Synode, l’heure des dernières remontées aux diocèses 

Reportage 

Les communautés catholiques à travers le monde doivent faire parvenir ces semaines-ci à leurs diocèses les comptes rendus de leur participation au Synode sur l’avenir de l’Église. De Sao Paulo (Brésil) à Abidjan (Côte d’Ivoire) en passant par Rouen (Seine-Maritime), La Croix continue de suivre trois lieux dans leur participation au processus. Synode, les catholiques ont la parole (4/5). Pour plus de détails penser à cliquer sur "synode" au bas de cet article.

  • Marie Naudascher (à São Paulo), Lucie Sarr (à Abidjan) et Malo Tresca (à Rouen), 
Synode, l’heure des dernières remontées aux diocèses
 
Des membres de l’association Theos, tournée vers la formation et l’enseignement de la foi, lors d’une réunion à Abidjan (Côte d’Ivoire) fin mars.ALEX KARMA POUR LA CROIX
     

► À Rouen, le souci de l’intégration des plus pauvres

Des sacs et paniers des près de 80 membres du conseil diocésain de la pastorale de Rouen (Seine-Maritime) rassemblés ce samedi 26 mars, dépassent par endroits des fleurs bleues et jaunes, aux couleurs du drapeau ukrainien. Apportées en « signe de communion » avec la population éprouvée par la guerre, au lendemain de la consécration par le pape François du pays et de la Russie au Cœur immaculé de Marie, elles viennent orner l’une des vastes salles du centre diocésain, hébergeant une grande journée de réunion dédiée au Synode sur la synodalité.

→ ANALYSE. Comment les fidèles s’approprient le Synode

Temps de prières, témoignages, déjeuner collectif, ateliers par groupes… « Aujourd’hui marque la dernière journée du processus synodal, mais ce dernier va continuer. Nous avons voulu relire cette expérience avec vous, artisans de cette démarche dans vos paroisses », campe d’emblée le père Alexandre Gérault, vicaire général du diocèse, avant d’insister sur la nécessité, au cœur de ce nouveau rendez-vous, de prendre davantage en compte la « parole des plus pauvres ».

Une « journée de la fraternité »

Fruit de cinq réunions organisées avec des responsables associatifs au contact de ceux-ci – précaires, prisonniers, sans domicile fixe, jeunes de banlieues… – une décision a d’ores et déjà été prise : la tenue, le 11 juin, d’un événement festif avec eux, une « journée de la fraternité », sur le parvis de la cathédrale de Rouen.« Ils sont souvent dans la fatalité, se sentent invisibles, nous disent que l’Église est trop dans l’entre-soi », appuie Christiane Rousseau, bénévole de l’association SHMA, affiliée à la société de Saint-Vincent-de-Paul.

→ REPORTAGE. Synode sur la synodalité : le temps des propositions concrètes (3/5)

« En partant de leurs attentes, ce temps du 11 juin n’a pas fini d’être bâti », redit Maïté Massot, déléguée diocésaine pour le Synode, avant d’inviter l’assemblée à des ateliers. En salle 104, six fidèles – dont un prêtre en milieu rural – se retrouvent pour réfléchir sur deux axes : « Comment avons-nous recueilli la parole des plus pauvres dans le processus synodal ? », et « quelles propositions pour mieux (les) intégrer dans nos communautés ? ».

Ne pas attirer à tout prix

L’objectif, produire trois idées clés, en trois phrases, à présenter ensuite au reste de l’assemblée. « Ce terme de pauvre, je ne l’aime pas trop, je lui préfère ceux de précarité ou fragilité, dans lesquels chacun peut s’inclure », entame Marie-Odile, retraitée, engagée au sein de la Société de Saint-Vincent-de-Paul. « Je me méfie de cette Église qui veut “attirer à tout prix” les plus pauvres… Pour moi, il s’agit surtout de les rencontrer », renchérit Yves, un responsable de l’Institut normand de sciences religieuses (INSR) pour le pôle de Rouen.

Rapidement, les chantiers prioritaires se dégagent : « reconnaître nos pauvretés » – en encourageant cette prise de conscience via des groupes de partage, des rencontres… –, favoriser l’inclusion des plus pauvres dans l’Église – en abandonnant toute attitude surplombante –, et enfin oser porter ce combat à l’échelon politique. Et sur ce dernier point, la discussion va bon train.

