Le recours aux pratiques traditionnelles,
un appel à la valorisation de la pastorale des malades

Bruno Ssennyondo, en mission à Dyou-KadioloDes moments bouleversants

Il nous arrive d’assister à des moments pastoralement bouleversants, quand nos fidèles fervents, sur qui nous comptions, nous tournent le dos et ont recours aux pratiques traditionnelles. Les raisons derrière ce retour en arrière, d’après ce que nous constatons, sont souvent liées aux questions qui menacent la vie humaine : la santé physique ou mentale. Il est inutile de donner des exemples concrets : vous en connaissez autant, sinon plus que moi.

Ici, il sera question d’aborder quelques mesures déployées par les pratiques traditionnelles face aux menaces des maladies. Ensuite, nous appuyant sur les réflexions de certains écrivains, nous ferons appel à plus d’initiative dans l’approche pastorale des malades, qui est incontestablement un “terrain glissant”.

Approche traditionnelle : avoir une réponse à tout

Le grand succès qu’ont plusieurs pratiques traditionnelles est dû à leur capacité de fournir des solutions à (presque) tous les problèmes humains. Elles s’étendent non seulement sur les grandes étapes de la vie humaine, mais aussi sur le plan cosmique. Dès la naissance, traversant l’enfance et la jeunesse jusqu’à l’âge adulte, il y a des pratiques appropriées. Par exemple, il y a le choix du nom qui est fait selon les circonstances liées à la naissance de l’individu.

L’initiation aux activités familiales et aux coutumes de la société est bien prise en charge. Et, de façon astucieuse, chacune de ces activités est liée à une divinité cosmique (esprit ou génie). Il y a, par exemple, des génies garants de la fécondité, de la fertilité. D’autres s’occupent de la culture, de la pêche, de la chasse ou encore des jumeaux. Cela fait que l’on sait précisément où trouver la réponse, comment combler tel ou tel manque et avec quoi faire obstacle à telle ou telle menace.Statues représentant le recours à la tradition

Le point fort des pratiques traditionnelles face aux maladies est la simplicité et l’accessibilité de leur médecine. Les cures traditionnelles (efficaces et non efficaces) sont souvent très simples et à la portée du plus grand nombre. Il s’agit d’objets tels que des écorces, des herbes, des racines, l’eau ou le feu. Le Cameroun a un bon exemple de la brave dame Mallah qui traitait les femmes et les enfants en n’utilisant que de l’eau bénite. Le fameux Ngea du centre de santé traditionnel à Douala, lui, se servait d’herbes, de feu et d’eau pour soigner ses patients. Et le prophète Harris d’Abidjan n’employait que de l’eau pour ses multiples guérisons.

Au fond, ce sont des valeurs authentiquement bonnes que l’on recherche dans ces pratiques traditionnelles : la paix, l’harmonie, le bonheur, etc. Malheureusement, dans le chemin qu’elles proposent, le bien et le mal sont souvent mélangés. Le grand mal des tradipraticiens est la quantité de préceptes démesurés, humiliants et souvent dangereux qu’ils attachent à leurs traitements afin de s’assurer davantage de pouvoir et de richesses. C’est cette déviance qui est à l’origine des pratiques souvent désastreuses que l’on appelle fréquemment “la sorcellerie”.

L’atout principal de toutes ces pratiques est leur capacité de provoquer “la peur” chez leurs sujets. Les “obligations” et “interdictions” liées au respect des pratiques traditionnelles et les “châtiments” liés au non-respect de ces dernières ont des effets indélébiles. D’où le sentiment de culpabilité que plusieurs de nos fidèles présentent lorsqu’ils se trouvent devant une menace physique ou mentale grave. Dépourvus d’accompagnement approprié, ils ont recours aux pratiques traditionnelles. D’où l’urgence d’une approche libératrice de la pastorale des malades.

Revaloriser la pastorale des malades

On a souvent cité l’anecdote du Père Hebga Meinrad qui parle d’un évêque à qui l’on sollicita une imposition des mains et une prière sur quelqu’un atteint d’une maladie chronique. L’évêque répondit ainsi : “Quand on a une maladie physique ou mentale, on va à l’hôpital, et non pas chez l’évêque !” Le malade répliqua : “Mgr, je viens de passer 6 mois à l’hôpital et c’est le docteur qui m’a envoyé chez vous !” Sur cette réponse humiliante, l’évêque se hâta de lui imposer les mains et, chose étonnante, la guérison survint peu après.

L'équipe M.Afr à Dyou-Kadiolo il y a deux ansCette anecdote nous renvoie à ces multiples fois où nous nous sommes trouvés en train de dire aux malades que nous rencontrions : “Pourquoi ne vas-tu pas à l’hôpital ?” Ou encore “Va voir le docteur !” Prenons-on aussi le temps d’écouter ces paroles du Christ : “Donnez-leur vous-mêmes à manger” ? (Lc 9, 13) et, par conséquent, l’exigence “soignez-les, guérissez-les vous-mêmes” ? Saint Paul fait aussi bien de signaler parmi d’autres charismes, le don de guérir. (Co 12, 9). Ce qui veut dire aussi que “d’autres ne l’ont pas”. Bien sûr que nous n’avons pas tous ce don ou charisme. Mais dans la foi que “tout est possible à celui qui croit” (Mc 9, 32), on peut faire appel à l’une ou l’autre personne capable de rendre ce service spirituel.

Cela ne remet aucunement en question nos œuvres caritatives (Centres de santé). Car, par le ministère auprès des malades (qui est un ministère de miséricorde et de charité), la Parole de Dieu vient combattre “la peur du sorcier” qui empêche de se donner de grand cœur à la grande œuvre du développement social. C’est dans ce dynamisme que nous devons valoriser davantage la pastorale des malades. Cela en organisant périodiquement des liturgies pour les malades, l’imposition des mains et l’administration du sacrement de l’onction des malades. La Parole de Dieu doit y trouver sa place. Et n’hésitons pas à faire usage des sacramentaux tels que l’eau bénite, le crucifix et même l’invocation des saints.

Cependant, il est impératif de toujours expliquer au nom de qui nous posons ces gestes : Jésus-Christ libérateur. Sinon nous risquons de tomber dans le péché d’orgueil, dans le syncrétisme ou même dans l’idolâtrie !

Tout faire avec une certaine prudence

On n’ignore pas les mésententes possibles entre pasteurs (curés et vicaires) et les laïcs qui s’adonnent à cette pastorale, notamment au sein du mouvement du “Renouveau charismatique”. Cette friction est très souvent dosée d’une forte méfiance ! On se méfie parce qu’on ne sait pas jusqu’où ça peut aller. On a peur de l’inconnu ! Par conséquent, on refuse toute initiative. Alors, dans nos efforts pastoraux, redisons-nous constamment avec Éric de Rosny qu’“aucune expression religieuse sincère ne devrait être étrangère au christianisme.” Cependant, que tous ceux qui se sentent appelés à ce ministère particulier se souviennent que le Christ se rend présent dans notre unité et non pas dans nos divisions ; aussi, que tout charisme qui mène à la division entre membres du même corps ne vient pas de l’Esprit Saint.


                     Bruno Ssennyondo

                     Tiré du Petit Echo N° 1028 2012/2