Sur le continent comme ailleurs, le géant pétrolier français – qui ne souhaite plus qu’on l’appelle ainsi – se veut le champion de toutes les énergies, et plus seulement de l’or noir.

Mais, confronté à l’instabilité de la région du Cabo Delgado, il a dû suspendre fin mars son mégaprojet Mozambique GNL, où 25 milliards de dollars d’investissements étaient prévus. En Ouganda, le projet pétrolier qu’il venait de démarrer sur les rives du lac Albert est confronté à une fronde d’ONG, pour des raisons environnementales et sociales. Cette semaine, Jeune Afrique a rencontré Nicolas Terraz, qui pilote en Afrique subsaharienne la branche exploration-production de TotalEnergies. Et il répond pied à pied aux critiques, tout en dévoilant sa stratégie sur le continent, dans un contexte compliqué pour le groupe français.

ÉCONOMIE

Ce que TotalEnergies veut faire en Afrique : un nouveau nom pour de nouvelles ambitions ?

Par Christophe Le Bec
Situation au Mozambique, projets d'exploration, ambitions dans les énergies renouvelables… Nicolas Terraz, le patron Afrique de TotalEnergies EP a répondu à nos questions sans détours.

Aux manettes de la branche exploration et production de TotalEnergies au sud du Sahara depuis juillet 2019, https://www.google.com/url?q=https://jeuneafrique.us2.list-manage.com/track/click?u%3D6f73d53fb63e8c665c4e3800d%26id%3D7b7c9f7118%26e%3D2eae42a875&source=gmail&ust=1626962163916000&usg=AFQjCNHIYQB2mv-sOj9RGwCSXEQgD6pFWg">ce fidèle du PDG Patrick Pouyanné a dû affronter les perturbations logistiques et économiques de la pandémie de Covid-19, qui ont entraîné de fortes fluctuations des cours du brut, mais aussi la situation sécuritaire au Mozambique, qui l’a obligé à suspendre son mégaprojet gazier situé dans le nord du pays. Sans oublier la désaffection de ses partenaires financiers à l'égard de ses activités extractives, notamment en Ouganda.

Jeune Afrique : Le PDG du groupe, Patrick Pouyanné, avait annoncé à la mi-2020 une réduction des budgets. Quelles sont aujourd'hui les ambitions de TotalEnergies dans l’exploration et le développement de projets en Afrique ?

Nicolas Terraz : En 2020 et au début de l’année 2021, nous nous sommes mobilisés pour assurer la continuité de nos opérations afin de poursuivre les projets déjà lancés. En Angola, où nous restons le premier opérateur, nous avons démarré la production de Zinia phase 2, un projet à cycle court raccordé à l'unité de production flottante FPSO Pazflor. Au Nigeria, nous poursuivons le projet d’Ikike et participons au septième train de liquéfaction de Nigeria LNG.

En matière d’exploration, nous sommes plus sélectifs, avec un budget global qui est passé de 1,5 milliard de dollars en 2019 à 800 millions de dollars en 2021. En Afrique, nous avons trois puits d’exploration importants en 2021 : en Angola (bloc 48), en Côte d’Ivoire (champ Barracuda) et en Namibie (bloc Venus).

Nous prévoyons également d’explorer prochainement le bloc Marine 20, au Congo. En Afrique du Sud enfin, où nous avons fait des découvertes offshore gazières importantes dans le champ de Brulpadda [sud du pays], nous avons engagé des discussions avec les autorités sur la commercialisation du gaz pour répondre à la demande dans la zone de Mossel Bay [entre Port-Elizabeth et Le Cap], où est installée l’usine de liquéfaction de l'opérateur public PetroSA.

Quelle est la situation de votre mégaprojet ougandais représentant 10 milliards de dollars d’investissements ? Êtes-vous inquiet de ne pas avoir bouclé son financement, alors que trois grandes banques françaises – Crédit Agricole, Société générale et BNP – ont renoncé à y participer, principalement pour des questions environnementales ?

Ce projet n'est absolument pas remis en question, il a d'ailleurs démarré. Nous avons conclu le cadre contractuel avec l’Ouganda et la Tanzanie en avril et en mai, cela nous permet de travailler. Les discussions concernant le financement ne sont pas terminées, mais ce n’est pas inédit pour un projet de cette ampleur.

Je ne suis pas inquiet, les choses avancent bien. Nous visons une entrée en production début 2025. Les contrats principaux sont en cours d’attribution, l’ingénierie a débuté et va durer toute l’année 2021. La construction proprement dite de l’usine et du pipeline commencera en 2022. Auparavant, il nous faudra installer en Tanzanie une usine de revêtement permettant l’isolation du pipeline.

