.) les mutations profondes et dangereuses de chaque individu, c'est-à-dire les changements de personnalité.


Sème Caractère : La conception d'un monde arbitraire, obscur ou irrationnel semble méconnue en Afrique traditionnelle. L'homme de la R.A.T. donne un sens à l'univers total, à ses dimensions segmentaires, aux phénomènes qui s'y déroulent. En humanisant, ou plutôt en hominisant la nature, système d'intentions et de signes, il affirme ainsi l'amorce de son pouvoir. Et il a une telle foi dans la puissance de son verbe qu'il n'entreprendra aucune action sans prononcer les paroles rituelles qui rendront l'action efficace.

Le but principal de l'éducation et surtout de l'initiation n'est donc pas seulement de provoquer l'habileté manuelle, mais surtout d'apprendre les paroles rituelles (p. ex. chez le pasteur peul, le nom secret du bovidé ; chez le chasseur la formule qui rendra vulnérable le gibier), de recréer une chaîne gestuelle ou verbale efficace, c'est-à-dire qui sache provoquer la résonance des forces adéquates. Il faut savoir utiliser les correspondances.

Puisque le monde, telle une toile d'araignée, ne peut ressentir une vibration en un point sans que la totalité n'éprouve les contrecoups de l'ébranlement, et ceci en raison directe du degré d'affinité sympathique que les parties du tout peuvent entretenir, l'action de l'homme consiste avant tout à influencer un secteur connu pour provoquer un effet utile dans le secteur inconnu connexe. C'est de la sorte que l'homme de la R.A.T. maîtrise le monde « sauvage » qui normalement lui échappe.

Puisque c'est le tissu serré des correspondances et des participations qui confère au monde son unité et sa cohésion, le visible et l'invisible, le profane et le sacré, la nature et la culture, l'artisan et le prêtre (ou le magicien) restent intimement reliés et toute manipulation ordonnée des forces se fait acte religieux.


IV - LA PRIÈRE DANS LA RELIGION TRADITIONNELLE

Le thème de la prière est très dense dans la religion traditionnelle. Dans la R.A.T., la prière « est le fil mystérieux par lequel l'être de l'homme en péril cherche son salut dans la source première. La prière est un 'ressourcement'. Elle rétablit le contact avec la vie tout court. Elle est verbe salvateur » (R.P. Mweng, Structures fondamentales de la prière négro- africaine, 1963, p. 160).

Dans la R.A.T., la prière redit l'ordre des choses, à la limite, elle le recrée. Elle prévient le danger possible, elle exorcise ce que l'inattendu peut recéler d'ignorance et, par là, de menace. Elle appelle tout ce dont l'homme vivant a besoin pour se survivre : la nourriture, la santé, l'enfant, la paix.

1- Objets de la prière :

En parcourant la quasi-totalité des prières recueillies, par les chercheurs aux quatre coins de l'Afrique noire, nous voyons qu'elles ont trait à la vie : le mystère de la naissance (qui exprime l'éternel recommencement), les rites de puberté (qui acheminent l'adolescent vers la plénitude de son être d'homme et de femme), l'engagement dans le mariage (qui le fait serviteur dans la transmission de la vie qui est plus grande que lui et qu'il a pour mission de perpétuer).

Les différents rites agraires que règle l'alternance des semailles et des récoltes, les prières pour une heureuse chasse ou une heureuse pêche, tout cela prend sens par la vie qu'il faut tout à la fois défendre et promouvoir. Et lorsque la menace se fera plus précise, lorsqu'on ne pourra se soustraire au risque d'un voyage, aux nécessités de la faim, de la maladie, lorsqu'on craindra d'être en butte à la malédiction d'un ennemi, à la haine d'une puissance invisible, on cherchera dans l'invocation et la demande à conjurer le sort, à conserver autant que faire se peut, la santé et la sécurité sans lesquelles il n’y aurait pas de vie possible.

2- Destinataire de la prière dans la R.A.T. :

La prière de la R.A.T. qui peut être prononcée par tout fidèle en fonction des situations et des cas, est adressée à l'Etre suprême, aux ancêtres et aux relais de l'Être suprême.

3. Le sacrifice dans la religion traditionnelle africaine :

Élément de la prière, le sacrifice est un des rites les plus permanents et les plus indispensables de la R.A.T.

Définition : Le sacrifice se définit dans la R.A.T. comme un déplacement de forces mystiques réalisé par Dieu, grâce à l'intercession du prêtre et pour la satisfaction du fidèle.

But du sacrifice : Le sacrifice a pour mission d'assurer un circuit de forces mystiques à travers l'autel, par l'intermédiaire de la victime ce qui permet aux relais de Dieu de « se nourrir » de l’âme de l'objet consacré. Le relais de Dieu perd de sa force en intervenant dans l'existence humaine, en fécondant ou en protégeant l’homme contre les méfaits de la sorcellerie. Aussi, est-ce un devoir de reconnaissance pour le fidèle de restaurer l'énergie perdue à son intention.

