Togo : comment Faure Gnassingbé veut réconcilier l’armée et la population

| Par Jeune Afrique
Mis à jour le 27 février 2021 à 11h13
Faure Gnassingbé, lors du lancement de la construction d’une usine d’habillement militaire à Adétikopé, en 2019.

Faure Gnassingbé, lors du lancement de la construction d'une usine d'habillement militaire à Adétikopé, en 2019. © Emmanuel Pita/Présidence Togolaise


Alors que le Togo craint une éventuelle extension des actions des jihadistes vers le golfe de Guinée et a engagé une vaste réforme de son appareil sécuritaire, le chef de l’État espère « pacifier » les relations entre l’armée et les populations.

La nomination, début octobre, de Marguerite Gnakadè en tant que ministre des Armées au sein du gouvernement dirigé par Victoire Tomegah Dogbe en avait surpris plus d’un. Au-delà de l’affichage politique – une femme à ce poste, c’est une première pour le Togo, qui plus est dans une équipe dirigée par une autre femme –, ce ministère était en effet directement rattaché à la présidence depuis 2009, après l’arrestation de Kpatcha Gnassingbé, le demi-frère du chef de l’État qui occupait ces fonctions et a par la suite été condamné à vingt ans de prison pour tentative de coup d’État.

Cette nomination a également été vue par beaucoup comme un geste de Faure Essozimna Gnassingbé en vue de « pacifier » les relations entre l’armée et la population, qui se sont singulièrement tendues lors de la répression des manifestations de 2017.

https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">

LE FAIT QUE CE SOIT UNE CIVILE EST UN MESSAGE TRÈS FORT

Ancienne directrice générale de la Banque togolaise du commerce et de l’industrie (BTCI), qu’elle a quittée brutalement en 2018 sur fond de controverse autour de sa gestion, Marguerite Gnakadé n’avait, de fait, pas le profil « naturel » pour obtenir ce portefeuille. « Le fait que ce soit une civile est un message très fort. C’est une première, estime un officier sous couvert d’anonymat. Cela montre qu’il y a une réelle volonté politique de changer la donne. C’est un signe de bonne foi. »

« Les crises politiques et leur encadrement ont créé un climat de suspicion réciproque », constatait ainsi, fin décembre, Yark Damahame, ministre de la Sécurité et de la Protection civile, qui a été chargé de renouer les fils du dialogue entre les forces de sécurité et la société civile. Un chantier d’autant plus urgent, juge le général, que « le manque de collaboration entre l’armée et la population constitue un énorme obstacle à la paix et à la sécurité, mais aussi un terrain fertile pour l’extrémisme violent et le terrorisme ».

Réformes et risque jihadiste

Alors que les signaux montrant un risque de voir les jihadistes qui sévissent dans le Sahel étendre leurs actions vers le sud, et notamment le Togo, se font de plus en plus nombreux, les Forces armées togolaises sont engagées dans une vaste réforme interne. La loi de programmation militaire votée l’an dernier prévoit ainsi un budget de 722 milliards de F CFA (1,1 milliard d’euros) d’ici à 2025 afin de renforcer leurs moyens. De 17 773 actuellement, l’armée togolaise passerait à 22 020 membres d’ici cinq ans. Outre l’achat de matériels (chars, véhicules de transport et autres hélicoptères), il est également prévu de renforcer les unités chargées de mener les opérations spéciales.

Ce mouvement se traduit aussi par des changements profonds à tous les niveaux de la hiérarchie militaire. En décembre, un peu plus de deux mois après le choix de Marguerite Gnakadè, le général Dadja Maganawé avait ainsi été nommé chef d’état-major à la place de Félix Abalo Kadanga, qui était peu apprécié au sein de la population.

Outre ce contexte de réforme profonde au sein de l’appareil militaire, une affaire avait  défrayé la chronique huit mois avant que Maganawé ne prenne ses fonctions : le décès suspect du colonel Bitala Madjoulba, commandant du premier bataillon d’intervention rapide (BIR), retrouvé mort par balles le lendemain de l’investiture de Faure Gnassingbé, le 4 mai dernier.

Début février, ce sont cette fois près de 350 soldats qui ont été radiés des rangs des Forces armées. Ils étaient considérés comme des « déserteurs » pour avoir refusé de reprendre l’uniforme après avoir été détachés auprès d’autorités civiles.

En visite le 8 février sur la base d’opérations de Koundjoare, dans le nord du pays, Faure Gnassignbé a insisté devant les troupes sur la nécessité de ces réformes menées à marche forcée. « Pendant longtemps, l’insécurité provoquée par les mouvements jihadistes et les groupes armés et terroristes s’est cantonnée dans les pays du Sahel. Mais les terroristes n’ont jamais caché à personne leur objectif et leur ambition d’infiltrer les pays côtiers, a-t-il mis en garde. Ces groupes se renforcent. Ils bénéficient des fruits et du financement de la criminalité transfrontalière et sont plus aguerris. » Et de souligner sur ce front : « La lutte contre le terrorisme n’est pas seulement une affaire militaire. »

« C’est une mission qui ne peut être réalisée d’une façon efficiente sans une bonne coordination entre les citoyens et leur armée. Le gouvernement est dans son bon droit de vouloir une synergie, voire une réconciliation entre les citoyens et les militaires, cela va dans le sens des politiques publiques qu’il doit mener », abonde Senyéebia Yawo Kakpo, enseignant-chercheur en sciences juridiques et politiques à l’université de Kara. Toutefois, prévient-il, l’armée  doit  faire de gros efforts « pour afficher sa bonne foi et donner des garanties au peuple ».

Offensive de charme

Plusieurs initiatives en ce sens ont été organisées, dont des ateliers de « dialogue » organisés dans plusieurs villes du pays ayant été le théâtre de manifestations parfois durement réprimées en 2017, telles Mango, Sokodé, Atakpamé, ou encore Lomé, la capitale. Des journées « portes ouvertes » sont également prévues dans certaines casernes.

Ce dialogue « ne vise pas à indexer ou vilipender les soldats, mais plutôt à définir le cadre d’une collaboration apaisée et franche entre ceux-ci et les populations », précise un cadre du ministère des Armées.

Dans cette offensive de « charme » à destination de la population, la police n’est pas en reste : une émission « à l’écoute de la police », diffusée sur les radios nationales et communautaires, a même été lancée récemment.

https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">

LA RÉCONCILIATION NATIONALE NE SE DÉCRÈTE PAS, ET C’EST ENCORE MOINS LE CAS ENTRE L’ARMÉE ET LES CITOYENS

Pour sa première sortie sur le terrain face aux hommes en uniforme, début novembre, Marguerite Gnakadè, civile mais fille de militaire – elle fut également l’épouse d’Ernest Gnassingbé, le frère du président togolais décédé en 2009 –, n’a pas hésité à apparaître en treillis – sans grade ni insigne si ce n’est les couleurs togolaises sur l’épaule. Mais si elle a passé en revue « ses » troupes ce jour-là, la thématique de l’événement,  le « renforcement des capacités nationales et communautaires de prévention des conflits et violences et de protection des droits de l’homme au Togo », était dans la droite ligne des efforts de pacification des relations entre l’armée et les civils.

Un familier de l’appareil militaire, qui a souhaité conserver l’anonymat, met cependant en garde contre les effets d’affichage. « La réconciliation nationale ne se décrète pas, et c’est encore moins le cas entre l’armée et les citoyens. Certaines blessures sont profondes, la réconciliation, c’est un processus assujetti aux décisions individuelles et personnelles de chaque individu. »