Il n'empêche que plusieurs ONG s'inquiètent des expropriations menées pour permettre l’extraction et la construction du pipeline de 1 400 km devant traverser l’Ouganda et la Tanzanie…

Notez d’abord que quand Oxfam et la FIDH [Fédération internationale pour les droits humains] nous ont interpellés, nous n’avons pas joué aux sourds. Nous avons étudié leurs rapports et écouté leurs recommandations. Nous avons accordé une attention particulière aux préoccupations environnementales et sociales dans le développement de ce projet. Sa surface touchant au parc des chutes de Murchison [nord-ouest] a été volontairement réduite de 9 % à 1 %. Avec son recours à l’énergie solaire pour une partie de ses besoins et le choix d'un pipeline enterré, il a l'une des empreintes carbones les plus faibles de notre portefeuille !

Votre autre grand projet subsaharien en gestation, Mozambique GNL, avec 20 milliards de dollars d'investissements prévus, a été interrompu du jour au lendemain après l’attaque de groupes armés. Quand doit-il redémarrer ?

On ne peut faire du « stop and go » dans un projet de cette taille, qui nécessite de 5 000 à 15 000 personnes sur le chantier. Sa suspension en mars était inévitable compte tenu de la dégradation de la situation sécuritaire dans le Cabo Delgado. Il s’agit d’un cas de force majeure. Nous sommes en train de discuter avec nos sous-traitants pour gérer cette situation au mieux. Son impact sur le planning sera d’au moins une année.

Le président Nyusi a rencontré Patrick Pouyanné à Paris en mai, en marge du sommet Afrique-France. Pensez-vous que Maputo puisse résoudre cette crise ?

Les autorités ont clairement pris la mesure du problème et savent que nous ne reviendrons que lorsque la sécurité sera assurée de manière durable. Nous comprenons qu’ils travaillent avec leurs voisins de la région d’Afrique australe et leurs autres partenaires.

               TotalEnergies ne quitte pas le Mozambique !

Plus largement, nous sommes très optimistes quant aux perspectives gazières sur le continent. Le gaz naturel est un complément efficace aux énergies renouvelables, bien adapté à la production électrique et deux fois moins émetteur de CO2 que le charbon. Si le projet Mozambique GNL est suspendu, nous restons pleinement engagés dans le développement des réserves gazières de l’Area 1 : TotalEnergies ne quitte pas le Mozambique !

Que signifie vraiment le changement de nom, de Total à TotalEnergies, pour la stratégie de votre compagnie ?

TotalEnergies exprime notre transformation en une compagnie multiénergies, active dans l’électricité, le renouvelable – solaire et éolien notamment –, les biocarburants et l’hydrogène. D’ici 2030, nous ciblons le top 5 mondial des producteurs d’énergies renouvelables.

En Afrique, vous avez pourtant lancé moins de projets dans les énergies renouvelables et procédé à moins d’acquisitions qu’en Inde, en Europe et aux États-Unis…

Nous sommes déjà présents dans des projets solaires en Afrique du Sud, en Égypte et au Kenya. Nous recrutons actuellement, dans tous les pays où nous sommes présents, des "explorateurs de renouvelables", qui vont identifier les opportunités africaines. Nos partenaires, en particulier les opérateurs nationaux tels que Sonangol en Angola et NNPC au Nigeria, sont d’ailleurs très demandeurs d’une coopération avec TotalEnergies dans ces filières.

Cette transition énergétique – ambitieuse à vous entendre – ne signifie-t-elle pas à terme une réduction drastique des investissements dans l’exploration et la production pétrolières en Afrique ?

D’ici 2030, nous n’allons pas augmenter notre production pétrolière, mais plutôt rester à ce niveau. Il nous faudra donc encore investir dans des projets extractifs pour compenser la baisse naturelle des volumes des champs en production, qui est de 4 % à 5 % par an à l’échelle mondiale. Mais nous serons plus sélectifs.

En Afrique comme partout ailleurs, nous privilégions les projets pétroliers dont le coût – investissements et charges d’exploitation compris – est inférieur à 20 dollars le baril, avec, pour tous les nouveaux projets, une intensité carbone inférieure à celle de notre portefeuille actuel [autour de 20 kg de CO2]. Notre projet ougandais de Tilenga respecte déjà ces critères : 13 kg de CO2 et un coût technique de 11 dollars par baril.

Par ailleurs, nous réduisons les émissions de gaz à effet de serre de toutes nos installations pétrolières et gazières, sur le continent comme ailleurs. Au demeurant, en matière de compensation, notre puits de carbone naturel lancé récemment au Congo [40 000 hectares de nouvelles forêts sur vingt ans] a vocation à en inspirer d’autres en Afrique.

Notre objectif est très clair : réduire de 40 % les émissions nettes de CO2 liées à nos opérations dans le pétrole et le gaz d'ici à 2030 par rapport à 2015 et atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050 pour l’ensemble de nos activités mondiales. Pour résumer, TotalEnergies, c'est plus d’énergies et moins d’émissions.