Le rite du sacrifice : Avec le circuit ontologique et existentiel, il s'agit non plus de paroles prononcées, mais de forces mise en jeu par le truchement des actes commis.

4. Conclusion :

En conclusion, nous pouvons dire que dans la R.A.T., la prière touche à tous les domaines de la vie et qu'elle peut être prononcée, exécutée par tous selon les cas et les situations.


V - COMMENT SE PRÉSENTE CETTE RELIGION AUJOURD'HUI ?

Quelques faits nous permettent de répondre à cette question :

  • Les sacrifices (animaux, œufs), libations, et feuilles cuites que nous trouvons dans nos rues et sur nos avenues, dans nos carrefours et dans la brousse autour de nos villes.

  • Certains faits divers des journaux qui relatent l'existence des féticheurs ainsi que leur succès auprès des clients.

  • L'existence des grands cultes dans le milieu traditionnel dont les plus importants drainent toujours beaucoup d'adeptes dont certains viendraient de l'extérieur du pays.

Au regard de toutes ces situations, nous pouvons affirmer que la R.A.T. est une réalité actuelle et conserve encore beaucoup de fidèles.



VI - UN DIALOGUE EST-IL POSSIBLE ENTRE LA R.A.T. ET LE CHRISTIANISME ?

Au regard de tout ce que nous avons vu dans et de la R.A.T., nous pouvons répondre sans crainte qu'un dialogue est possible entre cette religion et le christianisme. Mais quelle voie doit-on suivre ce dialogue ?

C'est d'abord la voie du dialogue qui s'établit sans à priori, sans jugement ni condamnation, sans esprit de condescendance.

Puis nous pouvons prendre cette voie plus profonde que nous définit la Déclaration conciliaire sur « Les Relations de l'Église avec les Religions non chrétiennes ».

Les hommes attendent des diverses religions, dit la Déclaration, la réponse aux énigmes cachées de la condition humaine : le sens de l'homme et de sa vie, la libération du péché et de la souffrance, la voie du bonheur, le sens de la mort, la rétribution attendue, enfin le mystère dernier qui nous entoure, « d'où nous tirons notre existence et vers lequel nous tendons » (R.N.C.-, I).

L'homme de la R.A.T. connaît ces énigmes de la condition humaine. Il les vit avec leurs colorations spécifiquement africaines propres à l'histoire de son terroir. Il s'agit de les prendre en compte quand on l'approche avec la Parole de Dieu.

La Déclaration conciliaire nous indique quelques pistes de cette prise en compte. Ainsi :

1- Le sens de l'homme est à présenter à l'homme de la R.A.T. dans le mystère même de Jésus-Christ, à la fois Dieu et Homme. La dimension humano divine de l'homme est le fondement de la dignité humaine, des droits et des devoirs de l'homme.

Les valeurs de justice et d'équité ainsi que le culte des ancêtres ne pourraient-ils pas constituer un terrain de rencontre dans ce sens ?

2. Le sens de la vie est à prendre également dans la vie de Jésus-Christ lui-même : une vie pour Dieu et pour ses frères les hommes. En dehors de cette pro–existence toute vie humaine se perd.

L'on pourrait s'attacher ici à évangéliser l'altruisme de l'homme de la R.A.T., qu'il s'appelle hospitalité ou solidarité africaine, l'importance du vivre en communauté.

3. La libération du péché qui passe par l'acceptation de se recevoir d'autrui, à l'exemple de Christ qui se reçoit totalement du Père. Toute attitude contraire est orgueil et source de mort pour 1'homme.

L'on pourrait s'attacher ici à évangéliser le sens de la médiation dans la R.A.T., que celui-ci soit l'œuvre d'un devin ou du guérisseur. Se recevoir d'autrui ne signifie pas passivité et démission. Cela ne signifie pas non plus une proximité totalement utilitaire ; mais entrer en communion avec lui en se refusant à en faire un objet.

4. Le sens de la souffrance est à chercher dans la Croix de Jésus-Christ : souffrance pour entrer dans la gloire.

L'on pourrait s'attacher ici à évangéliser le sens de la souffrance éducatrice de l'homme qui se trouve dans la R.A.T. (Souffrances des initiations qu'il faut savoir supporter comme preuve de sa dignité d'homme ou de femme).

5. La voie du bonheur est à chercher dans le don de soi à l'image du Dieu de Jésus-Christ qui met sa joie à pardonner, qui est Tout-puissant pour sauver, saint pour sanctifier.

L'on pourrait s'attacher ici à évangéliser la notion du sacrifice des victimes pour l'obtention d'un bienfait amplement développé dans la R.A.T. par l'enseignement du sens du sacrifice ultime de notre Seigneur Jésus-Christ sur la croix à la lumière de la Lettre aux Hébreux : Jésus-Christ, prêtre - victime – et - autel.

