L’islam et l’avenir de la tolérance.
Un dialogue (Compte-rendu)

couverture Harris-Nawaz

 

Sam HARRIS & Maajid NAWAZ: L’islam et l’avenir de la tolérance. Un dialogue. Éd. Marcus Haller, Genève 2018, 176 p. ( Éd. originale en anglais, chez Harvard University Press, Cambridge Mass. and London, 2015).

Le livre s’ouvre par une présentation mutuelle et un bref échange sur leur vision de l’islam et les possibilités d’une réforme de cette confession. Les deux auteurs ont, à première vue, peu de choses en commun : Sam Harris, neuroscientifique et philosophe américain, est athée; Maajid Nawaz, auteur britannique, ancien djihadiste et depuis 2008 fondateur du think tank Quilliam, organisation laïque de lutte anti-extrémiste, est un musulman réformiste vivant à Londres.

Dans la première partie du livre ils discutent sur les différentes tendances de l’islam, les racines de l’extrémisme, de la violence et de l’intolérance et les facteurs de radicalisation en islam. Ils insistent tous les deux sur l’étendue du problème, en précisant le rôle important de l’islamisme (l’islam politique), comme idéologie et facteur de radicalisation et base du djihadisme, tel que nous l’avons connu les dernières années au Moyen-Orient, dans les pays à majorité musulmane et dans le monde occidental. C’est pourquoi il ne suffit pas de combattre militairement les fléaux du djihadisme, il faut encore éliminer l’idéologie islamiste, qui depuis des décennies a infesté les milieux culturels musulmans et a donné naissance à des groupes comme Al-Qaïda et à l’État Islamique (Daesh).

Ensuite, dans la deuxième partie, ils s’attaquent à un autre problème de l’islam actuel, à savoir le fondamentalisme et leur lecture littérale des textes du Coran. Ils nous rappellent que, dans les premiers siècles de l’islam, les Mu’tazilites avaient déjà pris position contre cette interprétation littérale du Coran et des Hadiths, mais que ce mouvement avait été abandonné exclusivement pour des raisons politiques et non sur la force des arguments en présence. Reprendre ce travail sera difficile et dangereux. Beaucoup de penseurs musulmans, qui appellent à une réforme théologique, sont obligés aujourd’hui de cacher leurs opinions et risquent des représailles sérieuses dans leurs pays.

Si on ne peut pas d’emblée écarter un certain nombre de textes scripturaires qui posent problème, alors quelles interprétations donner et quelles méthodologies faut-il suivre pour les réformer ? Il n’existe pas de lecture exacte et officielle des textes sacrés. Les sunnites n’ont pas de clergé. Tout individu a, en principe, le droit d’interpréter les textes s’il a une connaissance profonde de l’islam. Tout sujet donné pourrait donc avoir des interprétations multiples. Mais, dit Mr. Nawaz, « si nous arrivons à l’admettre, nous parviendrons à respecter les différences – ce qui conduit à la tolérance, puis au pluralisme – lequel amène à la démocratie, à la laïcité et aux droits de l’homme » (p. 134). Ainsi, selon cet auteur, le pluralisme est le seul choix possible.

Alors les auteurs vont appliquer cette méthodologie sur un grand nombre de sujets : l’apostasie, le péché de mécréance, la promesse du paradis et la punition de l’enfer, l’interdiction de l’alcool, la taqiyya qui encourage les musulmans à mentir devant les non-musulmans, mais aussi la crainte et la haine des infidèles dans le Coran, l’intolérance etc.

Les auteurs se rejoignent et se complètent sur beaucoup de points dans leur critique de l’islam conservateur et de l’islamisme. Leur dialogue franc et sincère montre que, même sur des sujets difficiles une conversation en profondeur est possible, même si dans beaucoup de cas les réponses simples n’existent pas.

En conclusion ils constatent que l’islam a « des décennies de retard sur deux fronts : d’une part, la réforme de l’identité musulmane, des interprétations scripturaires et des allégeances culturelles, et d’autre part, le travail visant à discréditer l’idéologie islamiste » (p. 154). Voilà un défi énorme, qui attend les réformateurs de l’islam et qui va prendre des années de travail.

Les auteurs du livre, malgré les désaccords à ne pas ignorer entre un musulman et un athée, ont pu débattre, sans polémique, sur tous ces sujets difficiles. Ainsi ils ont pu confirmer que le dialogue ouvert et raisonnable constitue une des seules positions possibles, si on veut aller de l’avant, et qu’un ensemble de valeurs humaines universelles peut unir musulmans et non-musulmans.

Hugo Mertens.