Peser sur les réalités

« Révolté » par « la vision aujourd’hui des quotas de migrants », au cœur des débats de la campagne présidentielle, Yves exhorte avec force « à s’unir aux forces existantes » pour « fédérer et se faire entendre » : « Nous avons du pain sur la planche. Si nous restons uniquement dans le domaine de la foi, nous n’arriverons pas à peser sur les réalités que nous voulons changer. Il faut oser interpeller nos maires, nos préfets, les collectivités… »

Son constat rejoindra celui de quelques autres groupes pendant les restitutions, avant que l’après-midi ne s’égrène, autour d’un nouvel échange sur l’expérience synodale et de la présentation de l’équipe chargée de la relecture des contributions qui doivent être envoyées, avant le 16 avril, au diocèse.

Peu avant 17 heures, Mgr Dominique Lebrun, archevêque de Rouen, clôture la journée : « Aujourd’hui, en particulier, les trois mots qui ont été associés au Synode ont beaucoup émergé : participation, communion, mission, relèvera-t-il doucement. Je sens que nous sommes sur ce chemin, et que le Seigneur marche vraiment avec nous. »

► En Côte d’Ivoire, la réflexion sur le fonctionnement des communautés

En Côte d’Ivoire, les synthèses diocésaines du Synode seront collectées par l’équipe nationale fin mai. Celle-ci sera chargée de faire une synthèse nationale qui sera envoyée au Vatican au mois d’août. En attendant, les réponses aux questionnaires se poursuivent dans les paroisses, groupes et associations et dans les communautés nouvelles, notamment les quelque 200 qui sont d’orientation charismatique et qui occupent une place importante dans la vie de l’Église. Leur spécificité sera sans doute prise en compte dans la synthèse nationale.

→ REPORTAGE. Synode : de France, de Côte d’Ivoire ou du Brésil, l’Église s’élance vers Rome 2023 (1/5)

Pour les membres de l’association de fidèles Theos, répondre aux questionnaires revient aussi à réfléchir au fonctionnement de leur structure. Theos a été fondé par Marie-Laure Abotcha-Boni, membre fondatrice de la communauté Mère du Divin Amour, la première communauté nouvelle ivoirienne. Son volet charismatique la rapproche des communautés nouvelles, mais elle est surtout tournée vers la formation et l’enseignement de la foi.

Lutter contre la marginalisation due à l’analphabétisme

Cette originalité peut en marginaliser les membres les moins instruits, dans un pays où le taux d’analphabétisme tourne autour de 40 %. La question a été au cœur des débats le 21 mars, pour la deuxième réunion de synthèse des réponses au questionnaire du Synode. « Il faudrait peut-être former une sorte d’académie, en interne, propose Rodrigue. Le but serait qu’on propose des formations par classe pour que chacun reçoive les enseignements qui lui sont nécessaires suivant son niveau d’instruction. »

Valérie, frêle jeune femme assise au milieu de la salle, donne, quant à elle, un exemple qui permet une réflexion sur la notion d’exclusion. « Je me suis sentie marginalisée quand, au cours de ma grossesse, aucun membre du groupe n’a pris de mes nouvelles », intervient-elle, lançant un débat sur les efforts fournis et à fournir pour permettre que tous les membres se sentent écoutés.

Éviter que le groupe repose sur le charisme du fondateur

La gouvernance est l’un des défis fondamentaux des associations de fidèles et des groupes de prière, l’enjeu étant que le groupe ne repose pas sur le charisme ou la personnalité du fondateur. En 2021, le pape François publiait un décret promouvant la rotation au niveau du gouvernement des associations internationales de fidèles.

« À Theos, de nombreuses activités sont déléguées à des membres, même quand la bergère n’est pas présente, assure Stéphanie, une des membres. Et nous accueillons des intervenants externes qui nous dispensent des enseignements dans des domaines spécifiques. » Tous conviennent de la nécessité de promouvoir la participation de tous pour que personne ne se sente exclu des prises de décision.