6. Le sens de la mort est à chercher dans la mort de Jésus-Christ qui fonde le dépouillement chrétien du « Vieil Homme » pour qu'apparaisse en nous « l'Homme Nouveau ».

L'on pourrait s'attacher ici à évangéliser en particulier la dynamique de l'initiation qui, dans la R.A.T., veut conduire l'homme de passage en passage, du statut de l'enfant à celui d'Ancêtre, par le dépouillement de tout ce qui appartenait au stade inférieur.

7. Le sens de la rétribution est à chercher dans la glorification de Jésus-Christ qui a reçu du Père la gloire qu'il avait auprès de lui avant la création du monde, parce qu'il a fait en tout sa volonté.

L'on pourrait s'attacher ici à évangéliser en particulier le lien qui, dans la R.A.T. existe entre le visible et l'invisible, entre le jour et la nuit, le présent et l'au-delà, le second se construisant du premier .

8. Enfin, le sens du mystère dernier est à chercher pour l'homme de la R.A.T. dans le Mystère caché en Dieu depuis les origines et révélé en Jésus-Christ : le mystère de la tendresse salvifique de Dieu, plus proche de nous que nous-mêmes.

L'on pourrait s'attacher à évangéliser ici le sens que la R.A.T. a de DIEU, dont l'existence est sans doute évidente, mais qui est trop loin, laissant trop de place aux intermédiaires, au risque d'être laissé pour compte. Ici, nous pourrons également approfondir avec la R.A.T. la puissance et l'efficacité de la Parole, du Verbe créateur.

Ces huit points n'englobent pas tous les terrains de dialogue possible entre la R.A.T. et le christianisme. Il faut simplement aller à la rencontre, au dialogue, sans a priori, et sans condamnation, dans l'esprit de la découverte et de la connaissance de l'autre pour l'aider à faire un cheminement qui puisse aboutir à la lumière de la révélation du Dieu unique en son Fils Jésus-Christ dans l'Esprit.


CONCLUSION GÉNÉRALE

En Afrique, la religion informe tout. Son emprise s'étend à la vie politique, sociale, familiale.

Les religions traditionnelles africaines sont une religion du Dieu unique. On croit en un Dieu universel, créateur des hommes, de la terre, des fétiches. Bien entendu, il y a des divinités secondaires, mais ces divinités secondaires sont des émanations du Dieu unique ou bien elles en sont les intermédiaires (un peu comme les saints de la religion catholique). Comment comprendre alors que le culte de ces divinités secondaires soit devenu primordial ?

Il y a plusieurs raisons à cela : d'abord, le Dieu créateur étant considéré comme un dieu bon et les divinités secondaires comme dangereuses, il faut se concilier ces dernières en leur rendant un culte plus important que le culte au Dieu unique. Il y a aussi cette impression de la grandeur de Dieu qui fait que l'on n'ose pas entrer en contact direct avec lui. C'est pourquoi, comme cela arrive souvent dans les choses humaines, on a souvent oublié l'essentiel pour l'accessoire, le fait de s'adresser très souvent aux divinités secondaires a fait passer un peu au second plan dans l'esprit des gens le Dieu unique, le Dieu créateur. Mais il existe des prières qui s'adressent au Dieu créateur ainsi que la mention de son nom au cours de certains rites.

La religion africaine est une religion de famille, de clan, et non une religion de propagande, comme le sont les religions révélées. Comme les divinités ont une puissance bien définie, les fétiches une efficacité donnée qui leur est propre, et que cela ne peut être divulgué qu'aux initiés, on s'explique ainsi le fait que les religions africaines soient mal connues. Elles restent confinées au cercle de la famille ou du clan, l'ethnie. À cela est lié le sens du sacré dans les religions africaines.

Est-ce que l'idée d'une récompense future, et l'idée de l'au-delà existent dans les religions africaines ? La réponse à ces questions est affirmative : la philosophie africaine est basée sur la justice et l'équilibre.

La justice : le bien sera toujours récompensé, tandis que le mal sera puni, tout de suite, plus tard, ou dans l'au-delà, mais il le sera toujours.

La croyance en un au-delà, un au-delà pour les bons, un au-delà pour les mauvais est certaine dans les religions africaines. Ceux qui ont bien vécu rejoignent leurs ancêtres, les autres non. Il y a une croyance qu'on pourrait assimiler à celle du purgatoire : quand un homme bon qui a mené une vie juste meurt, on l'enterre avec un certain nombre de pagnes dans certaines cultures, avec cette idée que s'il rencontre des malheureux sur la route de l'au-delà il pourra les leur distribuer.

Ces religions ne sont-elles que des réalités du passé ?

Difficile à dire, au constat de tout ce que nous observons comme pratiques : sacrifices, oblations, substance liquide avec lesquelles on s'enduit …, nous pouvons affirmer que ces religions de nos ancêtres ont encore un long et grand avenir devant elles.


Abbé Jean-Joseph Fané
Bamako
2 avril 2005.