Le Père Joseph Clochard"Le dialogue Islamo-chrétien dans un monde en proie au fondamentalisme."

12/05/2013

Introduction

Il n’arrive pas de jour que les médias n’apportent des images de guerre en Afrique subsaharienne : la guerre au Nord Mali (les groupes salafistes extrémistes d’AQMI, MUJAO, Ansar dine et la branche islamiste du MNLA, le MAA, en Somalie (les Shebbabs) ou de massacres au Nord Nigeria (la secte Boko Haram) ou ailleurs (le dernier fait récent au 6/5/2013 : « La capitale du Bangladesh a été l’objet de violentes émeutes fomentées par un groupe de 70000 à 200000 islamistes. »

On les appelle des fondamentalistes musulmans, des intégristes musulmans, des extrémistes musulmans, des salafistes, des islamistes…

Comment comprendre ce phénomène ? Est-ce encore l’islam, lui qui se définit par la racine même du mot (SLM) par la paix. SALAM. Ce sera la première partie de notre article. Quand nous disons Islamisme, que disons-nous ?

Et alors, l’effort de notre Eglise catholique et son engagement dans le dialogue interreligieux voulu par nos autorités les plus hautes dans les personnes de nos derniers papes, surtout depuis Vatican II, est-il encore possible ? Si oui, quels chemins prendre ?

Faut-il baisser les bras et accepter ce que des jeunes musulmans wahhabites de Ouagadougou préconisent à leurs propres responsables musulmans de la Capitale. « Chacun chez soi ! » Il n’y a pas à aller rendre visite à l’archevêque de Ouagadougou ! Quels sont les défis à affronter dans le domaine du dialogue interreligieux.


(1) Quand nous parlons d’un monde en proie au fondamentalisme (dans ce cas, musulman !), que voulons-nous dire. D’où vient cette vague islamiste ou fondamentaliste, intégriste musulman ?

Je ne trouve rien de mieux qu’un article d’un sociologue italien, M. Félice Dassetto. Je le cite donc en partie.

« Cet esprit religieux-idéologique, dans le monde sunnite, a aujourd’hui deux racines. L’une d’elles est forgée depuis les années 1930. Elle pense que la revivification de l’islam et des sociétés musulmanes passe par l’édification d’un Etat guidé par la doctrine islamique. Ce sont les Frères musulmans en Egypte ou Maulana Maoudoudi en Inde et au Pakistan.

La victoire du chiite Khomeiny en Iran a servi d’aiguillon. De ces racines sont nées, depuis l’origine, des formes d’extrémisme. Dans les années 1970 sont nés des mouvements radicaux nouveaux, appelés "islamistes". On parle aujourd’hui d’un islamisme modéré : il doit faire la preuve de ce que "modération" signifie.

La doctrine du jihad, relue selon l’usage qu’on veut en faire, a polarisé l’action : jihad contre les Soviétiques en Afghanistan; jihad contre les régimes musulmans corrompus ou vendus à l’Occident; jihad mondial d’al Qaïda et de ses avatars contemporains.

La deuxième racine de l’extrémisme a sa source dans la version moderne du wahhabisme saoudien. Le wahhabisme est une doctrine littéraliste rigoriste, centrée sur le culte et la norme morale, fondée en Arabie à la fin du XVIIIe siècle. Elle a trouvé un allié dans la tribu des Saoud. Ensemble, ils ont façonné le projet de cette tribu de se hisser à la tête d’une Arabie unifiée : le royaume saoudien.

Régime théocratique, oligarchique, oppresseur de la femme comme sujet et personne libre et autonome. Ce royaume a un projet plus vaste : hégémoniser le monde musulman sous l’égide du wahhabisme. Mais le "wahhabisme" apparaissait, très, trop "saoudien", appartenant à une culture bédouine et à une société qui ne sont pas fort appréciées par le monde musulman et urbain. Le coup de génie des leaders religieux et politiques saoudiens depuis les années 1960 a été de changer d’appellation et de proposer une version modernisée du wahhabisme, appelée "salafisme".

L’usage nouveau de cet ancien terme, fondé sur la racine "salaf", les anciens (le Prophète et ses compagnons de la première heure) donnait une portée universelle à cette doctrine, qui se présente purifiée par un retour aux sources de l’islam (ou plutôt à sa lecture des sources). Chacune à sa manière, souvent en opposition (comme aujourd’hui en Egypte ou en Tunisie), les pensées "frériste" et "salafiste" aboutissent à une pensée totale autour de l’idée de la prééminence absolue du religieux (et de l’islam), de l’englobement de l’individu et de l’organisation sociale au sein de la vision religieuse et de la nécessité d’un Etat qui promulgue des lois cohérentes avec ce système de pensée.