Se faire connaître dans les médias

Un autre défi est de se faire connaître. Les canaux sont, en plus des médias sociaux, les radios et la télévision nationale catholique. « Le manque de moyens fait que ces médias n’arrivent pas à couvrir les activités même intéressantes des groupes et associations, fait remarquer Max. À cela s’ajoute un manque de bonne volonté, car les médias confessionnels musulmans assurent parfois mieux la couverture d’événements pourtant chrétiens. »

► Au Brésil, la nécessité de s’engager politiquement

Le mois d’avril s’annonce chargé pour la dizaine de laïcs de la communauté de Sao Matheus, à l’est de Sao Paulo, au Brésil, engagés depuis novembre dans le processus synodal. « Nous sommes en train d’élaborer la méthodologie qui nous permettra de synthétiser en dix pages nos réflexions », explique Lis Marques, animatrice des communautés ecclésiales de base (CEB) de l’archidiocèse de Sao Paulo. Cette synthèse doit être rendue fin mai aux évêques, afin d’être transmise en août au Vatican.

Une participation féminine intense

Chaque jeudi soir, c’est Lis qui coordonne les réunions, à 19 h 30 sur la plateforme Meets. « Grâce à la technologie, nous accueillons des gens qui ne résident pas dans notre quartier », raconte-t-elle, infatigable, dès 7 heures du matin, depuis l’école catholique Notre-Dame dans laquelle elle travaille toute la semaine.

Les demandes de cette communauté, formée par différents acteurs laïcs des favelas et les quartiers pauvres périphériques du Brésil, sont principalement liées à la participation accrue des femmes au sein de l’Église. « Elle est intense et de qualité, tant dans les zones rurales qu’urbaines », pointe Dom Joaquim Mol, évêque auxiliaire à Belo Horizonte.

→ REPORTAGE. En vue du Synode sur l’avenir de l’Église, la prise de parole s’organise (2/5)

La remise en question de l’hégémonie masculine dans l’Église revêt une forme spécifique au Brésil. « Dans nos églises, il n’est pas rare que le prêtre ne vienne qu’une fois par mois. Donc les femmes mènent la célébration, distribuent la communion. Mais elles n’occupent pas des fonctions liées à la planification des priorités de l’Église », détaille Lis Marques.

Le pape François reconnaît la participation féminine, mais selon les contributeurs du Synode, il faut aller plus loin. « Le Synode, c’est comme un rêve que nous construisons collectivement. Cette Église dont je rêve, je ne serai plus là pour la voir quand elle aura évolué », confie Lis Marques, 59 ans.

Une Église qui s’engage politiquement

À six mois de l’élection présidentielle, le groupe s’accorde à dire que l’Église doit se positionner politiquement. Notamment face au discours pro-armes à feu du président Jair Bolsonaro (extrême droite), candidat à sa réélection. « Les armes tuent plus d’Afro-Brésiliens, de femmes, d’indigènes », rappelle Lis Marques.

La Conférence nationale des évêques (CNBB) a émis une vingtaine de communiqués pour condamner la violence des discours qui rythment la vie politique. Dom Mol lui-même est régulièrement attaqué sur les réseaux sociaux pour ses prises de position politiques. Recteur de l’Université catholique de Minas Gerais, il tient à rappeler que la population brésilienne s’est terriblement appauvrie au cours du mandat de Jair Bolsonaro. « Dans ce contexte, le processus du Synode nous interpelle, souligne-t-il. Nous voulons marcher ensemble, mais dans quelle direction ? »

--------------

Vers la fin de la phase diocésaine du Synode

Dimanche 15 mai. Date limite en France pour le retour des synthèses diocésaines à l’équipe nationale, constituée sous la responsabilité de Mgr Alexandre Joly, évêque de Troyes (Aube). Toutes les synthèses seront publiées sur les sites diocésains, et la synthèse nationale sera rendue publique sur le site de la Conférence des évêques de France (CEF).

Mardi 14 et mercredi 15 juin. Assemblée plénière des évêques extraordinaire à Lyon (Rhône) pour discuter, amender et valider la synthèse qui sera envoyée à Rome.

Lundi 15 août. Date limite de remise des contributions des conférences épiscopales du monde entier au Vatican. En septembre débutera alors la phase continentale du Synode, qui s’achèvera en mars de l’année suivante.