Au Mali, l’imam Dicko, l’éternel opposant ?

Lors de son retour à Bamako, samedi 14 janvier, le prédicateur et ses fidèles ont été visés par des tirs de gaz lacrymogènes. Certains y voient le symptôme de la dégradation de ses relations avec la junte malienne.

Mis à jour le 17 janvier 2023 à 19:41
 

 

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L’imam Mahmoud Dicko lors d’un rassemblement à Bamako, au Mali, le 28 novembre 2021. © FLORENT VERGNES / AFP

Le cortège de deux-roues progresse lentement le long de la route qui mène de l’aéroport au premier pont de Bamako. Ce 14 janvier, une foule de fidèles est venue escorter chez lui l’imam Mahmoud Dicko. De retour d’Arabie Saoudite, il vient d’être fait membre permanent du bureau de la Ligue islamique mondiale. Les coups de klaxon se mêlent aux claquements des drapeaux maliens qui s’agitent en tout sens quand, une trentaine de minutes après son départ de l’aéroport, la procession voit s’abattre sur elle des fumerolles de gaz lacrymogènes.

À en croire des participants au cortège, les forces de l’ordre, qui ont préalablement encadré le rassemblement, seraient à l’origine des tirs. « Avant même l’arrivée de l’imam Dicko, ses sympathisants ont été exhortés à rebrousser chemin. Les forces de l’ordre ne nous ont pas expliqué pourquoi, elles nous ont simplement dit qu’elles avaient reçu des consignes », raconte Youssouf Daba Diawara, coordinateur général de la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko (CMAS).

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Prises de position hostiles à la junte

Le prédicateur, qui n’a pas réagi publiquement à cette mésaventure, souhaite désormais « laisser l’affaire retomber », font savoir ses proches. « Ce type de rassemblements n’est pas rare, mais jusqu’ici, il n’y avait jamais eu d’incident de la sorte », précise Youssouf Daba Diawara.

Pour ce collaborateur du religieux, l’épisode s’expliquerait par la dégradation des relations entre l’imam et la junte malienne. S’il a un temps soutenu les autorités transitoires de Bamako, Mahmoud Dicko s’est, au fil des mois, montré de plus en plus critique envers le gouvernement.

Gouvernants qualifiés « d’arrogants », opposition à la révision de la Constitution telle que proposée par la junte… L’imam de Badalabougou a récemment multiplié les prises de positions hostiles à la politique des colonels. « Aujourd’hui, les autorités estiment que l’imam est leur opposant et ils ne veulent pas laisser s’installer une mobilisation autour de lui. Il dit simplement sa part de vérité, comme il en a le droit et le devoir », assure le coordinateur général de la CMAS.

Forces conservatrices

Il faut dire qu’en plus d’être une figure majeure de la vie religieuse du pays, le prédicateur n’a jamais hésité à s’aventurer sur le terrain politique, les deux domaines étant étroitement imbriqués au Mali. « L’influence politique de l’islam pourrait correspondre à la capacité des organisations musulmanes de se constituer en forces conservatrices pesant efficacement sur les décisions politiques publiques, et imposant un ordre social qui engage l’ensemble de la société », explique le chercheur Boubacar Haïdara, spécialiste des rapports entre l’islam et la politique au Mali.

D’Amadou Toumani Touré (ATT) à Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) en passant par Alpha Oumar Konaré (AOK), Mahmoud Dicko a toujours habilement manœuvré entre le politique et le religieux, ferraillant contre les pouvoirs qui se sont succédé.

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« Mahmoud Dicko est devenu une figure contestataire principalement à la faveur de l’opposition au Code de la famille dont les débats se sont tenus entre 2009 et 2011. À l’époque, les manifestations qu’il organisait étaient considérées comme inédites au Mali », se souvient Boubacar Haïdara. À l’époque, le chef religieux, qui préside le Haut conseil islamique du Mali (HCIM), fait plier le gouvernement, lequel se voit contraint de réviser le texte selon les revendications des organisations musulmanes. « Toutes les confrontations publiques autour de réformes sociales et sociétales qui ont opposé l’État aux organisations islamiques, se sont soldées par la victoire de ces dernières », résume le chercheur.

Tirs à balles réelles

Pour les hommes politiques maliens, l’influence d’une figure comme celle de Dicko est à double tranchant. L’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta en a fait tout particulièrement les frais. Alors que, lors son accession au pouvoir, en 2013, il bénéficie du soutien de l’imam Dicko, ce dernier devient quelques années plus tard le fer de lance de la contestation qui exige la démission du président.

En 2020, Mahmoud Dicko est en effet l’autorité morale du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), qui, dès le mois de juin organise des rassemblements monstres contre le régime d’IBK. Un rôle qui lui vaut, déjà, d’être la cible des forces de l’ordre.

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À tel point que, le 11 juillet 2020, alors que les rassemblements tournent à l’affrontement entre forces de sécurité et manifestants, la mosquée de Mahmoud Dicko devient l’épicentre des tensions. Ses partisans sont massés devant l’édifice, craignant que l’imam ne soit interpellé. Ils essuient des tirs à balles réelles de la Force spéciale antiterroriste (Forsat). Bilan : entre onze et vingt morts, selon les sources, et plus d’une centaine de blessés.

Un épisode sanglant, sans commune mesure avec l’incident de ce 14 janvier. Pourtant, certains acteurs politiques se sont émus de l’intervention des forces de l’ordre. C’est le cas de Housseini Amion Guindo, président du Codem, qui a dénoncé une « agression […] préjudiciable à la stabilité et à la cohésion sociale ». Une manière de rappeler l’influence du religieux sur la société malienne ? L’entourage de Mahmoud Dicko refuse en tout cas la qualification d’opposant. Les récents événements, eux, semblent dire le contraire.