Ces pensées n’aboutissent pas d’office à un radicalisme. Elles peuvent se donner le temps d’une stratégie lente. Mais en leur sein peuvent émerger des individus et des groupes qui, à partir de cette vision totale, veulent exiger tout, tout de suite et par n’importe quel moyen : extrémismes et radicalismes apparaissent. Ben Laden est un exemple parmi bien d’autres.

La pensée frériste et, depuis les années 1970 la pensée salafiste, cette dernière s’appuyant sur les moyens pétroliers saoudiens et d’autres monarchies du Golfe, ont essaimé de manière organisée en propageant les idées et en formant des leaders tant dans le monde musulman qu’en Europe.

Face à cela, il existe dans le monde musulman une pensée (que l’on peut appeler réformatrice) en quête d’une harmonie entre foi fondatrice et monde contemporain (même si elle est critique à l’égard de pas mal d’orientations de ce monde). Pensée qui vise à concilier la foi religieuse avec le pluralisme, la démocratie et la science, à travers un travail moderne d’interprétation des textes et de l’histoire fondatrice.

Cette vision de l’islam semble une quête majoritaire au sein des populations et certainement parmi les musulmans européens. Mais ces majorités restent silencieuses, les réformateurs restent des figures individuelles, sans parvenir à une action structurée. Manque de moyen ? Ou pensée qui continue à rester à l’état du commencement, alors que la première prise de conscience de cette nécessité réformatrice date de plus d’un siècle ? »

En même temps, il est important de dire pour la vérité et empêcher tout amalgame, qu’il existe une pensée musulmane qui cherche l’harmonie entre foi fondatrice et monde contemporain. C’est une pensée (que l’on peut appeler réformatrice), qui vise à concilier la foi religieuse avec l,e pluralisme, la démocratie, la science à travers un travail moderne d’interprétation des textes et de l’histoire fondatrice. C’est une quête majoritaire au sein des populations et certainement parmi les musulmans européens. Mais ces majorités restent, silencieuses, les réformateurs restent des figures individuelles sans parvenir à des moyens structurés…

La question pour l’avenir de l’islam pourrait être celle-ci : « Les modérés peuvent-ils émerger » C’est un enjeu pour la paix dans le monde, c’est aussi un enjeu pour le dialogue Interreligieux.


2ème partie de l’article :

Face à cette montée de l’islamisme qui, ça et là, se radicalise et devient terrorisme, le choix de l’Eglise Catholique pour le dialogue interreligieux tient-il encore ? Peut-on encore tenir au Dialogue Interreligieux, que certains de ses détracteurs jusque dans les rangs du clergé qualifient de « monologue » ?

Rappelons d’abord ce qu’est le dialogue interreligieux en général et avec l’islam en particulier.

Voici ce que le Saint Père Benoît XVI affirmait aux cardinaux de la Curie à l’occasion des ses vœux à Noël 2012

« Dans la situation actuelle de l’humanité, le dialogue des religions est une condition nécessaire pour la paix dans le monde, et il est par conséquent un devoir pour les chrétiens comme aussi pour les autres communautés religieuses.

Ce dialogue des religions a différentes dimensions. Avant tout, il sera simplement un dialogue de la vie, un dialogue du partage pratique. Il s’agit des problèmes concrets de la cohabitation et de la responsabilité commune pour la société, pour l’État, pour l’humanité. En cela, on doit apprendre à accepter l’autre dans sa diversité d’être et de pensée. Dans ce but, il est nécessaire de faire de la responsabilité commune pour la justice et pour la paix le critère fondamental de l’entretien »

Il précise aussi :

«  Pour l’essence du dialogue interreligieux, deux règles sont aujourd’hui généralement considérées comme fondamentales : 

1. Le dialogue ne vise pas la conversion, mais bien la compréhension. En cela, il se distingue de l’évangélisation, de la mission. 

2. Conformément à cela, dans ce dialogue, les deux parties restent consciemment dans leur identité, qu’elles ne mettent pas en question dans le dialogue ni pour elles-mêmes ni pour les autres. »

Il s’agit donc de mettre en avant le dialogue de la vie et de la collaboration, comme nous le dit aussi le document « Dialogue et Annonce » qui nous vient du Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux (CPDI) et la Congrégation pour l’Evangélisation des peuples.et qui explicite les formes de dialogue (DA N°42)

Benoit XVI en 2005 à Cologne lors des JMJ, disait dans sa rencontre avec la Communauté Musulmane que le Dialogue Interreligieux est « une nécessité vitale dont dépend en grande partie notre avenir. »

Le Cal Tauran, président du CPDI, déclarait il y a un an sur Al Jaazira : « Nous avons réussi à éviter le choc des civilisations, nous allons chercher à éviter le choc des ignorances. » L’ignorance, voilà bien un immense obstacle du dialogue interreligieux qui nous donne les préjugés, les incompréhensions, les malentendus qui sont partagés aussi bien du côté des musulmans et que des chrétiens…

C’est le même cardinal qui précise les trois défis des chrétiens en dialogue : identité́, altérité, pluralisme"

  • Le défi de l’identité : qui est mon Dieu ? Ma vie est-elle en harmonie avec mes convictions ?

