Mauritanie : Habib Ould Brahim Diah, l’homme qui piste l’ex-président Aziz

| Par
Le président de la Commission d'enquête parlementaire, Habib Ould Brahim Diah, le 26 mai 2020.

Censé passer au crible la gestion de Mohamed Ould Abdelaziz, le président de la Commission d’enquête parlementaire Habib Ould Brahim Diah va devoir trouver le juste milieu entre transparence et chasse aux sorcières.

Peu de Mauritaniens connaissent Habib Ould Brahim Diah, 67 ans, député du département du Mongel (wilaya du Gorgol). L’homme est discret, et même « introverti », selon un haut fonctionnaire de ses connaissances. Pas du genre à faire des effets de boubou et de longs discours. S’il apparaît sur le devant de la scène depuis le 31 janvier, c’est qu’il a été choisi pour présider la Commission d’enquête parlementaire (CEP) qui doit faire la lumière sur la gestion de l’ex-président Mohamed Ould Abdelaziz durant ses dix ans de pouvoir.

La commission a été créée à la demande des partis d’opposition, l’Union des forces progressistes (UFP) et le Rassemblement des forces démocratiques (RFD), et finalement acceptée par le parti majoritaire, l’Union pour la République (UPR) qui s’en est adjugé la présidence en la confiant à Habib Diah, leader de son groupe parlementaire. Fin juillet, elle devra présenter un rapport sur ce qu’elle aura trouvé d’incongru en épluchant les comptes et les marchés des sociétés publiques en matière de pêche, de mines, de routes, de ports, d’aéroport ou d’énergie solaire.

Paris ouverts

Ira-t-elle jusqu’au bout de cette démarche ? Nombreux sont ceux qui se demandent si son président, proche de l’ancien chef de l’État et ami du nouveau dirigeant du pays, Mohamed Ould Ghazouani, aura le courage de lui faire émettre un avis défavorable, voire accusateur. Au vu de la carrière et de la personnalité de Diah, les paris sont ouverts.

Originaire de la vallée « du Fleuve » Sénégal, le sexagénaire fait partie de la tribu guerrière des Ewlad Abdalla, répartie entre les régions du Gorgol et du Brakna. Son oncle maternel, Dah Ould Sidi Haiba Ould Teiss, était président de l’Assemblée nationale du temps du premier président de la Mauritanie, Moktar Ould Daddah. Le jeune Diah a étudié le droit public à Orléans, en France, dont il revient pour s’investir dans les finances publiques. Il décroche le poste de trésorier régional de Nouadhibou.

Il a été très actif dans le coup d’État contre le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, qui a porté au pouvoir le général Abdelaziz en 2008

Le droit lui ouvrira aussi les portes des organisations chargées de la valorisation du fleuve Sénégal. Diah bifurque ensuite vers le métier d’avocat d’affaires. Mais la politique l’intéresse. Aussi, il adhère d’abord au Parti républicain démocratique et social (PRDS), qui soutient le président Maaouiya Ould Taya. À la chute de celui-ci, en 2005, il rejoint l’UFP. Il changera encore de parti par la suite, nomadisme fréquent chez les élites politiques mauritaniennes.

« Il est très actif dans le coup d’État qui dépose le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi et qui porte au pouvoir le général Abdelaziz en 2008 », raconte un membre de l’opposition. Diah quitte alors l’UFP pour l’UPR, créée par Abdelaziz. Trois mandats de député plus tard, il déserte le camp du général lorsque celui-ci laisse la présidence de la Mauritanie à Ghazouani le 1er août 2019, et tente dans le même temps de reprendre la tête du parti majoritaire. Diah est à la tête des 88 députés UPR sur 102 qui refusent ce come-back et qui font allégeance à Ghazouani.

« Abdelaziz a marqué l’histoire de ce pays, déclare-t-il alors. De 2009 à 2019, il a fait de très grandes réalisations et nous lui en sommes reconnaissants. Maintenant, Mohamed Ould Ghazouani est le président élu. Il a son programme et nous le soutenons. » Abdelaziz est blackboulé.

Un homme de qualité

Quel type d’homme est donc Habib Ould Brahim Diah ? « Sérieux et méthodique », juge l’un de ses confrères du barreau. « Très calme, jamais agressif, un peu dans le style de Ghazouani, dont il est l’ami depuis longtemps, renchérit un observateur. Son fils est le médecin personnel du président. » « Il n’est pas méchant, mais il ira jusqu’au bout de sa mission, estime Lô Gourmo Abdoul, vice-président de l’UFP (opposition). Il est précautionneux, méthodique et n’a pas voulu que la Commission recoure aux services de cabinets d’experts nationaux par souci d’objectivité. » Selon les informations de Jeune Afrique, c’est le parisien Taylor Wessing qui accompagnera la CEP sur les aspects juridiques de ses travaux..

Ghazouani laissera-t-il la commission et son ami Diah mettre en cause Abdelaziz pour malversations ou gabegie ?

Mohamed Jemil Ould Mansour, ancien président du parti d’inspiration islamiste Tawassoul (opposition), a siégé pendant sept ans aux côtés de Diah au Parlement. Lui aussi l’apprécie : « C’est un homme de confiance, quelqu’un de discret. Il dirige la commission de façon convenable. La création de cette instance est une décision importante dans l’histoire de notre Parlement. Faire une enquête sur des dossiers issus des dix ans de gestion d’Abdelaziz n’est pas facile parce que des éléments du régime de l’ancien président sont toujours en place. »

Ghazouani laissera-t-il la commission et son ami Diah mettre en cause Abdelaziz pour malversations ou gabegie ? « Le président a dit qu’il la laissera faire son travail, répond Mansour, mais nous sommes dans un pays du tiers-monde, où le pouvoir peut orienter les travaux pour qu’ils ne dépassent pas certaines limites. »

Lesquelles ? « Si la commission conduit une enquête dans les règles, répond le même, beaucoup de noms vont être mis sur la table. Ce sera alors difficile d’aller loin dans les mises en accusation qui, de toute façon, seront de la compétence de l’Assemblée nationale en séance plénière au vu du rapport que lui rendra la commission. Celle-ci est notre première commission d’enquête et la Mauritanie a besoin de son travail. »

Coup de balai ou apaisement ?

Habib Ould Brahim Diah va donc devoir zigzaguer d’une part entre la forte demande populaire d’une totale transparence, voire d’un coup de balai dans le personnel politique et chez les patrons bénéficiaires de complaisances supposées, et d’autre part le désir évident du chef de l’État d’apaiser le climat politique en Mauritanie et d’éviter une chasse aux sorcières.

Sous la présidence de Nelson Mandela, l’Afrique du Sud s’était dotée d’une Commission de la Vérité et de la Réconciliation en 1995 pour en finir avec les séquelles de l’apartheid. Une bonne partie des Mauritaniens préféreraient que les travaux de leur Commission d’enquête privilégient la vérité et débouchent sur des condamnations. De son côté, Ghazouani suggérera assurément à Diah d’essayer ne pas nuire à la réconciliation. Il lui faudra rigueur, diplomatie et un brin de baraka pour parvenir à marier ces deux injonctions contradictoires.

 
What do you want to do ?
New mail