Missionnaires d'Afrique
Rome

Paul Hannon
, P.B.


Une vie de Rencontre,
un témoignage de foi

Quelques jours après avoir écrit cet article, je vais participer, avec les autres membres de la communauté et du staff du PISAI, à l’organisation d’un événement unique. Cet Institut Pontifical, une “vraie école de Dialogue”, célébrera cinquante années de présence à Rome. Mon retour récent à Rome après onze ans d’absence pour un apostolat à Khartoum, Nairobi et Londres, me permet maintenant de célébrer avec une grande joie et reconnaissance ma propre vie de rencontre avec les musulmans.

Je pourrais dire que mon itinéraire de découverte de “l’autre”, dans tous les sens du mot, a commencé par deux grands intérêts déjà présents depuis mon enfance. Le premier était ma fascination pour l’Afrique, et l’autre était mon grand intérêt pour la langue française et sa culture, qui s’est approfondi durant mes études au niveau secondaire. Cet intérêt pour le français, cultivé par de bons enseignants, était si grand que je désirais enseigner aux autres ce que j’avais appris. Après avoir terminé mes études secondaires, j’ai suivi une formation pour être professeur de français. Cela m’a ouvert beaucoup de portes et a été le début de mes voyages.


Al-Hajj Hussein, entrepreneur en construction, à la retraite à New Halfa (maintenant décédé)

Je me rappelle encore le titre d’un essai que je devais écrire durant un cours de français à Tours “Il faut voyager pour frotter et limer sa cervelle contre celle d’autrui”, dit Montaigne. Cela est tout à fait vrai. Après quelques années d’enseignement en Grande-Bretagne, j’ai posé ma candidature pour un poste d’enseignant d’anglais comme volontaire en Afrique centrale et ainsi, j’ai réalisé le rêve que je portais depuis longtemps : voir le Burundi et le Rwanda et en même temps améliorer mon français.

Les voies du Seigneur, cependant, sont mystérieuses et insondables. Il avait d’autres plans pour moi. À cause de la situation qui prévalait au Burundi durant les premiers mois de 1972, il m’était impossible de prendre ce poste qui m’avait été assigné par l’organisme VSO (Voluntary Service Overseas) à Londres. J’ai été nommé en Algérie, à Tizi-Ouzou en Kabylie. Et ma vie a pris une nouvelle direction. Mes deux années en Kabylie m’ont permis d’entrer en contact avec les Pères Blancs et les Sœurs Blanches, avec une population musulmane et avec les langues et cultures arabes et berbères.

Cela a été bien difficile au début. Le mois de mon arrivée coïncidait avec le Ramadan – les garçons étaient réveillés toute la nuit et ils dormaient le jour ; l’appartement que je devais occuper n’était pas encore construit et l’infirmerie de l’école où je devais habiter était pleine de souris. Ce n’était pas l’Afrique dont j’avais rêvé, mais, petit à petit, j’ai commencé à me sentir plus à l’aise et j’ai pu commencer à prononcer quelques phrases en Kabyle, grâce aux leçons de Sœur Madeleine Alain, SMNDA. Je suis retourné à Tizi-Ouzou durant la période de mes études de théologie à Toulouse. J’ai demeuré dans la chambre de Christian Chessel qui était à Rome pour des études. J’ai connu et j’ai beaucoup apprécié les Pères Jean Chevillard, Éric Blatt et Alain Dieulangard. Les étudiants à qui j’avais enseigné, 17 ans auparavant, m’ont dit qu’ils croyaient alors que j’étais un espion parce que je leur posais tant de questions sur la langue et la culture berbère durant les cours.


Célébration de mon 50e anniversaire de naissance à New Halfa, Soudan.

