Burkina Faso : Abdoulaye Soma, un novice en lice pour la présidence

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Abdoulaye Soma, à Paris, le 11 décembre 2019.

Candidat à la présidentielle prévue cette année, ce novice en politique, avocat de son état, est convaincu qu’il peut être la clé de la réconciliation nationale.

L’élection présidentielle doit avoir lieu à la fin de cette année, mais peu nombreux sont ceux qui ont déjà officialisé leur intention de se lancer dans la course. Abdoulaye Soma, 40 ans, est de ceux-là. Il a annoncé qu’il briguerait la magistrature suprême dès le mois de mai 2019, avant même que les grands partis politiques burkinabè que sont le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP, au pouvoir), l’Union pour le progrès et le changement (UPC) et le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) n’aient investi leurs propres candidats.

Et pour cause : cet avocat et constitutionnaliste a beau être un intellectuel reconnu au Burkina, il demeure un novice en politique. Il n’a jamais brigué aucun mandat électif, et il va lui falloir du temps pour se faire connaître de ses concitoyens et se bâtir une image de présidentiable, dans son pays comme à l’étranger.

Professeur d’université et membre actif de la société civile, Soma n’a jamais caché son ambition présidentielle. Un projet qu’il dit mûrir depuis une dizaine d’années, période durant laquelle il a soigneusement étudié la composition du corps électoral et créé son parti, Soleil d’avenir, financé sur fonds propres. À la fin de décem­bre 2019, il était à Paris pour développer son réseau dans les milieux politiques et diplomatiques français. Plus d’une heure durant, dans les locaux de Jeune Afrique, il a défendu son projet de société pour le Burkina.

D’emblée, il choisit de faire de son manque d’expérience politique un atout. « J’aurais pu être député ou accepter de rejoindre un gouvernement. Mais je prépare ma candidature depuis longtemps car je savais que le Burkina aurait besoin d’un homme neuf », martèle-t-il, critiquant « une classe politique composée des mêmes acteurs depuis les années 1980 ».

« L’insurrection populaire de 2014 ne s’est pas faite uniquement contre la personne de Blaise Compaoré. Elle était également dirigée contre un système de gouvernement, estime-t-il. Cette insurrection était porteuse d’un nouveau projet, et, pour l’exécuter, le peuple a fait confiance à des hommes politiques anciens. Nous avons choisi l’option de faire du neuf avec du vieux, mais aujourd’hui nous sommes quasi unanimes à constater que cela ne fonctionne pas. »

Le plus jeune agrégé

Soma se pose en enfant du pays. Après des études à Banfora, sa ville natale située dans la région des Cascades (Sud), il part étudier le droit à l’université de Ouagadougou en 2000, obtient une bourse et s’envole pour la Suisse, où il soutiendra sa thèse en 2009. Il se spécialise en droit constitutionnel et en droit international, puis décide de rentrer au pays et d’enseigner à la faculté de droit de l’université de Ouagadougou. Deux ans plus tard, en novembre 2011, il devient le plus jeune agrégé du continent africain en droit public. Il a 32 ans.

Cette singularité le met sous la lumière des projecteurs. Lorsque la rue renverse Blaise Compaoré et que le pays, menacé de sanctions par l’Union africaine, a besoin de revenir à un ordre constitutionnel normal, c’est à lui que Yacouba Isaac Zida, brièvement président de la transition, fait appel. Ils ne se connaissaient pas, insiste Soma, jusqu’à ce jour de novembre 2014, quand le colonel Denise Auguste Barry l’a appelé pour lui dire que Zida voulait le voir. « J’ai contribué à la rédaction de la charte de la transition. Pendant quelques semaines [avant que Michel Kafando arrive au pouvoir], j’étais le seul civil au sein de l’équipe du président, se souvient-il. Mais ma participation n’était pas liée à des amitiés. »

Lorsque Zida est nommé Premier ministre, Soma devient son conseiller spécial pour les réformes constitutionnelles. Mais il conserve sa liberté de parole, critiquant publiquement certaines décisions des autorités. « Lorsque le président Michel Kafando a nommé au Conseil constitutionnel trois personnes qui étaient à la retraite depuis dix ans environ, j’ai estimé que ce n’était pas conforme à l’esprit de l’insurrection, qui avait été portée par la jeunesse. De plus, cette juridiction devait travailler à une réforme constitutionnelle orientée vers l’avenir. J’ai également dit que la loi d’exclusion de certaines personnalités et de certains partis politiques [qui avaient soutenu le projet de modification constitutionnelle destiné à permettre à Blaise Compaoré de se maintenir au pouvoir] n’était pas démocratique », précise-t-il.

