Sur l’Esplanade des Mosquées à Jérusalem, la prière juive gagne du terrain

Analyse

Les juifs peuvent-ils prier sur l’esplanade des Mosquées ? Oui mais en « silence », vient d’estimer un tribunal israélien, remettant en cause des décennies de statu quo sur ce lieu emblématique de Jérusalem. L’Autorité palestinienne dénonce une « véritable déclaration de guerre ».

  • Nicolas Rouger, à Jérusalem, 
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Sur l’Esplanade des Mosquées à Jérusalem, la prière juive gagne du terrain
 
Durant le mois juif de « Tichri », qui s’est achevé mercredi 6 octobre, ils ont été plus de 6 000 fidèles à se recueillir près du lieu présumé du sacrifice évité d’Isaac.AHMAD GHARABLI/AFP

« On a pris le Mont du Temple. Maintenant il faut finir le boulot », dit Itay Elitzour en souriant. Cela fait vingt ans que ce quinquagénaire bedonnant au visage ouvert guide des groupes de juifs sur l’esplanade des mosquées, point chaud des tensions en Terre Sainte.

Depuis l’annexion de Jérusalem-Est en 1967, l’endroit est régi par un statu quo qui n’autorise que les musulmans à y prier. Mais, pour la première fois, un tribunal israélien a estimé, mercredi 6 octobre que la prière juive n’était pas un délit, à condition qu’elle soit silencieuse. Cette décision est « un appel à la guerre de religions à travers toute la région » a réagi le ministère des affaires étrangères palestinien dans un communiqué.

Le lendemain, dans le calme boisé de l’esplanade, le conflit semble pourtant bien loin. Il est à peine 7 heures du matin quand Itay guide son premier groupe, environ 40 personnes, autour du Dôme du Rocher. Ils s’arrêtent, se perdent en contemplation, en se balançant d’avant en arrière. Autour d’eux, cherchant l’ombre sous les oliviers, des policiers israéliens surarmés se perdent dans leurs smartphones. Certains fument et discutent, souvent en arabe.

Une prière tolérée depuis des années

Sur le terrain, cela fait maintenant plusieurs années que la police israélienne, garante de la sécurité sur l’esplanade, tolère la prière. Le nombre de juifs à faire « l’ascension » vers le Mont du Temple augmente de façon exponentielle. Durant le mois juif de Tichri, qui s’est achevé mercredi, ils ont été plus de 6 000 fidèles à se recueillir près du lieu présumé du sacrifice évité d’Isaac. Un record, équivalent au nombre total pour l’année 2010.

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Pour Tomer Persico, chercheur à l’institut Shalom Hartman d’études du judaïsme, «le Mont du Temple est devenu un symbole autant nationaliste que religieux, un phénomène qu’on pourrait comparer au rôle d’Al-Aqsa dans l’imaginaire Palestinien ». Selon lui, cette dynamique découlerait directement du désengagement de Gaza en 2005. « Certaines énergies messianiques et nationalistes se sont détournées de l’entreprise coloniale pour se concentrer sur le Mont du Temple. Par la suite, elles ont réussi à colporter ce message auprès de la droite nationaliste laïque », explique-t-il.

« Ils veulent diviser le sanctuaire »

Le Waqf, le conseil de sages musulmans qui gère les affaires de l’esplanade, sous protection de la famille royale jordanienne, a accueilli la décision de justice avec circonspection : « Ils veulent diviser le sanctuaire, cela fait partie du plan qu’ils essaient de mettre en place depuis des années », a estimé Cheikh Ikrima Sabri, ancien Grand mufti de Jérusalem.

Chez les militants juifs, on ne s’en cache pas. « Les yeux du peuple juif sont portés sur le Mont du Temple depuis des milliers d’années », dit Yehudit Botzko du groupe Beyadenu (dans nos mains). « Le voir reconstruit, c’est le but finalMais dans la paix, ajoute-t-elle. Sans brusquer. Dieu a dit : “Ma maison sera un lieu de prière pour tous les peuples.” »

Malgré l’influence de plus en plus claire de la minorité religieuse nationaliste sur la politique israélienne, le gouvernement est loin d’envisager de changer le statu quo. Au contraire, il fait tout son possible pour ne pas froisser les autorités religieuses, juge Tomer Persico : « Il faudrait une révolution théocratique pour que cela change. » Itay Elitzour ne renonce pourtant pas : «Le peuple d’Israël se réveille peu à peu. »