Trois ans après mon expérience en Algérie, j’ai obtenu un poste d’enseignant au Conseil Britannique de Doha, capitale du Qatar. Durant quatre ans, j’ai enseigné l’anglais à l’Institut de Langues. J’enseignais trois soirs par semaine à des fonctionnaires du Quatar et à des expatriés arabes. Les trois sessions du matin à l’Institut, dédiées à la préparation des classes et du matériel didactique, étaient devenues mes premiers moments de “dialogue” avec le directeur de l’Institut, M. Hasan Abbasi, Palestinien. Il savait que j’étais chrétien car les vendredis, j’allais à la messe sur un chantier d’exploitation de la compagnie Shell qui était près du vieux fort, à la sortie de la ville. Je partageais ouvertement ma propre foi et mes croyances et pratiques comme chrétien.

C’est seulement plus tard que je me suis rendu compte comment ces rencontres avec Hasan, un musulman sincère, ainsi qu’avec ses collègues, allaient influencer ma vie. Mon meilleur étudiant à ce moment-là s’appelait Bilal Mansour Hasan, Soudanais de Omdurman et agent de la circulation, qui avait de profondes cicatrices au visage. Je ne m’imaginais pas qu’un jour je travaillerais avec son peuple.

Ordonné prêtre à 43 ans, je ne me suis jamais considéré comme une vocation tardive. L’appel à voyager, à quitter mon milieu de vie et à aller vers les autres,… le voyage, les découvertes, l’ aventure… en Afrique, au Moyen Orient…, m’est venu durant mon enfance. J’ai répondu avec joie à l’appel du Seigneur et, petit à petit, j’ai découvert que cet appel était celui d’être près de ceux qui sont musulmans.

Ma première nomination a été au Soudan, un pays en prise avec la guerre civile en 1991. Je suis allé dans une paroisse éloignée, à Halfa Jadida près de Kassala, où j’ai œuvré deux ans?: mes années les plus enrichissantes comme prêtre missionnaire, en communauté avec Guido Kramer. Les Missionnaires d’Afrique ont été responsables de cette petite paroisse à New Halfa durant plus de vingt ans. Ils ont développé d’excellentes relations avec nos voisins musulmans.

Cela a été mon apprentissage pour apprendre à écouter, observer et être attentif sur la façon d’entrer en relation avec les musulmans, alors que moi j’étais ministre du culte d’une autre religion. Plus tard, dans une autre communauté, avec un confrère, Ciaran McGuiness, et un prêtre diocésain soudanais, nous avons donné un témoignage de vie d’une communauté chrétienne au milieu d’une population musulmane. L’entrepreneur en bâtiments, al-Hajj Hussein, me demandait : “Comment pouvez-vous vivre ensemble, un Anglais et Abuna Ciaran, un Irlandais, et Abuna Justin, un Soudanais du Sud ?”

Je crois, cependant, que la rencontre la plus significative et durable que j’ai eue avec un musulman a été avec Ahmad al-Ezabi, que j’ai connu comme professeur à l’institut d’Arabe Dar Comboni des Pères Comboniens au Caire. Ahmad, un pieux musulman Soufi, membre de la fraternité Naqshbandi et excellent professeur, est devenu un grand ami. Il est venu à Rome en 1999 pour donner un cours de méthodologie aux professeurs du PISAI. Les deux semaines qu’il a passées avec nous dans la communauté du PISAI ont été mémorables. Il venait à notre chapelle pour la prière communautaire et pour la messe. Il a pris toute mon énergie avec les sorties, tous les soirs, dans Rome. “Ceux qui ont construit cela, en se référant à la Basilique Saint-Pierre, disait-il, étaient des personnes d’une foi profonde”. Également, Ahmad est venu à Nairobi et a pris une part active dans un symposium organisé au collège Tangaza, sur le thème “Coexistence entre chrétiens et musulmans en Afrique de l’Est.”

Je peux décrire les musulmans que j’ai rencontrés comme des gens sincères, de vrais amis, de bonnes personnes avec une bonne vie morale. Je ne voudrais pas qu’ils soient différents. Que Dieu les bénisse et les protège. Que Celui qui connaît tout et voit tout permette à beaucoup d’autres, chrétiens et musulmans, de faire la même expérience de rencontre que moi-même j’ai eu le privilège de vivre.

Paul Hannon

Tiré du Petit Echo N° 1060 2015/04