Revendiquant sa « différence », Soma est convaincu qu’il peut être la clé de la réconciliation nationale. « Le président Kaboré porte cette idée, mais il ne peut pas faire venir autour de la table certaines personnalités importantes dans le processus, telles que Blaise Compaoré ou Yacouba Isaac Zida. » Il affirme avoir échangé avec la plupart des hommes et des femmes politiques du pays. « Ma vision n’est ni violente ni exclusive. Je n’exclus aucune collaboration. Mais il me paraît évident que le pays a besoin d’hommes nouveaux. »

Cette quête de sang neuf, Soma la pousse jusque dans la formation de son mouvement. Pour être membre fondateur de Soleil d’avenir, il faut ne jamais avoir fait de politique, ne pas être membre d’un autre parti et pouvoir justifier d’une certaine influence dans sa localité. L’avocat revendique 200 000 membres dans les treize régions du pays, où le mouvement fait la part belle aux femmes et aux jeunes.

Pour le candidat, le calcul est simple : « Le Burkina a potentiellement environ 9 millions d’électeurs. Mais depuis vingt ans, seuls 3 millions d’entre eux votent. Il y a donc un réservoir électoral de 6 millions de personnes à qui il faut s’adresser, détaille-t-il. Par ailleurs, 80 % de ces abstentionnistes sont des jeunes de moins de 35 ans. Ils n’appartiennent pas aux partis traditionnels et ne votent pas car ils pensent que l’action politique avec les hommes actuels ne peut rien changer. »

Réforme en profondeur

La nouvelle Constitution dont le Burkina veut se doter (le projet sera soumis à référendum à une date indéterminée) était, selon Soma, « l’occasion de faire des réformes en profondeur ». En tant que président de la Société burkinabè de droit constitutionnel, il a participé à son élaboration. Mais il estime que le projet n’est pas assez ambitieux. « Le texte aurait dû mieux prendre en compte les réalités sociales et géopolitiques. J’ai l’impression que tout ce qui comptait, c’était effacer l’image de Blaise Compaoré », regrette-t-il. Lui aurait souhaité que certains droits (tel celui à l’alimentation) soient constitutionnalisés, tout comme la représentativité des régions, entre autres.

« Le Burkina Faso a une gouvernance déséquilibrée au niveau du genre, de l’âge, des régions et des religions. C’est la cause de tous nos problèmes. Nous devons faire en sorte que tout le monde se sente pris en compte », insiste le professeur. Il propose un gouvernement de treize ministres issus de chacune des régions. Il promet également de respecter la parité entre hommes et femmes, ainsi qu’entre jeunes et moins jeunes, dans la composition des organes de l’État.

Sur le plan économique, il dit s’inscrire dans une logique de « dualisme idéologique », en combinant libéralisme et socialisme. « En ce qui concerne l’alimentation, la santé, la sécurité, l’eau et l’éducation, l’État garantira un minimum aux citoyens pour assurer un filet de sécurité antipauvreté. Pour le reste, l’industrie et les mines par exemple, nous appliquerons le libéralisme. »

La présidentielle et les législatives de 2020 se dérouleront dans un contexte sécuritaire marqué par des attaques terroristes et des violences intercommunautaires. Depuis 2015, elles ont fait environ 750 morts et près de 560 000 déplacés, faisant peser des doutes sur la tenue des scrutins sur toute l’étendue du territoire. « Il est de la responsabilité du gouvernement de garantir à tous les Burkinabè qui le souhaitent la possibilité de voter », conclut Soma.