  • Le défi de l’altérité : celui qui pratique une religion autre que la mienne n’est pas nécessairement un adversaire, mais plutôt un pèlerin de la vérité ;

  • Le défi du pluralisme : Dieu est à l’œuvre en chaque personne, par des voies connues de Lui seul. (AG 7).


Tout en dénonçant « avec la plus grande vigueur la violence qui blesse et qui tue. Elle est d’autant plus injustifiable quand elle se pare du bouclier d’une religion. Cependant, on doit évoquer également des aspects positifs, tels que l’amitié́ au quotidien qui s’exprime par des gestes de fraternité́ et de proximité́. L’harmonie entre croyants apporte souvent aux sociétés dont ils sont membres une dimension spirituelle de la vie, antidote à la déshumanisation et aux conflits. »

A quelques jours de la semaine pour l’unité des chrétiens, le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, invite aussi à poursuivre le dialogue interreligieux

« Je vois souvent que de nombreux catholiques, pourtant désireux de dialoguer avec d’autres croyants, se découragent à cause de ce qui se passe autour d’eux »,. A ses yeux, il est nécessaire de dénoncer les barbaries perpétrées à l’égard des croyants et il souhaite que cette situation puisse être pour les croyants une stimulation pour approfondir leurs convictions et témoigner, au milieu de tant de violence, que toutes les religions sont en faveur de la fraternité.

A mon sens, le plus grand défi du dialogue interreligieux est celui d’un dialogue qui passe du sommet à la base. Et dans notre pays, Burkina Faso, nous pouvons être témoins que ce dialogue de vie est entrain de grandir, de se réaliser dans nos différentes structures d’Eglise. A partir de la Commission Episcopale pour le Dialogue avec l’Islam, beaucoup d’initiatives voient le jour spécialement au moment des événements de la vie. (A Ouaga, Mgr Philippe saluant la Communauté musulmane lors de la fête d e la Tabaski et la visite réciproque du Secrétaire Générale de la Communauté Musulmane dont la presse a fait écho)

(2) faits de vie récents dans la région de Dori

Dans le diocèse de Dori, nous venons de vivre la fête de l’ordination épiscopale de Mgr Laurent Dabire. La note interreligieuse y a été très présente, et dans sa préparation dans les aides reçues, et dans sa célébration elle-même avec la présence des autorités musulmanes. A cette occasion, les jeunes de la Jeunesse Lucien Bidaut, la branche de l’UFC (Union Fraternelle de Croyants qui travaille depuis plus de 40 ans au développement de la région du Sahel), ont organisé une marche au flambeau pour la paix le 3 mai au soir. Plusieurs évêques y ont participé, et le lendemain, ils ont organisé une concert interreligieux en présence des leaders musulmans, protestants et catholiques…

Le 30 mai, juste avant la fête, la sous-commission pour le dialogue interreligieux de Kaya, a organisé une journée de rencontre des différents comités paroissiaux du diocèse avec la présence de membres musulmans. Sur 40 personnes, il y avait 1/3 de musulmans. Le thème en était : « Comment voyons-nous les activités des mouvements islamistes dans la région : Mali, Niger, etc ? Cela peut-il arriver aussi au Burkina Faso ? Le vice-président de l’UFC, plus une jeune fille de la Jeunesse Lucien Bidaut de Dori et une jeune fille Touareg réfugié à Dori ont donné témoignage de leur action. Le débat a tourné autour de l’importance de ce dialogue de vie qui existe déjà et qui est à renforcé dans nos milieux. L’imam de Barsaalgo présent a insisté sur la nécessité de toucher les jeunes, qui à cause de la pauvreté ou de l’ignorance risquent de répondre plus facilement à des sollicitations islamistes déjà présentes à travers le wahhabisme et ses dérivés.

C’est aussi à l’école même, spécialement avec l’Ecole Catholique, qu’il faut donner une éducation à la tolérance, au respect des différences, au pardon, à la paix… autant de valeurs évangéliques qui sou tendent l’Education de l’enseignement catholique. Il existe déjà des instruments : je cite le petit livret intitulé « Mon enfant connaît les religions du Burkina Faso. » composé par M. l’Abbé Neere de Koupela.

En conclusion, c’est l’engagement de chaque pasteur dans le dialogue interreligieux qui peut permettre de construire un monde de plus de tolérance, de respect de la différence, un monde de paix. « La paix, ce n’est pas un mot, c’est un comportement ! » disait l’ancien président de la Côte d’Ivoire, Houphouet Boigny.

« Le dialogue aujourd’hui, nous dit l’Eglise, est un choix, un choix vital, non facultatif depuis Vatican II. Il fait partie intégrante de la Mission de l’Eglise. »

                        Père Joseph Clochard