La femme est l’avenir de l’islam.
Le combat d’une imame (Compte-rendu)

couverture femme avenir islam
Sherin KHANKAN, La femme est l’avenir de l’islam. Le combat d’une imame, Edit. Stock, Paris, octobre 2017, p.270.

L’auteure, née au Danemark d’un père syrien musulman et d’une mère finlandaise luthérienne, adresse ce livre, qui raconte son histoire et son combat personnels, « à tous ceux et celles qui s’intéressent à l’islam en Occident et au féminisme islamique » (p. 10). En 2016, elle figure dans la liste de la BBC des « 100 femmes les plus influentes du monde ».

Elle connaît une enfance peu conformiste et heureuse. Comme adolescente elle fréquente rarement la mosquée, mais elle commence à découvrir la foi musulmane profonde à 19 ans lors d’un de ses voyages d’été en Syrie, en y rencontrant des jeunes musulmans pratiquants, dont un professeur gagné par la voie soufie, ce chemin de la sagesse intérieure au sein de l’islam et qui incarne l’ouverture, le respect et la fraternité au-delà des religions.

En entrant à l’université de Copenhague, elle opte pour l’étude de l’histoire des religions avec comme spécialité la sociologie des religions et l’islam contemporain. Elle commence aussi à étudier la langue arabe classique à la même faculté, étude qu’elle complète au Caire en Égypte et plus tard en Syrie. C’est là, à Damas, que sa foi va s’intensifier en vivant avec la fille d’un cousin, étudiante en droit et pratiquante fervente. Petit à petit elle acquiert le sentiment d’appartenir à une communauté et l’idée naît en elle de vouer sa vie à transformer l’islam en Europe et à montrer que l’islam est une religion pacifique. Elle voudrait également défier l’islamophobie qui l’entoure au Danemark et qui s’étend de plus en plus à la suite des attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center à New York. Elle abandonne son prénom chrétien Christine pour n’utiliser que son surnom musulman reçu en Syrie et conserve son nom de famille, Khankan. Dorénavant elle sera une militante musulmane en Europe.

Elle crée le Forum des musulmans critiques afin d’élever le niveau du débat sur l’islam au Danemark autour de thèmes comme l’islam et la laïcité, le féminisme musulman, le soufisme… Elle milite pour un islam pluraliste, tolérant, progressiste et démocratique à travers une lecture spirituelle du Coran. Après un essai d’engagement politique, qui ne réussit pas à cause de la montée et des attaques virulentes du parti d’extrême droite danois, elle veut garder politique et religion séparées, tout en défendant que la religion peut être source d’inspiration pour la société. « Le féminisme islamique et le soufisme sont sans aucun doute parmi les outils les plus puissants à notre disposition« , affirme-t-elle (p. 92).

C’est, dans cette conviction, qu’elle fonde le mouvement Femimam avec quelques femmes musulmanes intellectuelles et universitaires comme elle. Les participantes sont surtout des étudiantes universitaires. Elles discutent théologie et ont des débats surtout autour de la question de la mixité. Dans ce groupe va naître plus tard le projet de la création de la mosquée Mariam, première mosquée féminine du Danemark. Elle, Sherin Khankan, sera une des premières imames de la Scandinavie.

Entre-temps elle a suivi des études de psycho-thérapie et fonde, en plus, Exit Circle, une ONG laïque et apolitique pour aider des femmes et aussi des hommes qui ont été victimes de maltraitances psychologiques et physiques, de manipulation et de contrôle social et religieux. Elle se bat contre les structures patriarcales et les mécanismes de discrimination et lutte pour les droits des femmes au sein de la famille, des institutions religieuses et de la société. L’Exit Circle connaît un grand succès à tel point que la majorité des femmes traitées dans tous les réseaux du Danemark sont des non-musulmanes. Les thérapies ont pour but d’aider les victimes à se réaffirmer par la parole, à reconquérir du pouvoir et à vaincre la soumission passive.

Vers la fin de 2006, l’auteure découvre l’activisme d’Amina Wadud, convertie à l’islam, figure de proue du féminisme musulman, professeure d’études islamiques de l’université du Commonwealth de Virginie aux États-Unis. Elle a été la première femme à diriger la prière du vendredi dans une mosquée mixte de New York en mars 2005. Elle a fait une grande impression sur Sherin Khankan. Celle-ci aura l’occasion de rencontrer encore d’autres femmes très engagées durant des conférences internationales sur la femme musulmane auxquelles elle a été invitée à l’étranger. Elle en profite pour discuter de son projet de créer une mosquée où les imams seront des femmes. Mais rentrée à la maison, son père, ses proches et certains de ses amis ne sont pas enthousiastes et préfèrent qu’elle cherche un emploi normal plutôt que de s’engager dans l’imamat féminin et le monde religieux.

Mais elle passe à l’action et parvient à réunir autour d’elle un groupe de femmes prêtes à travailler avec elle.

L’ouverture de la mosquée Mariam, au centre de Copenhague, est décidée. Elle est ouverte, non seulement aux femmes, mais « à tous les musulmans – qu’ils soient sunnites, chiites, alaouites, ahmadis – et à quiconque désire y venir » (p. 15), inclusive fondée sur le soufisme. L’auteure lui donne ces trois objectifs : « proposer et promouvoir une approche spirituelle de l’islam fondée sur une relecture du Coran ancrée dans la réalité du monde actuel avec une attention particulière aux femmes; remettre en question les structures patriarcales des institutions religieuses et scolaires ( de l’islam) ainsi que l’interprétation patriarcale du Coran et des hadith; et promouvoir un féminisme islamique » (p.17-18).

Elle-même veut y être un guide spirituel capable de répondre aux questions de notre temps et pas seulement être la personne qui guide la prière. D’après elle, l’imame consiste à servir les autres, en particulier les femmes et les couples, en les écoutant et en leur donnant des conseils et surtout « des soins spirituels« . Ce sera sa fonction principale, qui occupe jusqu’à 80 % de son temps. En cela la mosquée Mariam se distingue des autres mosquées du Danemark.

Elle accepte également de célébrer des mariages interreligieux. Elle conseille chaque fois au couple de tenter d’obtenir le consentement de leurs parents, car le mariage est, en leur cas, aussi l’union de deux familles, de deux religions et de deux cultures. Elle insiste sur un profond respect mutuel (sans qu’on ait l’intention de vouloir changer l’autre), sur le droit des enfants à choisir leur religion et sur le mariage civil selon les lois du pays avant de recevoir la bénédiction religieuse.

Elle est très attentive aux grands problèmes qui se posent à l’islam d’aujourd’hui et d’autre part à l’islamophobie et la propagande anti-musulmane « qui sont l’antisémitisme de notre temps » ( p. 214).

Ainsi les derniers chapitres du livre traitent sur la société sécularisée, la discrimination des femmes, le droit de choisir sa religion, l’islam politique et les mouvements islamistes dans le monde.

La critique de l’islam doit venir surtout de l’intérieur de la communauté musulmane, affirme-t-elle, et elle invite de lire et de comprendre les textes du Coran en fonction du contexte historique et théologique et non de de façon littérale. « Les musulmans doivent aussi se mobiliser contre les attaques terroristes perpétrées par des groupes violents, qui se proclament musulmans« , écrit-elle (p. 224). Mais, en fait, ce sont des fanatiques en perte de repères qui sont en guerre contre l’Occident et ses valeurs mais aussi en guerre contre les musulmans, dit-elle à juste titre.

Sherin Khankar montre elle-même dans ce livre que « les musulmans peuvent changer le récit sur l’islam, remettre en question des siècles de domination patriarcale et assumer un leadership spirituel » (p. 230-231).

Elle est, cependant, bien consciente que ce sera une longue lutte qui a besoin des hommes aussi bien que des femmes. « Les uns et les autres doivent se battre contre les pensées et les pratiques patriarcales au sein de l’islam et dans la société et même dans la cellule familiale. Combattre les structures patriarcales au sein des institutions religieuses, dans la société et dans la cellule familiale, indépendamment de la religion, de la culture ou du niveau social, constitue l’un des plus grands défis de notre temps » (p. 254-255).

Dans le dernier chapitre du livre elle revient sur l’inspiration et le sens de sa lutte, qu’elle a trouvés chez les grands maîtres du soufisme, qui définissent la religion comme « la religion du cœur« , en particulier chez Ibn Arabi qu’elle cite souvent : « L’amour est ma religion et ma foi« .

Hugo Mertens